8. Les promoteurs de l'Etat d'Israël ont pensé que l'arme atomique suffirait à terroriser et geler le Moyen-Orient. Ils ont donc doté cette chimère politique de l'armement nucléaire. Mais les peuples du Moyen-Orient regardent les informations, l'actualité et savent qu'il y a eu Hiroshima et Nagasaki, puisqu'il y a le Japon riche et prospère d'aujourd'hui. Ils savent qu'il y a eu Tchernobyl et que la vie a repris et continue en Ukraine. Ils savent que l'etat nucléaire et raciste de l'Afrique du Sud a dû désarmer et redevenir un etat normal. Ils savent qu'une guerre nucléaire au Moyen-Orient se déroulerait aux frontières mêmes d'Israël, un pays de superficie réduite, sans profondeur stratégique, qui ne pourra pas utiliser l'armement atomique autrement que comme « chant du cygne noir ». Et après sa mort suicidaire, la vie reprendrait petit à petit dans la paix et la prospérité revenue. C'est devant ce constat d'échec d'une politique diligentée pendant plus de soixante ans contre les Arabes que les empires coloniaux, recomposés en empires néo-coloniaux, sont arrivés à la conclusion que les ensembles politiques imposés aux peuples arabes à l'aube du XXe siècle étaient trop étendus, trop peuplés. La solution serait selon ces stratèges Folamour de notre temps de recomposer le Moyen-Orient en une multitude de petits pays opposés les uns aux autres par la tendance religieuse, par les us et coutumes, par des contradictions économiques, par des litiges territoriaux, par des conflits dynastiques, etc. Comme d'habitude, l'opération devrait être menée sous couvert de « démocratisation à l'américaine ». Concrètement, il s'agissait d'isoler du réseau financier mondial tous les régimes démocratiquement élus qui refuseront le parrainage des USA et de l'Europe néo-coloniale ; il s'agit de les saboter par tous les moyens possibles. Il fallait attaquer le Liban pour le casser, le morceler. Dans la configuration de morcellement poussé, l'etat d'Israël aurait sa place. Certains petits etats iront même solliciter son aide contre le coreligionnaire, le consanguin transformé en ennemi : cela s'est vu dans les micro-etats de l'Espagne arabe décadente. Ce raisonnement s'est aussi imposé aux USA parce qu'ils ont constaté que, dans la configuration actuelle, le temps a joué contre eux au Moyen-Orient. Les pauvres se multipliant beaucoup plus vite que les riches, les chiites du Liban approchent la majorité de la population du pays. Ils sont suivis par les sunnites. Les chrétiens ne sont plus la partie majoritaire. De plus, nombreux sont parmi les chrétiens qui se sentent Arabes avant d'être les alliés des USA ou même de la France. Ils ont vécu le drame palestinien en voisins. Ils accueillent sur leur territoire plus de 500 000 réfugiés palestiniens qui attendent de retourner dans leur pays. Avec le temps, à travers les crises et même des guerres civiles, voire des ralliements partiels à Israël dont ils ont gardé le goût amer du sentiment de trahison, les dix-sept communautés qui forment le Liban se sont soudées. Quand l'Occident est l'allié d'un pouvoir fort, même s'il l'a imposé par la force, il le fragilise en critiquant son « manque de démocratie », le « mauvais respect des droits de l'homme », etc. Les oppositions « démocratiques » sont soutenues en sous-main mais pas au point de prendre le pouvoir. Ce soutien sert à garder la pression sur « le pouvoir ami ». En effet, si ce pouvoir fort renforce son assise, il deviendra de plus en plus revendicatif dans l'arène internationale, de plus en plus nationaliste… par la force des choses, il risque de se retourner contre son maître d'hier : combien de fois les USA ont dû intervenir en Amérique latine contre des dictateurs qu'ils avaient placés et qui ont pris un air d'indépendance ; Ben Laden a bien été un salarié de la CIA en Afghanistan. C'est pour se prévenir contre ce type un peu spécial de conflits salariaux que les puissances dominantes doivent maintenir leurs marionnettes en état de fragilité relative. Mais quand l'Occident a en face de lui un pouvoir nettement démocratique qui suit la volonté populaire et qui ne reconnaît pas la légitimité d'Israël, alors il finance toutes sortes de généraux, de subversions contre l'« extrémisme » prétendu de ce régime. Peu chaut si comme en Iran, ce régime a une solide base