Introduction Depuis quelques années, on ne parle plus que de la situation en Syrie, en Irak, en Afghanistan et de la lutte contre le terrorisme, et cela dans tous les médias écrits et visuels. Il est vrai que la situation dans ces pays et dans beaucoup d'autres au Moyen-Orient et dans le monde en développement est critique sur le plan économique et surtout au plan des pertes humaines. Cependant, aussi alarmante soit-elle, cette situation ne doit pas justifier l'occultation de la situation en Palestine et du conflit quasi éternel entre Israël et la Palestine. En effet, la question palestinienne semble avoir disparu du paysage médiatique et politique international ces dernières années. Ce que beaucoup d'analystes et surtout de politiciens à l'échelle mondiale ne peuvent pas — ou ne veulent pas — réaliser, c'est que la situation dans les trois pays cités ci-dessus est, dans une grande mesure, le résultat du conflit entre Israël et la Palestine et que, sans la résolution de ce conflit, aucune paix ou stabilité ne peut être envisagée au Moyen-Orient d'abord, mais plus largement parlant, dans le monde dans son ensemble que si une solution juste et tenable est trouvée à ce conflit. En effet, une grande partie — peut-être pas la totalité — ce ce que l'on appelle le terrorisme, et son corollaire, la lutte contre le terrorisme — ce qu'on appelle encore the «War on Terror» — trouve son origine dans ce conflit qui dure depuis trop longtemps. Pour raffraîchir la mémoire de ceux qui ont pu — ou voulu — effacer ce conflit de la carte politique actuelle et la nécessité de sa résolution, nous verrons successivement dans le présent papier : 1)- la situation actuelle du peuple palestinien ; 2)- les tentatives de résolution du conflit et leur échec successif programmé ; et 3)- les conditions pour un règlement internationalement reconnu et accepté. Rappel succinct de la situation actuelle du peuple palestinien Depuis la transplantation en 1948 de l'Etat d'Israël au cœur de l'Etat palestinien — véritable Etat dans l'Etat — la situation du peuple palestinien n'a pas arrêté de se détériorer sur le plan économique et social, mais surtout sur le plan humain. Cet «Etat dans l'Etat» a été entériné lorsque, le 14 mai 1948, à Tel-Aviv, le chef de l'Agence juive, David Ben Gourion, lors de la cérémonie de reconnaissance de cette transplantation, déclarait au Musée de l'Art de Tel-Aviv : «We hereby proclaim the establishment of the jewish state in Palestine to be called Israel» (Nous proclamons, ce jour, l'établissement de l'Etat juif en Palestine, Etat portant désormais le nom d'Israël). Notons bien que Ben Gourion dit bien qu'il transplante l'Etat d'Israël au cœur-même de la Palestine. Depuis ce jour, l'Etat d'Israël n'a pas cessé de s'étendre et d'étendre son autorité économique, politique et surtout militaire sur le territoire palestinien. Ce jour — qui est célébré par les Israéliens comme jour de l'indépendance (Yom Ha'atzmout) —est comme un jour triste pour les Palestiniens, qui célèbrent le 15 mai cet événement détestable comme jour de la catastrophe (Yom Al-Naqba). Depuis ce jour, le peuple palestinien n'a pas cessé de subir le joug d'un Etat colonisateur et son territoire n'a pas cessé de se réduire comme peau de chagrin suite aux annexions répétées par Israël des meilleures terres palestiniennes. L'histoire de ces invastions et annexions successives est importante en soi et mériterait une analyse séparée, mais ce qui nous intéresse particulièrement ici, c'est de savoir quelle est la situation du peuple palestinien aujourd'hui. Des études géopolitiques nombreuses ont été faites sur cette «érosion» humaine des terres palestiniennes, indiquant que d'un Etat à 100% palestinien en 1946, le territoire palestinien ne représente plus aujourd'hui que 12%, étant passé sucessivement de 48% en 1947 à 22% en 1967 (suite