Les prénoms d'origine berbère ne font pas encore l'unanimité et continuent encore de subir les aléas de la bureaucratie, les premiers cette fois-ci à se plaindre de cet état de fait ne sont autres que les dirigeants d'une institution de l'Etat algérien, à savoir le HCA (Hautcommissariat à l'amazighité). Ainsi quatre années après la constitutionnalisation de tamazight en tant que langue et vecteur de la culture nationale, des parents se voient toujours refuser au niveau de l'état civil des APC l'inscription de leurs fils ou fille nouveau-nés au motif que le prénom proposé ne figure pas sur la nomenclature élaborée par les pouvoirs publics ou bien, carrément, il est reproché aux parents de proposer des prénoms à « consonance étrangère ». Si nul ne peut nier l'exclusive dont a souffert longtemps le pouvoir de nomination des Algériens, auxquels on a imposé de faire porter à leur progéniture un prénom qui n'était pas de leur choix, à l'heure où la revendication amazighe a gagné nombre d'espaces institutionnels et surtout dans les esprits, le temps est peut-être venu de faire son autocritique afin d'examiner avec sérénité ces blocages récurrents, qui continuent tout de même alimenter une malsaine polémique. Un rapide tour d'horizon peut révéler la tendance générale qui prévaut dans les franges de cette société qui aspire à faire revivifier la filiation ancestrale. Il est quand même curieux de relever que la majorité de nos chefs de famille préfèrent opter pour un prénom berbère mais sous sa forme latinisée. Ainsi on appellera du nom de Juba en souvenir du roi berbère de la Maurétanie césaréenne. Le simple examen de ce prénom révèle la présence d'une voyelle non attestée en langue berbère. C'est le « U » dejujubier par exemple. En berbère cette voyelle est rendue par le phonème « ou » comme dans « Mouloud ». Nous nous ne sommes pas assez outillé pour dire quelle est la forme primitive de ce nom — ce travail appartient aux spécialistes, mais il nous semble, que le simple bon sens, dictera d'orthographier ce prénom en Youba au lieu de Juba. Par ailleurs, la même approche erronée est appliquée à des noms encore plus prestigieux qui ont même fait leur entrée dans l'imaginaire national Jugurtha et Massinissa. Tout le monde sait que le prénom Jugurtha n'est que la forme romanisée de « Yougourthen » qui signifie « le plus grand » un peu l'équivalent de « Amokrane », un prénom attesté dans tout le domaine berbère. Idir a, du reste fait une belle chanson sur ce héros qui a combattu jusqu'à la mort l'impérialisme romain. Par ailleurs, on admet généralement que Massinissa vient d'une forme primitive qui est Massensen qui signifierait « Maître de la cité ». Or dans la pratique, ce sont les formes latinisées telles que rapportées par les auteurs gréco-latins de l'Antiquité qui ont cours dans nos chaumières. Toujours est-il qu'à la forme Jugurtha, correspond une forme arabisée qui est Jugurtha (Cf. C. Sahli Le Message de Yonghourta. Que cela soit dit en passant, cette forme arabisée est plus proche du berbère que ne l'est Jugurtha (avec cette voyelle « u » encore dédoublée). Si donc les noms de Massinissa et Jugurtha semblent être mieux « acceptés » dans le contexte socioculturel qui est le nôtre, cela est dû à la place qu'ils occupent dans l'Histoire nationale, et probablement aussi à leur dimension mythique. Ce qui explique que dans ce cas précis, on s'embarrassera nullement de chercher la forme adéquate puisque le poids du personnage (Massinissa ou Jugurtha) suffit à légitimer la nomination. Aussi le Printemps noir en Kabylie a-t-il donné la preuve qu'un prénom, aussi déformé soit-il, peut être investi socialement et surtout positivement de sorte qu'il est à peu près difficile aujourd'hui de faire admettre àquiconque que la forme « Massinissa » dérive de « Massensen ». Entre-temps, la figure emblématique de Guermah Massinissa, symbole de la révolte, était venue s'y interposer, d'où l'investissement affectif entourant ce nom. Qu'est-ce qui se passe alors ? Ne faut-il pas admettre qu'en dehors de cette exception qui touche les deux Aguellids numides, les prénoms berbères qui sont identifiés comme tels par les parents sont la plupart du temps, déclinés dans des désinences franchement latines. Il y a vraiment de quoi douter lorsqu'on entend nos enfants appelés des noms des Cécilia, Massiva, Gala, Micipsa pour ce citer que ceux-là. Le propos n'est pas de réfuter l'origine amazighe de ces noms mais de