sociale pour son action de justice économique. Peu chaut que ce régime fasse vraiment progresser les sciences et la technologie pour le bien-être de son peuple. Et si la sédition ne marche pas, l'Occident cherche le conflit militaire direct. C'était le cas avec l'Afghanistan et l'Irak. C'est le cas avec l'Iran et la Corée du Nord. C'est le projet proche pour la Syrie. Après-demain, ce sera le cas avec le Pakistan, l'Algérie et l'Egypte. Voilà le tableau général et voilà les perspectives stratégiques de l'Occident dans lesquelles a pris place la guerre du Liban, la dernière des guerres du Moyen-Orient. Supervisée par les USA, politiquement et comme toujours militairement, y compris au niveau de la fourniture d'urgence d'armement interdits pour surmonter des difficultés imprévues rencontrées sur le terrain. Les buts de la guerre étaient les suivants : Compenser les difficultés rencontrées en irak. Cette intervention avait été considérée comme la solution ! Trois mille victimes américaines plus tard, cela s'est avéré faux. Alors, la fuite en avant s'est imposée : la destruction de la société libanaise en une multitude de petites entités étatiques antagonistes, inféodées aux USA et donc à Israël. Cela permettait aussi de récupérer les eaux du Litani qui viendraient s'ajouter à la nappe phréatique de la zone des fermes de Chebaâ contrôlées depuis 1967. Cela aurait aussi permis de tester contre la milice locale du Sud (Hezbollah) partiellement occupé la future action contre l'Iran qui est un appui solide des forces anti-israéliennes. Enfin, Beyrouth est un centre financier important et un port qui sert de poumon tout le Moyen-Orient. Cela aurait dû faire péricliter cette économie et aurait dû booster l'économie d'Israël. Il y a une pause dans les événements du Liban. On peut faire un point pour voir si Israël a atteint ses objectifs et pour tenter d'imaginer la suite des événements. Au plus fort de l'invasion israélienne, nous avons considéré que l'objectif principal d'Israël était l'éclatement de l'entité libanaise dans le cadre de la politique américaine de remembrement du Moyen-Orient. Nous avons donc recherché l'opinion des Libanais ? Mais nous n'avions pas la possibilité d'aller sur place. Nous avons décidé de travailler la question par le biais d'Internet et aussi en explorant la planète libanaise à travers l'importante communauté qui vit en France. C'est dans ce contexte que nous avons voulu savoir si les USA et Israël avaient réussi à affaiblir la société libanaise. Paris est un petit Beyrouth. Et nous avons fait une enquête dans ce petit Liban. Qui a fait quoi ? Comment la société libanaise a réagi ? Quel est le bilan de cette agression ? Comment les protagonistes extérieurs à la région tentent-ils d'atteindre leurs objectifs ? Pour la romancière et poétesse libanaise Vénus Khoury-Ghata, chrétienne maronite, un des buts de l'agression israélienne était de casser la société solidarité et l'entité nationale du Liban en opposant les minorités les unes aux autres : « Kissinger, il y a 25 ou 30 ans, avait ce rêve de démanteler ce Proche-Orient et en faire des mini-etats religieux : chiite, sunnite, alaouite, maronite, etc. en présence d'un Etat juif voisin. Tant que les autres arabes demeureront liés et formeront une entité arabe, il n'y aurait pas de possibilité de vie, d'existence pour Israël. Maintenant, je vois très bien que certaines forces internationales veulent imposer un Etat chiite qui s'étendrait jusqu'à Beyrouth incluse, et après ce serait un Etat maronite, un Etat chrétien… C'est la politique américaine de ces trente dernières années qui continue, et c'est terrible d'imaginer qu'il y aurait un jour un etat chrétien de 45 km2, ouvert vers la mer, sans avoir de partenaires commerciaux à l'intérieur des terres, un etat alaouite, un etat sunnite, un etat chiite,… ce qui fait qu'il n'aurait pas la chance de survie. Les libanais chrétiens seraient obligés comme ils l'ont fait en 1860 après le génocide par les druzes, d'émigrer, de quitter le Liban. Dans le temps, on se sentait chrétien avant de se sentir libanais. Maintenant, on se sent d'abord libanais. Il y a eu la révolution du 14 mars qui fut très importante où chrétiens, sunnites, druzes, etc. se sont rassemblés pour recréer ce Liban multiconfessionnel qui a vécu longtemps