à la guerre de 1967). Sur le plan humain, l'ONU a estimé le nombre de réfugiés palestiniens à 4,7 millions. Cette érosion programmée et préméditée serait plus visible et mesurable sur des cartes géographiques de la Palestine de 1946 à nos jours, mais, pour des raisons d'espace, il n'est pas possible d'inclure ici ces cartes. Pour décrire la situation du peuple palestinien aujourd'hui, nous ne citerons pas des sources arabes et, encore moins des sources palestiniennes. Nous avons préféré — pour éviter d'être taxé de partialité, parce que citant des sources favorables à la partie palestinienne — donner la parole à des chercheurs de confession juive et à l'UNRWA (United nations relief and works agency, équivalant à l'Office des Nations unies pour les secours et travaux). Toujours pour des raisons d'espace et pour éviter d'allonger le présent article, nous avons choisi deux chercheurs de renommée internationale ayant non seulement étudié la situation palestinienne, mais qui ont aussi vu de leurs propres yeux le sort qui est aujourd'hui celui des Palestiniens. L'un de ces chercheurs est Sara Roy, professeure et chercheuse au Centre of Middle East Studies à l'université de Harvard (USA), une spécialiste de Ghaza. «En 2008, écrit-elle, Israël a fermé tous les carrefours situés à l'intérieur de Ghaza, réduisant largement et dans certains cas refusant de fournir des produits de nécessité, des médicaments, du carburant, du gaz de chauffage et des pièces de rechange indispensables aux installations d'eau et aux systèmes sanitaires…». Sara Roy poursuit en écrivant : «Durant le mois de novembre (2008), le nombre moyen de camions de produits alimentaires qui entraient à Ghaza en provenance d'Israël était de 4,6 camions par jour alors que la moyenne était de 123 camions par jour en octobre de la même année». Elle écrit encore : «Les pièces de rechange nécessaires à la réparation et à la maintenance des équipements d'eau ont été deniées pour plus d'un an». Poursuivant sa description de la situation à Ghaza et dans l'ensemble du territoire palestinien, Roy écrit : «L'Organisation mondiale de la santé (OMS) vient juste de rapporter que la moitié des ambulances fonctionnant à Ghaza sont inutilisables… la seule centrale électrique qui existe à Ghaza a été forcée de s'arrêter de fonctionner par manque de pièces de rechange, ces dernières étant immobilisée dans le port d'Ashrod pendant plusieurs mois». Faisant un parallèle avec ce qu'ont fait les nazis, notamment aux citoyens juifs, et après des visites fréquentes faites en Israël où elle a grandi, Roy écrit : «Il était peut-être inévitable que je suive un chemin qui me conduirait à parler du problème arabo-israélien, fournissant plusieurs exemples de parallèles entre le traitement nazi des Palestiniens qui, selon elle, “étaient absolument équivalents dans le principe, l'intention et l'impact, à savoir : humilier et déshumaniser [les Palestiniens]» (Sara Roy, Living With the Holocaust : The Journey of a Child of Holocaust Survivors, Journal of Palestine Studies, Institute of Palestine Studies, 125, 2008, traduction de Arezki Ighemat). Dans un autre document, Sara Roy écrit : «The israeli occupation — now forgotten or denied by the international community — has devastated Ghaza's economy and people, especially since 2006… Today, 96% of Ghaza's population of 1,4 million is dependent on humanitarian aid and basic needs» (L'occupation israélienne — aujourd'hui oubliéee ou déniée par la communauté internationale — a dévasté l'économie et la population de Ghaza, notamment depuis 2006… Aujourd'hui, 96% de la population de Ghaza (qui est de 1,4 million) est dépendante de l'aide humanitaire pour ses besoins de base)(Sara Roy, Harvard Crimson, June 2, 2009). La deuxième chercheuse, qui a aussi décrit amplement et objectivement la situation en Palestine, est Amira