s'interroger sur la forme dont ils sont rendus. De toute cette liste, Micipsa semble être le nom qui a le plus subi de corruption. Au premier abord on peut dénicher cette consonne intruse : le « P » inexistant en berbère. Sommes-nous à ce point en présence d'un prénom qui dériverait de Miciben, ou Massebsen ? Encore une fois, laissons le soin aux spécialistes d'y répondre. L'Espagne musulmane nous a légué nombre de personnages illustres dont le nom arabe, berbère ou perse possède son équivalent latin. Ainsi Ibn Sina et Ibn Rochd nous sont connus respectivement sous le nom d'Avicenne et d'Averroès. Même si l'époque en question est plus récente relativement à la période numide, il ne faut pas nier l'apport des sources écrites arabes qui ont perpétué le nom de tous ces hommes et femmes qui ont fait la gloire de l'Andalousie. A contrario, au regard de la nature exclusivement orale de sa transmission, le Berbère n'a pas connu une telle évolution. Quand aujourd'hui des gens émettent le désir légitime du reste de nommer leur enfant du nom de Micipsa, ils sont loin de soupçonner que le nom en question est une vieille relique du nom originel. Ce nom, ils l'ont trouvé dans les livres d'histoire écrits par les écrivains latins repris ensuite à travers des siècles par la série d'autres écrivains européens (français, espagnols, anglais, etc) et très tardivement algériens, qui ont tous disserté sur l'histoire de l'Afrique du Nord. Et en ce cas précisément, quelqu'un qui ne se serait jamais intéressé à ces livres et récits de voyage, n'aura aucune peine à trouver « étranger » le nom de Micipsa par exemple. Quelque part, il n'a pas tout à fait tort. Car souvent, même, si on ne connaît pas un prénom bien déterminé, on peut deviner s'il est arabe ou berbère rien qu'à sa phonation. Quelle réaction éprouvera un préposé au guichet d'une municipalité d'Arabie Saoudite si un citoyen vient déclarer une naissance d'un enfant qu'il voudra appeler Abencerage en souvenir d'Abou Sarradj, illustre dynaste andalou ? C'est réellement ce qui se passe en Algérie, quand on donne le nom de Juba, c'est comme si on s'évertuait à donner le nom latinisé d'Avicenne à quelqu'un qu'on voudrait nommer Ibn Sina. Cela dit, il n'y a pas que les noms berbères à désinence latine qui soient prisés par nos concitoyens, un emploi même massif d'un nom, on ne peut plus arabe, est observé. Il s'agit du prénom Kahina qui signifie à peu près « Prophétesse ». Pourtant même négativement connoté au point de vue srictement religieux en ce qu'il renvoie au paganisme, le prénom Kahina ne rencontre jamais de problème au niveau de l'administration. Il a son équivalent réel ou supposé : Dihya. Mais ce prénom de la reine des Idjerouiyen de l'Aurès n'est que rarement utilisé d'après nos propres recoupements. Nous connaissons tout de même une chanteuse chaouie qui le porte mais une association de la même région a préféré la version arabisée en se dénommant « Aures El Kahina ». Du reste le nom de la célèbre résistante qui avait tenu tête à Okba Ibn Nafea est d'un emploi fréquent aussi bien dans le massif aurésien qu'en Kabylie. A notre connaissance Kahina est avec Kocéila, les seuls personnages datant de la période médiévale musulmane, dont le désir de perpétuer le nom soit avéré. Un nom comme Yaghmoracen, porté par un roi zianide berbère de Tlemcen, dont la forme originelle semble être bien conservée, ne suscite guère d'intérêt. Consolation peut-être, une réhabilitation institutionnelle est signalée à l'horizon, puisque quelques établissements en Oranie portent son nom. Question : Faut-il voir réellement uniquement de l'ignorance — au-delà de la dimension anthropologique que pourrait recouvrir cette pratique dans une société profondément et matériellement transformée - quant à l'emploi de ces formes extérieures à la langue berbère ? C'est cette question qui a motivé le présent écrit, qui veut attirer l'attention sur le fait qu'il reste un minutieux travail d'analyse à faire. Quelle est par exemple la part que prend la francophonie dont personne ne pourrait nier l'influence sur la société magrébine, en général, et berbère, en particulier, dans ce rêve collectif porté par le fulgurant mouvement tendant vers le retour de soi à soi ? De nos jours, il y a des prénoms en Kabylie par exemple qui souffre de leur trop-plein de kabylité, à l'image de Sekoura, Meziane ou Akli. C'est pourquoi, chaque jour, leur chance de trouver preneurs s'amenuise de plus en plus.