très bien et qui aurait pu continuer à vivre s'il n'y avait pas eu le problème palestinien à résoudre. S'il n'y avait pas eu de problème palestinien qui est devenu une force interne dans l'état comme le sont les chiites maintenant, nous n'aurions pas eu de guerre civile entre nous. On s'entendait très bien les diverses communautés. Vous grattez un peu, le sunnite oublie qu'il est libanais, il se joint aux palestiniens et c'est le retour au communautarisme. Mais ce qui est terrible pour le Liban, je considère honteux d'imposer toujours un président de la république maronite, un président de la chambre chiite, un président du parlement sunnite, et de continuer à penser comme ça. Il faut dire qu'au Liban, il y a toujours cette mention de la religion dans les documents d'identité. On a beau l'enlever de notre tête. Je suis chrétienne, mariée à un musulman sunnite Ghata, d'origine albanaise et ma fille est mariée à un juif ; nous nous sentons comme des gens laïcs n'observant aucune religion. On croit en Dieu et cela suffit. » Sur un ton d'amertume, la romancière confiera : « J'ai trois enfants d'un premier mariage qui vivent au Liban, et quand je leur dis de venir s'établir en France, ils me répondent non, que c'est notre pays le Liban, nous allons vivre avec lui, et s'il meurt, nous mourrons avec lui. » A ce propos, d'ailleurs, la société libanaise serait prête à retirer la mention confessionnelle des pièces d'identité. Les gens instruits, les gens cultivés y sont favorables. Concernant le renforcement de la Finul au Liban, elle doutera de sa mission : « Je ne sais pas ce que ça va donner. Je trouve magnifique que ce soit à l'initiative française que les combats se sont arrêtés. Si on se remettait à Bush, rien ne se serait arrêté, tout le Liban aurait été pulvérisé, et pas uniquement le Liban. Israël, quant à lui, a d'autres objectifs : capter l'eau du Liban. il y a trente ans, en France, invitée par l'épouse d'un député mauricien, quelqu'un se présente à moi comme étant le directeur de l'office du Litani, un fleuve totalement enclavé dans le Liban. Je pensais qu'il était libanais, c'était un israélien. Donc, il y a trente ans, ils avaient créé un office du Litani chez eux pour voir déjà comment se l'accaparer. Vous imaginez le cynisme de ces gens. » Pierre Salem est médecin à Paris. Il fut le conseiller de Raymond Eddé, le dirigeant du parti du front national du Liban. Pour Pierre Salem, un chrétien maronite : « Ce qui est important, c'est la libération des fermes de Chebaâ par les israéliens. Chebaâ est dans le Liban depuis 1862. Israël, aujourd'hui, dit : ‘‘Chebaâ n'est pas libanais'' pour justifier la non-application de la résolution entière 425 de l'Onu qui dicte aux forces israéliennes de quitter le Liban. Il ne s'est pas retiré de Chebaâ. En 1954, il y a eu entre les arabes un pacte, Edifaâ El Arabi El Mouchtarak, la défense arabe commune. Les unités syriennes ont été autorisées de stationner à Chebaâ. Lorsqu'elles ont été délogées en 1967, Israël a mis la main sur Chebaâ. Les Nations unies disent que Chebaâ relève de la résolution 224 (de 1967), le Liban dit : ‘‘ça fait partie intégrante du pays et donc il faut qu'Israël quitte Chebaâ.'' Je suis fier du travail accompli par le Hezbollah, mais si je suis pour le désarmement du Hezbollah et l'envoi de l'armée dans le Sud-Liban, c'est parce qu'on ne peut pas avoir un Etat dans l'Etat. La présence du Hezbollah, pour moi, donne à Israël, et donnera toujours à Israël le prétexte de revenir dans le Liban-Sud. Je dirais même plus que ça : Israël ne veut même pas qu'on désarme le hezbollah. Dans ses premières déclarations, Ehmut Olmert, le Premier ministre israélien, au début de la guerre n'a jamais dit : ‘‘je veux désarmer le Hezbollah''. Il a dit : ‘‘je veux repousser le Hezbollah au nord du Litani''. C'est en fait pour récupérer tout un territoire au sud du Litani et s'approprier l'eau de ce territoire. » Le Hezbollah fait l'affaire des israéliens. Ça leur donne le prétexte d'envahir le Liban quand ils le veulent. Israël veut même punir le Liban par la guerre. Et il y a plusieurs raisons à cela. 1- la question de l'eau. 2- la question des palestiniens : 500 000 Palestiniens qui veulent revenir chez eux et qu'Israël veut fixer définitivement au Liban. Israël veut annuler l'application