Haas. Haas est une journaliste israélienne de renommée internationale travaillant pour le journal israélien Haaretz et ayant vécu à Ghaza et dans la Rive Ouest (West Bank). Comme Sara Roy, Amira Haas fait un parallèle entre la situation du peuple palestinien et la situation du peuple sud-africain à l'époque de l'apartheid. A ce propos, elle écrit : «The Palestinians, as a people, are divided into sub-groups, something reminiscent also of South Africa under apartheid rule» (Les Palestiniens, en tant que peuple, sont divisés en sous-groupes rappelant quelque peu la situation du peuple sud-africain pendant le règne de l'apartheid). Et à propos de la séparation par Israël de la Bande de Ghaza et de la Rive Ouest, Haas écrit : «La séparation totale des deux zones est l'une des réalisations les plus importantes de la politique israélienne dont l'objectif crucial est d'empêcher une solution basée sur les decisions et les principes internationaux ; bien au contraire, il s'agit pour Israël de dicter un arrangement basé sur la supériorité militaire israélienne… Les juifs vivent dans le même morceau de terre avec un système supérieur et différencié de privilèges, de lois, de services, d'infrastructures matérielles et de liberté de mouvement» (Amira Haas, An Israeli Achievement, Bitterlemongs.org, april 20, 2009). La troisième source qui a décrit de façon objective la situation qui prévaut en Palestine depuis la transplantation de l'Etat israélien dans ce qui était depuis toujours la Palestine — contrairement à ce que prétend David Ben Gourion — est l'UNRWA. Rappelons que le 31 mai 2010, six navires — qu'on a appelés Ghaza Freedom Flotilla — étaient partis pour Ghaza pour une mission humanitaire. Cette flottille a été immédiatement ciblée et bombardée par l'armée israélienne qui a fait neuf victimes et des dizaines de blessés. Interrogé sur la question de savoir si cette flotte était une provocation par les autorités israéliennes, le porte-parole de l'UNRWA, Chris Gunness, a répondu : «If there were no humanitarian crisis, if there weren't a crisis in almost every aspect of life in Ghaza, there would be no need for a flotilla» (S'il n'y avait pas de crise humanitaire, s'il n'y avait pas de crise dans chacun des aspects de la vie à Ghaza, il n'y aurait pas besoin d'une flottille). Gunness décrit ensuite la situation à Ghaza : «95% de l'eau n'est pas potable, 40% des maladies de toutes sortes sont dues à l'eau… 45,2% de la force de travail est en chômage, 80% de la population dépend de l'aide humanitaire, la pauvreté absolue a triplé depuis le début de l'embargo». Chris Gunness termine en disant : «Lets get rid of this blockade and there will be no need for a flotilla» (Mettons fin à l'embargo et il n'y aura pas besoin de flottille). Les tentatives de résolution du conflit et leur échec programmé Plusieurs tentatives, au niveau bilatéral et au niveau multilatéral, qui ont été essayées pour apporter une solution concertée au conflit ont échoué. La question que l'on peut se poser tout à fait légitimement est : pourquoi ces échecs répétés — et, devrait-on ajouter — programmés ? Auparavant, rappelons quelques-unes — pas toutes, car cela allongerait inutilement le présent article — de ces initiatives. Une telle rétrospective mériterait, en effet, à elle seule un article séparé. De toutes les iniatives de résolution du conflit, les plus notables sont les accords d'Oslo de 1993, les négociations de Taba (Egypte) de 2001, les négociations de 2013-2014 sous l'égide du Secrétaire d'Etat d'Obama, John Kerry, et le Sommet de Paris en 2017 sur une solution à deux Etats. Il y a certainement de nombreuses raisons techniques expliquant ces échecs — les méthodes choisies de négociation, les intermédiaires ayant joué un rôle dans ces négociations, les circonstances dans lesquelles ces négociations ont été conduites, etc. — mais