- L'Algérie compte lancer un méga-appel d'offres pour la production de 4000 Mégawatts d'origine renouvelable. A votre avis, ce nouveau programme serait-il annonciateur d'une nouvelle politique énergétique à même de rompre avec l'économie de rente ? Il est difficile de donner une appréciation positive sur le lancement du projet 4000 MW. En effet, les reports successifs et la recherche d'une procédure d'appel d'offres qui n'a pas vu le jour avaient fini par décourager les investisseurs potentiels. Le dernier changement qui charge le ministère de l'Environnement, de la Promotion et du Développement des énergies renouvelables (ENR) peut être annonciateur d'une nouvelle formule plus efficace. Ceci dans la mesure où le nouveau ministère prendrait en considération les erreurs du passé. Cela voudrait être annonciateur d'une véritable prise en charge des contraintes objectives qui ont miné les objectifs du gouvernement depuis 2011. La rupture avec l'économie de rente est un des buts recherchés. Il faut savoir qu'il y a aussi une rupture totale en matière de consommation énergétique. La transition énergétique à pas forcés le prouve. Le projet 4000 MW n'était pas à la dimension aussi de nos engagements pour le développement durable, pris à la Conférence de Paris (COP21). - Quel doit être la contribution des énergies renouvelables au mix énergétique national ? La contribution des énergies renouvelables au mix énergétique national doit être appréhendée par le modèle de consommation énergétique national. Ce modèle doit définir et arrêter nos besoins énergétiques : thermique et électrique, pour tous les usages énergétiques, l'électricité n'en représentant que 30%. La demande doit être évaluée à l'aune de l'efficacité énergétique. Elle aboutira à une consommation normalisée par habitant. Il faut intégrer les usages aussi bien domestiques, qu'industriels et des services. Il faudrait après cela définir les ressources énergétiques les plus propres pour respecter les engagements de la COP21. Il faut naturellement intégrer les paramètres coûts, sécurité énergétique, indépendance énergétique, etc. Vous obtiendrez après cela le mix énergétique le plus adapté. C'est ainsi que le programme actuel a arrêté une part d'ENR de 27% sur les besoins électriques, seulement à l'horizon 2030. Ce programme peut paraître ambitieux au vu du taux de réalisation actuel (insignifiant), pour le porter au niveau correspondant à nos engagements. Nous sommes en mesure de le concrétiser. - Ne pensez-vous pas qu'il faudrait mettre en place une réglementation avantageuse en matière d'investissement et de production de l'énergie renouvelable ? Bien sûr qu'il faut mettre en place une réglementation, mais surtout réformer le système à même de faciliter l'investissement dans ce domaine. Il faut savoir qu'un programme de 22 000 MW nécessite près de 90 milliards de dollars pour sa réalisation. La réglementation par des tarifs de rachat n'a pas suivi. Les coûts des ENR ont connu une forte baisse ; aujourd'hui, 1 KWh à partir d'ENR est moins cher que chez Sonelgaz. Il est plus facile d'élaborer une grille de tarifs de rachat. Si en plus, nous réformons le transfert social en ciblant les couches sociales nécessiteuses, nous serons en mesure de régler par la même le financement de ce programme. En effet, le fait de déplacer la production actuelle d'électricité de Sonelgaz à partir du gaz (turbines à gaz) par des systèmes hybrides solaire (thermique et photovoltaïque) et gaz torché, cela nous apporterait un gain important. Pour 20 000 MW de capacité de turbines gaz produisant de l'électricité de Sonelgaz, nous consommons près de 35 milliards m3/an de gaz naturel. Le fait de ne pas alimenter le marché national avec ce gaz permet de récupérer la subvention accordée au gaz, soit près de 10 milliards de dollars par an. Par ce biais, nous trouvons même le moyen de financer le programme national d'ENR. Nous pourrons donc effectivement respecter nos engagements de Paris. De plus, nous mettrons un volume de gaz à l'export de 35 milliards, sans aucun investissement pour le récupérer. Alors que l'alternative gaz de schiste (à garder pour les générations futures) nous aurait coûté près de 300 milliards de dollars, comme avancé à l'époque, pour des quantités de 20 milliards m3/an de gaz. - L'actuelle politique de subvention aux produits énergétiques n'est-elle pas un frein à l'investissement et à la rentabilité des investissements ? Il faut savoir que les subventions à l'énergie ont coûté 15 milliards de dollars en 2016 et au rythme de consommation actuel, elles atteindront près de 60 milliards de dollars en 2030. C'est vrai que les tarifs de l'électricité actuels ne permettent pas à Sonelgaz d'atteindre une rentabilité minimum dans ces investissements dans les turbines à gaz. Il est clair aussi qu'auparavant avec des coûts plus élevés qu'aujourd'hui, les ENR n'avaient pas de place sans des mesures incitatives. Actuellement, les choses ont changé, comme expliqué plus haut. Mais le véritable frein à l'investissement reste le même. Les ENR souffrent des mêmes contraintes que les autres investissements nationaux. C'est pour cela que nous appelons à revoir les subventions, elles entraînent un gaspillage énorme. La consommation normalisée des ménages devrait être la moitié de la consommation actuelle. L'industrie n'est pas en reste. Il faut prévoir des mesures incitatives à la réduction de la consommation industrielle en électricité et en gaz. Les crédits «carbone» peuvent être une solution. Il faut donc aussi faire les réformes nécessaires pour faciliter l'investissement, tout le monde le dit et les propositions dans ce sens sont nombreuses. - Comment voyez-vous les défis qui s'offrent à l'Algérie en matière de transition énergétique, à l'heure où la rentabilité du baril de pétrole est mise à rude épreuve et où l'économie algérienne est fortement pénalisée par la chute des cours ? Les défis pour une diversification de notre économie doivent répondre aux objectifs suivants : permettre le respect des engagements pris lors de la COP21, rationaliser la consommation électrique nationale, permettre de faire face aux besoins énergétiques de l'industrie nationale et gérer au lieu de subir la transition énergétique. Il est évident qu'il faut mobiliser d'abord les ressources humaines pour cela. Nos experts existent, il n'y a pas de problème pour cette ressource. Je reste très optimiste quant à relever tous ces défis. Nos potentiels sont réels. Il faut arrêter de se fixer sur l'évolution du prix du pétrole. Un adage dit : «Noé n'aurait jamais pu construire son Arche sous les eaux.» De même plusieurs experts mondiaux ont dit : «Les pays dominants demain seront ceux qui possèdent le soleil et le savoir. Il ne s'agit pas de faire comme Abdallah, le roi de Grenade, qui s'est mis à pleurer en quittant Grenade défait par les troupes espagnoles.»