Les consommateurs l'auront remarqué en faisant leurs courses. Les prix des produits frais ont flambé en l'espace de quelques jours. Certes, la tendance haussière a touché globalement les produits alimentaires avec une variation de 2,5% en janvier 2017 comparativement à ceux de décembre 2016, mais l'augmentation est plus accentuée pour les produits agricoles frais. Même les produits saisonniers n'ont pas échappé à cette spirale haussière. En effet, si les prix des viandes blanches sont repartis à la baisse, la pomme de terre, habituellement cédée au plus à 50 DA le kilo, a vu son prix passer à 80 DA/kg, l'ail à plus de 1500 DA (jamais ce produit n'a atteint un seuil pareil même hors période de récolte), les œufs à 15 DA l'unité, la carotte à 60 da/kg (alors que c'est la saison), l'orange dépasse les 150 DA, alors que la pomme est loin d'être à la portée des ménages à moyen et bas revenus. Elle se vend au prix de la pomme importée, c'est-à-dire 300 DA, pour un produit qui a tout l'air de sortir directement des chambres froides. «Nous ne vendons pas de pommes, déjà au marché de gros, elles sont proposées à des prix assez élevés pour une qualité qui laisse à désirer», nous répond un marchand de fruits interrogé à cet effet. Même les dattes sont inaccessibles avec un prix qui équivaut celui de la banane en ces temps de restrictions budgétaires et de tentatives de réduction des importations. Les derniers chiffres de l'Office national des statistiques ne font que confirmer cette hausse évaluée à 8,53% pour les produits agricoles frais. La tomate, la pomme de terre et les œufs sont les plus touchés par ces augmentations en une année, selon la même source. Des augmentations qui commençaient à se faire ressentir dès le troisième trimestre de 2016 et qui se sont accentuées pour les fruits. Le ministre du Commerce ne manque pas d'ailleurs de le souligner, en les estimant à plus de 40% par rapport à 2015. Intermédiaires A titre illustratif, citons les pommes locales et les oranges. Pour les premières, le prix moyen a atteint 194 DA/kg en 2016, contre 139 DA/kg en 2015. Pour les oranges, la hausse a été de 41%. Entre-temps, c'est-à-dire de fin décembre 2016 à aujourd'hui, ces prix ont vu leur tendance haussière s'accélérer, notamment depuis l'annonce de l'interdiction d'importation des fruits. Une annonce qui a vite fait d'avoir son effet sur les prix, mais aussi sur le pouvoir d'achat des Algériens. Mais cette mesure présente surtout une opportunité pour les adeptes de la spéculation pour imposer leur diktat. Certes, le phénomène n'est pas nouveau, mais il a pris de l'ampleur. «En prévision de l'interdiction de l'importation des pommes, certains acteurs qui cherchent à s'enrichir sur le dos des consommateurs ont acheté la production des pommes bien avant la récolte pour la faire sortir aujourd'hui via de petites quantités à des prix assez élevés sans aucun rapport avec la qualité», nous dira un agriculteur. Ce que nous confirmeront des marchands de fruits, qui affirment avoir des difficultés à s'approvisionner en pommes sur le marché de gros. Diktat ! «C'est une pratique courante chez les affairistes, qui profitent de l'argent de l'agriculture pour s'enrichir», rappellera Slimane Bendaoud, agriculteur. Ce que nous a déjà confirmé le secrétaire général de l'Union nationale des paysans algériens (UNPA) dans l'une de ses déclarations : «Le marché des fruits et légumes est sous le diktat d'une dizaine d'affairistes activant dans l'informel. Les 12 000 contrôleurs du ministère du Commerce ne peuvent rien devant ces spéculateurs. La production se vend sur un simple coup de téléphone.» Et de poursuivre : «Au final, l'agriculteur, qui a souffert pour cultiver la terre, se retrouve perdant. Ce sont tous ces commerçants qui sortent bénéficiaires de cette filière.» Ce qui est à l'origine de ces épisodes répétitifs de volatilité des prix. La domination du marché par un tissu d'intermédiaires et collecteurs concentrant une part importante de la marge sans apport de la valeur ajoutée ne fait qu'aggraver la situation du secteur et les difficultés des consommateurs dans un marché, où la formation des prix ne suit pas toujours la règle économique en liaison avec le rapport offre-demande.