la plus importante d'entre elles — et qui indique la stratégie politique des autorités israéliennes — est sans aucun doute celle avancée par Chaim Herzog, le leader du Labor Party israélien (Le Likud, ou encore HaAvoda), ancient président d'Israël entre 1983 et 1993 qui, dans un discours en 1972, a déclaré : «I do not deny the Palestinians a place or stand or opinion on every matter… But I am not prepared to consider them as partners in any respect in a land that has been consecrated in the hands of our nation for thousands of years. For the Jews of this land, there cannot be any partner» (Je ne dénie pas aux Palestiniens une place, une position ou une opinion sur tout sujet. Mais je ne suis pas prêt à les considérer comme partenaires en aucune manière dans une terre qui a été mise entre les mains de notre nation depuis des milliers d'années). (Noam Chomsky, Hopes and Prospects, p. 160). Cette déclaration, à elle seule, suffit pour justifier tous les échecs des «supposées» tentatives de négociation passées. Elle contient deux choses à la fois : 1)- le refus d'Israël d'avoir les Palestiniens comme partenaires, ni maintenant, ni jamais, et 2)- un déni de l'histoire, à savoir que la Palestine n'a jamais été — contrairement à la declaration de Chaim Herzog citée ci-dessus — «mise entre les mains» d'Israël, mais plutôt arrachée de force aux Palestiniens. La seconde raison généralement avancée pour expliquer ces échecs — et qui est reconnue par la majorité des analystes politiques dans le monde — est l'aide qu'accordent les Etats-Unis à l'Etat d'Israël. Cette aide prend plusieurs formes : économique, diplomatique et militaire. Il faut souligner, en passant, que si les gouvernements démocrates et républicains américains sont souvent en désaccord sur beaucoup de questions liées à l'économie, la diplomatie et la stratégie économique, ils sont tous les deux d'accord pour soutenir Israël dans ses actions économiques et militaires contre les Palestiniens. Ici aussi, nous ne citerons pas des sources arabes car, immédiatement, nous serions considérés comme ayant une vue partisane du problème. Un des auteurs qui a le plus mis en évidence cette «sainte» alliance entre Israël et les Etats-Unis est le célèbre linguiste et philosophe politique Noam Chomsky. Ce dernier indique que les deux pays qui reçoivent la plus grande partie de l'aide économique et militaire américaine sont Israël et l'Egypte, cette dernière recevant la moitié de cette aide. Il souligne que l'aide donnée à l'Egypte va indirectement à Israël car elle sert à encourager l'Egypte à jouer le jeu israélo-américain (Noam Chomsky, What We Say Goes, p.165). Ainsi que nous l'avons indiqué ci-dessus, cette alliance est défendue aussi bien par les républicains que par les démocrates et cela sans interruption depuis la création — ou plutôt la transplantation — d'Israël. Et même le dernier président américain, Barack Obama — qui est démocrate et afro-américain — ne déroge pas à cette règle. En effet, en même temps qu'il déclare : «It will be the policy of my Administration to actively and aggressivement seek a lasting peace between Israel and the Palestinians, as well as Israel and its Arab neighbors» (Ce sera la politique de mon Administration de rechercher activement et agressivement une paix durable entre Israël et les Palestiniens, ainsi qu'entre Israël et ses voisins arabes), il ajoute : «Let me be clear : America is committed to Israel's security. And we will always support Israel's right to defend itself against legitimate threats» (Soyons clairs : l'Amérique est engagée à assurer la sécurité d'Israël. Et nous supporterons toujours le droit d'Israël à se défendre contre toutes menaces légitimes) (Voir sa déclaration faite au Département d'Etat américain le 22 janvier 2009). Cependant, Obama — dans le discours prononcé le 4 juin 