de la résolution 194 de l'Onu qui implique le droit au retour de 1949. Le problème de l'eau est aussi vieux que la création d'Israël. « Sans accord sur l'eau, il n'y aura pas d'accord, car pour le peuple israélien, l'eau est beaucoup plus importante que la paix », déclarait Itzhak Rabin, montrant par-là que la sécurité si souvent évoquée par Jérusalem était secondaire. Le Premier ministre israélien a parlé de libérer deux soldats : est-ce que pour faire libérer deux soldats, on en sacrifie 114 ? A-t-on nommé une commission pour aller s'occuper des négociations pour récupérer les deux soldats ? Bien sûr que non. Autre déclaration, Istzhak Rabin disait : « quelles que soient les mesures techniques prises, la pénurie potentielle en ressources hydrauliques pourrait conduire Israël à s'entendre avec ses voisins sur les questions territoriales en échange d'eau, ce serait alors la paix au Moyen-Orient. » Shimon Pérès a dit textuellement le 15 mars 1995 à Elmut Kohl : « en temps de guerre, nous avons besoin des armes, pour la paix nous avons besoin de l'eau. » Israël a accepté de se retirer de l'Egypte lorsqu'il a obtenu l'exploitation des eaux souterraines de la région de Rafah dans le Sinaï. Les accords ont été signés après acceptation par l'Egypte de céder les eaux souterraines de la région de Rafah. Il y a eu, à ce propos, une info formidable à la télé : les intellectuels jordaniens demandent à leur gouvernement d'annuler l'accord de oued El Araba. Le traité de paix israélo-jordanien a été signé quand la Jordanie a accepté le 7 juin 1994 de partager avec Israël les eaux du Jourdain et du Yarmouk ainsi que les eaux souterraines de oued El Araba. Le deuxième problème est celui des Palestiniens. En aggravant les problèmes économiques du Liban, on pousse le Liban à accepter un accord selon lequel on effacerait sa dette à condition qu'il accepte la fixation des Palestiniens au Liban-sud. La destruction du port de Beyrouth, de la route (du pont) de Damas, signifie tout simplement, qu'Israël veut que le port de Haïfa remplace le port de Beyrouth. En démolissant la route de Damas, on coupe le transit entre le Liban et la Syrie qui rapporte 50 millions de dollars à l'Etat libanais. L'économie libanaise est basée sur le tourisme. Cette année, il devait rapporter quatre milliards de livres libanaises, surtout avec les touristes arabes. En poussant la population chiite vers le nord du pays et en créant une zone vide entre la frontière et le Litani, Israël cherche à créer des tensions entre les libanais, c'est-à-dire, en acculant les chiites dans leurs montagnes et à Beyrouth, il vise à créer des conflits entre la population chiite et la population chrétienne. Autre chose, Israël veut créer dans la région des petites entités territoriales à caractère confessionnel. Dans ses mémoires, Shimon Pérès parle déjà de ce projet en 1993 : créer une myriade de mini-etats pour que le mini-etat juif dans cette région ne soit pas le seul Etat confessionnel. Avoir de grands pays laïcs ou musulmans arabes n'arrangera pas Israël qui ne veut pas de grands pays autour de lui. S'agissant des ports de Haïfa, de Beyrouth. Israël projetait de faire un canal entre la mer Méditerranée et la mer Morte. La mer Morte a vu son niveau baisser de 5 m en l'espace de 50 ans. La mer Morte est en train de sécher ; le dénivelé est de l'ordre de 300 à 396 m. Donc Israël veut faire venir l'eau de la méditerranée vers la mer Morte, mais aussi des bateaux lesquels au lieu d'aller à Beyrouth peuvent arriver carrément en plein désert en Jordanie. Israël pourrait ainsi toucher des royalties sur le transit. C'est aussi une façon, grâce au dénivelé de 400 m de fabriquer de l'électricité, de l'énergie, ainsi de suite. Et pour cela, Israël a besoin de conquérir des territoires nouveaux. Lorsque la guerre a éclaté, avait lieu la réunion du G8, les participants croyaient à l'effondrement du Hezbollah. Même Condoleeza Rice, lors de ses fréquents voyages au Liban pendant la guerre, demandait aux druzes et aux maronites de prendre position par rapport au Hezbollah, ce qu'ils n'ont pas accepté de faire, ils avaient compris le jeu. Au bout d'un mois, Israël n'arrivait pas à diminuer l'intensité de la riposte du Hezbollah. Il avait réussi à mutiler le Liban. (A suivre) Abdellah Ouahhabi, Farid Daoudi