Déficit en capacités de stockage «Cette flambée était prévisible», relève d'ailleurs M. Bendaoud. Pourquoi ? «Ceux qui importent ces fruits, notamment les agrumes, ont également la main sur les vergers. Donc, ils essayent de reprendre d'une main ce qu'ils perdent de l'autre. Ce sont ces mêmes gens qui ont détruit la révolution agraire», résumera M. Bendaoud. Et de poursuivre : «Ce sont des barons de l'informel, qui ne peuvent jamais s'inscrire dans une logique de production ou d'exportation. Il n' y a même pas de traçabilité dans le circuit de distribution.» Pour notre expert agricole, il n'aurait pas fallu interdire l'importation sans penser au préalable aux mécanismes de régulation. «En interdisant directement l'importation sans préparation, on n'a fait qu'encourager la volatilité des prix», dira-t-il, notant au passage que les capacités de stockage sont limitées. «On aurait dû penser à l'arrêt des importations lorsque les caisses de l'Etat étaient pleines, en donnant les aides nécessaires aux producteurs de l'amont à l'aval. Mais aujourd'hui, c'est le consommateur qui est privé, puisque la mesure profite aux opportunistes», regrettera M. Bendaoud. Distribution, maillon faible Mais du côté des pouvoirs publics qui n'ont pas encore tranché justement sur les mesures à prendre en matière de restriction des importations, on parle plutôt de régulation. «Nous n'interdisons rien, nous régulons nos importations afin de protéger nos recettes (en devises) affectées par la diminution des cours du baril de pétrole», a déclaré Abdelmadjid Tebboune, ministre par intérim du Commerce, la semaine dernière, annonçant une prochaine réunion avec le Premier ministre sur ce dossier qui fait débat depuis le début de l'année. Au sujet des pommes, il précisera que l'interdiction d'importation «n'a pas été décidée pour priver l'Algérien de ce produit, mais il faut le souligner, cette année, nous avons eu une production extraordinaire en quantité et en qualité». Mais aucun mot sur les prix, alors que du côté du ministre de l'Agriculture, du Développement rural et de la Pêche (MADRP), l'on met en cause le problème de distribution. «La production agricole s'annonce prometteuse en termes de volume et de qualité. C'est une très bonne année. Mais il y a un travail à faire dans le système de distribution. Un problème qui nous dépasse», reconnaîtra Omari Chérif, conseiller au MADRP, pour qui ces limitations de l'importation ne seront que bénéfiques pour le secteur. Des explications qui sont loin de convaincre les commerçants, puisque du côté de l'Association nationale des commerçants et artisans (ANCA), l'on estime que le problème de la hausse des prix réside dans la production et l'approvisionnement. «On ne peut pas garantir la stabilité des prix sans celle de la production et l'organisation des chambres froides. Le déséquilibre était prévisible en diminuant l'importation sans jouer sur la production nationale», fera-t-il remarquer, tout en relevant qu'il y a lieu d'étendre la liste des produits interdits d'importation aux produits de saison, sans toucher les produits de base. Interrogé sur les raisons de la flambée du prix de l'ail, il expliquera que l'origine est liée justement à la baisse de la production nationale qui n'est que de 400 000 quintaux annuellement contre 16 millions de tonnes en Chine. Ce que relèvera aussi M. Bendaoud, selon lequel le créneau de production de l'ail n'intéresse que les saisonniers. «Mais avec les crédits Ansej, les champs d'ail ont été désertés avec le temps», expliquera-t-il. Absence de coordination Le résultat est là aujourd'hui, l'ail au même prix qu'un litre de miel. «Il va encore augmenter dans les prochains jours», avertit d'emblée un marchand de légumes. Cela pour dire que le rythme inflationniste, qui, faut-il le rappeler, atteint les 6,7%, risque fort de s'accélérer, au grand dam des couches défavorisées de la société qui ne vivent que de leur salaire, ou des maigres aides de l'Etat (cas des chômeurs, handicapés...). Le président de l'Association de protection et d'orientation des consommateurs (Apoce), Mustapha Zebdi, affiche son inquiétude, mais aussi son indignation face à l'absence de mécanismes de régulation. «Il faut que les ministères de l'Agriculture et du Commerce trouvent les solutions adéquates. Avant d'interdire l'importation de la pomme par exemple, il fallait définir les priorités et balayer d'abord les spéculateurs», plaide M. Zebdi. Et d'enchaîner : "On est interpellés de partout. On est sous pression en tant qu'Apoce." Un appel adressé directement aux pouvoirs publics. Lesquels promettent par le biais du MAPDR une action de coordination continue. C'est du moins l'engagement du premier responsable du secteur, Abdesslam Chelghoum, lors de sa visite, jeudi dernier, dans la wilaya de Tipasa. Un ministre qui a reconnu l'effet des spéculateurs encouragés par la persistance de l'informel. Marchés de proximité : projets gelés Le gel des projets de réalisation des marchés en raison de la baisse des ressources financières ne fera qu'aggraver la situation. En effet, le nombre de projets de réalisation de marchés couverts, au niveau national, est passé de 291 à 80 marchés, soit uniquement moins du tiers à réaliser. Jusqu'à fin 2016, le nombre de marchés couverts réceptionnés a été de 21 seulement, alors que pas moins de 44 nouveaux marchés informels ont fait leur apparition et 1035 ont été éradiqués depuis le lancement de l'opération de lutte contre ces sites commerciaux illégaux en août 2012, selon un rapport du ministère du Commerce. Par ailleurs, le programme de réalisation des marchés de gros de fruits et légumes à vocation nationale et régionale, confié à l'entreprise publique de réalisation et de gestion des marchés de gros Magros, prévoit la réalisation de huit marchés. Le coût prévisionnel global de ces marchés est estimé à 19,03 milliards de dinars au titre du programme quinquennal 2015-2019. Mais quid des délais de réalisation ? Car, depuis des années, on parle de la nécessité de réorganiser les circuits de distribution via la construction des marchés de gros et de proximité mais les projets piétinent.