2009 à l'université du Caire (Egypte) et intitulé «A New Beginning» (Un nouveau depart) — qui avait attiré l'enthousiasme et l'espoir dans la plupart des pays arabes et du monde — n'a jamais fait allusion au droit des Palestiniens à se défendre. Au contraire, comme ses prédécesseurs, il a toujours été le premier à condamner les Palestiniens et le parti Hamas lorsque ces derniers appliquent ce droit. Comme ses prédécesseurs, il va jusqu'à dire que pour que le quartet (USA, Europe, Russie et ONU) reconnaisse le Hamas comme partenaire légitime, il faut que celui-ci remplisse trois préconditions : «Recognize Israel's right to exist ; renounce violence ; and abide by agreements» (Reconnaître le droit d'Israël d'exister ; renoncer à la violence ; et respecter les accords passés) (voir son discours fait devant le Departement d'Etat cité ci-dessus). A l'inverse, Obama et ses prédécesseurs n'exigent pas d'Israël de reconnaître le droit des Palestiniens à exister ; ne demandent pas à Israël de renoncer à la violence ; et, bien sûr, n'exigent pas de lui qu'il respecte les accords passés et les résolutions de l'ONU lorsque ces dernières condamnent Israël. Sur le plan diplomatique, l'alliance israélo-américaine se concrétise par l'application du droit de veto américain chaque fois qu'une résolution de l'ONU n'est pas en faveur d'Israël. Rappelons, pour mémoire, qu'au cours de ces dernières décennies, les Etats-Unis ont appliqué leur droit de veto à 45 résolutions, tandis que la Chine et la France n'ont appliqué leur droit de veto qu'à 7 résolutions ; la Russie à 6 ; et le Royaume-Uni à 10 (Noam Chomsky, Making the Future : Occupations, Interventions, Empire and Resistance, p.164). Etant donné la solidité de cette alliance, les analystes politiques pensent qu'il y a très peu de chances que les Etats-Unis changent leur attitude à l'égard du conflit. Le résultat, bien entendu, est qu'Israël poursuivra sa politique d'agressions militaires et d'étranglement économique, et ce, sans impunité. La question qui se pose alors : le reste du monde va-t-il accepter une telle impunité sans réagir, ou bien va-t-il se secouer et se mobiliser pour changer cette état de fait et de droit et faire qu'il ne devienne pas une fatalité. Car, jusqu'à présent — en dehors de quelques voix qui s'élèvent par-ci par-là — cette majorité à l'échelle globale — comprenant le Mouvement des non-alignés, la Ligue arabe, l'Union africaine, et toutes les organisations luttant contre ce colonialisme des temps modernes — est restée silencieuse et spectatrice et, en tous cas, ne s'est pas manifestée pour dire «enough is enough» (c'en est assez). Quelles sont les conditions d'un règlement juste et durable du conflit ? Si le monde — et plus précisément le reste du monde, notamment les pays du tiers-monde —est sérieux et veut réellement régler ce conflit, trois conditions principales — comprenant des sous-conditions que nous ne développerons pas ici pour des raisons d'espace — doivent être remplies et appliquées. La première condition — il faut dire la condition sine qua non — est l'arrêt par Israël de ses agressions et de son étranglement du peuple palestinien. Dans le passé, même lorsque un cessez-le-feu est décrété ou lorsque des négociations sont entamées, Israël continue ses attaques et ses provocations. Ces agressions et cet étranglement répétés ne peuvent pas s'arrêter tant que les dirigeants israéliens n'arrêtent pas de vouloir falsifier et refaire l'histoire, comme c'est le cas de Moshe Dayan, ancien ministre israélien de la Défense, qui déclarait, lors d'une session du gouvernement en septembre 1967 : «We must consolidate our hold so that over time we will succeed in “digesting” Judea and Samaria (the West Bank) and merging them with “Little Israel”, meanwhile dismembering the territorial contiguity of the West Bank» (Nous devons