Colère et forte émotion ont marqué hier le prononcé du verdict dans l'affaire du détournement de 12 milliards de dinars de l'agence Birkhadem de la Banque algérienne de développement rural (Badr), au tribunal de Bir Mourad Raïs (Alger). La salle d'audience n'arrivait plus à contenir les proches et familles des prévenus, dont beaucoup n'ont pu garder leur sang-froid une fois que la présidente a commencé à lire le verdict. Des peines allant de 2 à 10 ans et une amende de 1 million de dinars pour chacun des mis en cause ont été retenues par le tribunal dans le cadre de cette affaire, jugée les 4 et 5 novembre et mise en délibéré pour le 18 du mois en cours. Ainsi, une peine de 8 ans de prison a été retenue contre Mankhafis Lakhdar, directeur de l'agence de Birkhadem, Saï Mustapha, sous-directeur, Hamou Boukhari, directeur régional d'exploitation, et Zidoune Youcef, patron de Digimex. Une peine de 5 ans a été prononcée contre Ouhrani Sid Ahmed, chef de service de la caisse et du Trésor, Laboun Badaoui, directeur général adjoint, et Djellouli Abderrazak, associé de Zidoune Youcef. Le tribunal a également retenu une peine de 4 ans contre Badri Ferhat, directeur central, Hamlaoui Charef Djamel, sous-directeur central, Naceri Larbi, sous-directeur, et Zaït Ali, sous-directeur régional. Une peine de 3 ans contre Farouk Bouyacoub, président-directeur général de la Badr, Bellarbi Khaled, directeur du financement des petites entreprises, Ameziane Ali, directeur général adjoint, Guessas Boualem, Ladjali Aïssa, Kacemi M'hamed et Choumane Nacer des associés, employés et prête-noms du patron de Digimex. Une peine de 2 ans a été en outre prononcée contre Bouabdellah Messaoud, Brahim Souhil, Zahi Réda et Rabah Bouamra. Pour ce qui est des personnes en fuite, en l'occurrence Hamel Loucif et Bouguerra Abdelkrim, le tribunal a prononcé à leur encontre la peine maximale (10 ans). Le ministère public avait lors de son réquisitoire demandé sept peines de dix ans, onze autres de huit et sept de 6 ans, assorties d'une amende de 1 milliard de dinars pour chacun des cadres de la Badr et des responsables du groupe Digimex. Ce scandale concerne, selon l'expertise financière, le détournement de près de 12 milliards de dinars, détournés sous forme de crédits accordés par l'agence Badr de Birkhadem au groupe Digimex. Vingt-quatre personnes, dont seize cadres de la Badr, ont été inculpées dans le cadre de cette affaire pour dilapidation des deniers publics, escroquerie et faux et usage de faux, parmi lesquelles 9 étaient placées en détention préventive, 14 sous contrôle judiciaire, alors que deux autres se trouvent toujours en fuite. L'affaire porte sur de graves défaillances au niveau de la gestion des octrois des crédits par l'agence de la Badr de Birkhadem au profit du patron du groupe Digimex, lequel aurait également escompté des traites impayées dépassant les centaines de millions de dinars. Ces opérations financières ont eu lieu de 2002 jusqu'à juillet 2005, lorsque les services de police ont découvert le pot aux roses. Les missions d'inspection internes n'ont rien décelé. Le procès de cette affaire n'a malheureusement pas aidé à l'éclatement de la vérité. Au box des accusés, les cadres la Badr ainsi que le patron de Digimex, Zidoune Youcef, un richissime commerçant de Blida, très proche du MSP, ont tous rejeté les faits qui leur sont reprochés. Le client le plus « clean » En dehors des défaillances relevées dans le système de contrôle de gestion des banques, les deux journées d'audition et de plaidoirie n'ont pas permis de situer clairement les responsabilités et les complicités ayant aidé à saigner la Badr, pour lui causer un préjudice de 12 milliards de dinars. Les 13 cadres de la Badr cités dans ce scandale ont surpris par leur stratégie de défense. Ceux de la direction générale ont rejeté la balle sur leurs collègues de Birkhadem et ces derniers ont plutôt estimé que leurs actes étaient contrôlés par la centrale. Du mois d'avril 2002 jusqu'en juillet 2005, aucune visite d'inspection n'a relevé une quelconque défaillance dans la gestion des lignes de crédit, des lignes d'escompte ou des chèques certifiés. Mieux, ces missions de contrôle ont présenté dans leurs différents rapports le groupe Digimex comme étant un client des plus « clean ». Lors des plaidoiries qui se sont poursuivies vendredi jusqu'à 22h, les avocats ont fait remarquer que Digimex a bénéficié de 40 autorisations et lignes de crédit actualisées entre 2002 et 2005 et aucun effet n'est retourné. La défense a tenté d'expliquer ce qui s'est passé, en révélant que lorsque le nouveau directeur général de l'agence de Birkhadem, installé en mai 2005, a annulé les lignes de crédit valables jusqu'au 31 décembre 2005 « d'une façon arbitraire », il a rompu un maillon de la chaîne. Ce qui a provoqué le retour des traites impayées lesquelles ont été escomptées en juin, juillet, août et septembre 2005. Ces traites, ont expliqué les avocats, auraient dû trouver des lignes d'escompte pour éviter cette situation. Pour la défense, il n'y a pas eu de dépassement d'escompte, mais plutôt une chute de traites, précisant au passage que les rapports des missions de l'inspection des finances en 2004 n'ont à aucun moment relevé de dépassements d'escompte ou de crédits. Les avocats ont noté que la banque aurait dû accompagner le groupe Digimex pour éviter une telle situation à travers la désignation d'un administrateur afin de prendre les hypothèques dans la mesure où le patron du groupe, Zidoune Youcef , a de tout temps affirmé qu'il a les moyens de régler ses dettes. De nombreux avocats, notamment des cadres de l'agence de Birkhadem, ont plaidé l'innocence de leurs mandants, estimant que les crédits dépassant le montant de 350 millions de dinars ne relèvent pas de leur ressort, mais de la direction générale de la Badr. Ils ont estimé que tous leurs actes de gestion sont passés au peigne fin par l'inspection générale et jamais ces missions de contrôle n'ont décelé une quelconque anomalie. Ce procès, faut-il le préciser, n'a pas élucidé le cheminement des 12 milliards de dinars, encore moins les moyens de leur récupération par la banque.