Journaliste émérite et patriote engagé, Abdelkrim Djillali est mort hier matin dans une clinique à Alger, après s'être longtemps battu contre la maladie dans l'indifférence de la corporation. Il s'était illustré par une série de reportages sur les Patriotes, auprès desquels il a vécu pendant des mois, pour témoigner de leur héroïsme à défendre la République. Il les avait aidés à créer une association, Les Patriotes de la Mitidja, dédiée à la solidarité envers cette corporation qui a tant donné au pays et à la mémoire pour écrire cette décennie rouge pour les générations futures. Sans faire de bruit, après avoir lutté avec courage contre sa lourde maladie, le journaliste Abdelkrim Djillali a fini par rendre l'âme tôt dans la matinée d'hier, dans une clinique à Alger. Homme de plume émérite, très apprécié de ses confrères pour son humilité, il incarne pour beaucoup l'intégrité et la sagesse, mais surtout le patriotisme. Après un long passage à la revue L'Unité, il avait rejoint l'hebdomadaire Algérie Actualités, puis Le Siècle et collaboré dans de nombreux journaux, dont Le Matin et El Watan, avant d'atterrir à la Télévision algérienne, d'où il a pris sa retraite. Krimo, comme aiment à le surnommer ses confrères, n'était pas un journaliste ordinaire. Issu du quartier populaire de Bab El Oued, ancien élève du lycée Emir Abdelkader, il savait se fondre dans la masse pour mieux mesurer la température ambiante et la décrire. Krimo, c'est aussi l'incarnation de l'engagement patriotique. Au moment où des voix qualifiaient les Patriotes — ces hommes qui avaient pris les armes pour défendre leurs familles des attaques sanguinaires des groupes islamistes armés — de «mercenaires recrutés dans le milieu de la pègre», Krimo avait fait la tournée des villages de la Mitidja et rencontré ces hommes avec lesquels il a vécu durant des mois la peur des attaques terroristes, des massacres collectifs et des embuscades. Il a vu certains mourir, d'autres être amputés et beaucoup affectés par la maladie. Ces hommes étaient pour lui les gardiens de la République qui ont constitué un rempart contre les groupes terroristes. Il a immortalisé cette expérience par une série de reportages, puis par un livre intitulé Le temps des Patriotes. Ces derniers deviennent sa deuxième famille, pour ne pas dire la première vu le temps qu'il a passé avec eux dans les maquis. C'était durant les années 1994-1996, une période où les assassinats de journalistes et d'intellectuels, les tueries collectives, les attentats à la bombe et les enlèvements faisaient le quotidien des Algériens. Grâce à leur dévouement, les Patriotes de la Mitidja, de Médéa, de Chlef, de l'Ouarsenis et des autres régions du pays se réapproprièrent les terrains qui servaient de base arrière aux groupes terroristes. La victoire sur les semeurs de la mort approchait. Au centre de cette dynamique, Krimo ne pouvait rester à l'écart. Témoin privilégié, ses reportages palpitants mettaient le lecteur dans cette ambiance de peur, de sacrifice, de terreur, de deuil mais aussi de joie et de satisfaction. Ses écrits n'étaient en réalité qu'un hommage à tous ces hommes et toutes ces femmes restés debout pour que la République ne sombre pas. Avec les élections législatives et surtout l'implantation progressive des forces de sécurité dans les villages et la démobilisation des civils, Krimo pensait déjà à l'après-terrorisme. Son souci était de maintenir la solidarité avec les Patriotes et de les aider à s'organiser autour d'une association axée sur la mémoire. Il ne voulait surtout pas que ces milliers d'hommes versent dans les revendications matérielles. D'autant qu'à l'époque, les partisans du «qui-tue-qui ?», à partir des capitales européennes, qualifiaient les héros de cette résistance populaire de «seigneurs de la guerre». Son recul de journaliste et sa sagesse ont beaucoup aidé dans l'élaboration du statut de cette association locale dont il sera le président jusqu'à sa mort. Il conseillait toujours aux Patriotes des autres régions de s'organiser de la même manière, pour aboutir à la fin à une fédération dédiée à la solidarité et à la mémoire. En 2003, Krimo se lance dans les documentaires et c'est au profit de la Télévision qu'il a réalisé un document-témoignage sur la Guerre de Libération, diffusé à l'occasion de l'Année de l'Algérie en France. En 2005, il organise une exposition de photos très particulières qui a rassemblé des œuvres de photographes de la période de la Guerre de Libération et ceux de la nouvelle génération. Malgré sa lourde maladie, il a tenu à prendre part, en 2011, à une enquête sur l'enlèvement des moines de Tibhirine, à Médéa. A pied, il a fait des kilomètres pour atteindre les anciens maquis des terroristes, où étaient détenus les religieux avant d'être exécutés, et entend, durant des heures, des témoins oculaires dans le cadre d'un reportage pour la Télévision algérienne qui n'a jamais été diffusé. Seul, dans le silence le plus total, Krimo se battait contre la maladie qui le rongeait chaque jour un peu plus. N'ayant pu obtenir une prise en charge à l'étranger, c'est sa famille et des proches qui l'aidèrent à se faire soigner. Après un long séjour dans un hôpital parisien, il revient au pays. Quelque temps après, alors qu'il devait repartir en France pour des soins, le visa lui a été refusé. Son état s'est dégradé ces derniers jours et nécessitait une opération chirurgicale assez délicate qu'il n'a pu faire. Il est parti sur la pointe des pieds, hier matin, au service de réanimation d'une clinique à Alger. Sa disparition est une grande perte pour la corporation auprès de laquelle il n'a pas trouvé d'aide.