consolider notre patrimoine de façon que, avec le temps, nous succédions à “digérer” la Judée et la Samarie [la Rive Ouest] et à les regrouper dans le “Petit Israel” pendant que nous démembrons la contiguité territoriale de la Rive Ouest). Et Dayan explique comment cela devait se faire : «This would have to be done by expropriating land from Arab owners…» (Noam Chomsky, Hopes and Prospects, pp. 148-149). La seconde condition d'un règlement du conflit est qu'Israël (et son allié avoué, les Etats-Unis) acceptent qu'il y ait un Etat palestinien à côté de l'Etat israélien, ce qu'on appelle la solution à 2 Etats. La Palestine — sous l'égide de l'Autorité palestinienne — a proposé, à plusieurs reprises, l'arrêt des hostilités et l'établissement, sans préconditions, de négociations en vue d'un règlement du conflit. Ces initiatives ont même été acceptées par le Hamas, mais Israël — supporté par les Etats-Unis — a toujours refusé qu'un Etat palestinien soit contigu avec l'Etat israélien. Israël, quant à lui, continue de poser des préconditions pour l'arrêt de ses agressions. Parmi ces conditions, deux sont souvent réitérées : la première précondition est que les négociations soient organisées sous l'intermédiation des Etats-Unis. On peut se demander, bien sûr, pourquoi cette préférence pour les Etats-Unis alors qu'il existe des instances internationales qui pourraient aussi bien jouer ce rôle ; la deuxième précondition est qu'Israël puisse continuer ses constructions illicites sur les territoires palestiniens, comme il n'a jamais cessé de le faire, outrepassant le droit international et les résolutions des Nations unies. Cela signifie, en d'autres termes, qu'Israël a tous les droits et que les Palestiniens n'ont que des obligations. Cette thèse est, en tout cas, celle défendue par Dennis Ross, ancien conseiller d'Obama et ancient envoyé special au Moyen-Orient de Bill Clinton, qui déclarait qu'«Israel has “needs'' but Palestinians have only “wants”» (Israel a des besoins tandis que les Palestiniens n'ont que des demandes). Ou encore, comme le déclarait en 1996 l'actuel leader de l'Etat israélien, Benyamin Netanyahou, lorsqu'il qualifie ce qui reste des territoires palestiniens de «fried chicken» (fragments de poulet frit) : «Palestinians can call whatever fragments of Palestine are left to them “State”, if they like, or call them fried chicken» (Les Palestiniens peuvent appeler ce qui leur reste de territoire “Etat”, s'ils le veulent, ou encore “fragments de poulet frit”) (Noam Chomsky, Hopes and Prospects, p. 174). Comme nous l'avons déjà indiqué, ce qu'Israël veut, c'est un Etat (israélien) en plein cœur de l'Etat palestinien. La troisième condition pour établir un règlement permanent du conflit est que les Etats-Unis cessent leur support inconditionnel à Israël est qu'ils acceptent de jouer un rôle neutre dans les négociations de paix entre les deux belligérants. Si cela n'est pas possible — ce que certains analystes aux Etats-Unis et la majorité des observateurs dans le monde pensent — alors une force neutre doit être choisie dans le Reste du monde pour jouer ce rôle. Il ne suffit pas, en effet, de choisir un Etat neutre — Norvège (Oslo), Egypte (Taba), France (Paris) — mais il faut choisir un Etat ou un groupe d'Etats réellement «neutre» — par exemple, le Brésil, l'Inde, la Chine, ou la Ligue arabe, l'Union africaine, l'ONU, bien entendu, etc. Dans l'état où cette partie du monde se trouve, il est, a priori, difficile de concevoir qu'un de ces pays ou même l'ONU puisse jouer ce rôle. Et si on se rappelle ce que John Bolton, l'ancien représentant des Etats-Unis à l'ONU déclarait en 1994, on est tenté d'être pessimiste. Voici ce que déclarait Bolton dans un de ses speeches fait aux Nations unies : «There is no United nations. There is an international community that occasionally can be led by the only power left in the world — that's the United States — when it suits our own interests and when we can get others to get along» (Il n'y a pas de Nations unies. Il y a une communauté internationale qui, occasionnellement, peut être conduite par la seule puissance restant dans le monde — c'est-à-dire les Etats-Unis — lorsque cela est conforme à ses propres intérêts et lorsque nous pouvons convaincre les autres de nous rejoinder) (Voir “Questioning M. Bolton, New York Times, 13 april 2005). En d'autres termes, pour Bolton, ce qu'il y a, ce sont les «Nations unies d'Amérique», comme certains ont appelé le rôle dominant joué par les Etats-Unis sur la scène mondiale. Si tel est le cas, il sera donc necessaire de confier ce rôle d'intermédiation à un pays ou groupe de pays n'ayant aucun intérêt avec Israël ou les Palestiniens. C'est ce que propose Noam Chomsky lorsqu'il écrit : «To break this logjam, it will be necessary to dismantle the reigning illusion that the Unites States is an “honest” broker desperately seeking to reconcile recalcitrant adversaries and recognize that serious negotiations would be between the U.S-Israel and the Rest of the World» (Pour rompre avec cette impasse, il est nécessaire de démanteler l'illusion dominante selon laquelle les Etats-Unis sont un “honnête” intermédiaire qui, désespérement, cherche à reconcilier des adversaires récalcitrants et à reconnaître que des négociations sérieuses devraient être engagées entre Israël (et les Etats-Unis) et le reste du monde). (Noam Chomsky, Making the Future : Occupations, Interventions, Empire and Resistance, p, 251). Conclusion Dans cet article, nous avons commencé par analyser la situation qui prévaut en Palestine occupée et nous avons montré que cette situation est intenable aussi bien sur le plan économique que sur le plan humain et qu'il est temps qu'Israël fasse montre de sa volonté d'accepter l'existence de l'Etat palestinien. En effet, on parle beaucoup du droit d'Israël à exister, mais très peu du droit des Palestiniens d'exister — on devrait dire droit de retourner à leur pays. Mais comme le note Noam Chomsky «No state is granted a right to exist. They're recognized, but not be granted a right to exist» (Aucun Etat n'est doté du droit d'exister. Les Etats sont simplement reconnus, mais ne sont pas dotés du droit d'exister). Ce concept est, selon Chomsky, déroutant car, dit-il, si les Etats reconnaissent à Israël le droit d'exister — et cela n'a jamais été le cas pour les autres Etats — cela signifie que l'on doit reconnaître en même temps la «légitimité» de l'expulsion des Palestiniens de leur pays par Israël (Noam Chomsky, What We Say Goes, p.184). Nous avons ensuite analysé les tentatives passées de résolution du conflit et nous avons vu que ces tentatives ont toutes échoué, ou tout au moins sont dans l'impasse, et qu'il est nécessaire de relancer le processus de négociations. Ces nouvelles initiatives devraient tenir compte non pas des «wants» (demandes) des Palestiniens, mais de leurs authentiques «besoins» (contrairement aux caractérisations de Dennis Ross vues précédemment). Nous avons enfin indiqué les conditions qui doivent être réunies pour que ces négociations aient le maximum de chances de réussir : l'arrêt des agressions et des constructions illégales par Israël, une attitude plus neutre des Etats-Unis s'ils veulent continuer à jouer un rôle dans les négociations ou alors, si cela n'est pas possible, il faudra désigner un pays ou un groupe de pays tiers non impliqués dans le conflit. Si ces conditions ne sont pas réunies, les chances de résolution du conflit sont alors très minces, pour ne pas dire nulles. Ce qui est certain, c'est que si ce conflit n'est pas réglé — et le plus tôt serait le mieux — il ne faut espérer aucune paix et stabilité ni au Moyen-Orient, ni dans le monde dans son ensemble.