Au moment où le nombre de naissances a atteint depuis trois ans la barre d'un million par an, les conditions de prise en charge de la mère et du nouveau-né sont déplorables, ont constaté des experts. Ce sont les mêmes structures publiques d'accouchement qui existent depuis l'indépendance qui accueillent chaque jour des parturientes avec des défaillances à tous les niveaux. D'ailleurs, l'Algérie peine à réduire le taux de mortalité périnatale induite généralement durant les premiers jours de la naissance en raison de manque de moyens humains et matériels. Un constat amer, où des femmes et des nouveau-nés subissent les affres d'une désorganisation totale avec un système de santé dont la situation est alarmante. Absence de normes dans les salles de naissance, manque de personnel adapté, dysfonctionnement dans les maternités, des structures inadaptées, absence de moyens adéquats, de collaboration entre les différents intervenants et de l'organisation, telles sont les conclusions d'une expertise réalisée par des experts algériens et internationaux sur les conditions de prise en charge des parturientes dans les maternités du secteur public et l'évolution de la mortalité néonatale en Algérie. «La situation de la mortalité périnatale reste préoccupante» s'est alarmé le Pr Djamil Lebane, chef de service de néonatalité à l'hôpital Mustapha Bacha et le superviseur de la Stratégie nationale de réduction de la mortalité néonatale présentée ce jeudi lors d'une réunion des comités régionaux chargés de mettre en place les directives contenues dans cette stratégie organisée par le ministère de la santé, de la Population et de la réforme hospitalière et l'Unicef. Faisant un comparatif sur les taux de mortalité entre 2010 et 2016, le Pr Lebane estime qu'il y a un faible rythme de diminution de la mortalité. Il signale que 80% des décès néonatals sont endogènes et d'expliquer que «cela dépend de la prise en charge de la femme enceinte jusqu'à la naissance et de tous les soins prodigués. Tout ce passe les sept premiers jours» et de préciser qu'il y a eu une diminution seulement de deux points en six ans (2010 -2016), passant de 27,5 et 25,4. La mortalité infantile, a-t-il indiqué, a, quant à elle, diminué de trois points en sept ans. Concernant la mortinatalité qui a gagné cinq points en sept ans, le Pr Lebane estime que les chiffres sont en deçà de la réalité et s'interroge si réellement tous les morts-nés sont déclarés. «Il faut revenir aux standards et déclarer tout-mort né de 500 g, car il se trouve que des morts-nés de 1000 g sont déclarés comme fœtus», a-t-il indiqué et de regretter le manque d'engagement et la faible mobilisation des personnels soignants concernés autour de cette problématique. «Des insuffisances ont été constatées par tous les experts sollicités par le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. Le document de l'expertise l'atteste», a-t-il ajouté. Les représentants des comités de wilaya ont d'ailleurs déploré les conditions de travail avec un état des lieux catastrophique. De l'Est à l'ouest et du Nord au sud, la situation est peu reluisante. Dans certaines régions, l'on relève la présence de moyens matériels mais le manque de ressources humaines qualifiées est le problème principal qui freine le fonctionnement du programme national de néonatalité suite à la saignée provoquée par le départ à la retraite anticipée des travailleurs de ce secteur qui souffre d'un grand déficit en matière de médecins spécialistes et de personnel paramédical qualifié. «Les équipes qui se limitent à une sage-femme font face à un fort taux de naissances qui rend l'activité très ardue et à cela s'ajoutent le manque de moyens et la dégradation de l'état des services de maternité», relève un représentant d'une wilaya de l'Est lors de cette réunion à laquelle ont pris part des représentants de la DSP. La wilaya de Sétif a été citée comme exemple de dysfonctionnement où l'on enregistre 50 000 naissances sans gynécologues obstétriciens. Le Pr Lebane a ainsi déploré le non-respect des normes établies en citant l'instruction de 2003 portant normalisation des salles de naissance, assurer des soins de qualité, améliorer la sécurité de la mère et du nouveau-né. «On ne peut pas avancer sans le respect des normes», a-t-il insisté en revenant sur les grandes lignes de la Stratégie nationale de réduction de la mortalité néonatale qui a été préparée à travers la tenue de quatre rencontres régionales à Constantine, Oran, Alger et Ouargla. Il s'agit en fait de l'actualisation des objectifs du programme national de néonatologie élaboré en 2005. Les experts ont insisté sur la normalisation des salles d'accouchement et la mobilisation de ressources humaines qualifiées, insistant sur la nécessité d'assurer le suivi et l'évaluation de chaque étape de cette stratégie aux niveaux local et central afin d'assurer son succès, outre la mise en place d'un programme de formation et de formation continue et la spécialisation des médecins généralistes afin d'assurer une couverture globale des régions souffrant d'un manque en médecins spécialistes. Ils ont, en outre, appelé à la création de nouveaux services pour permettre aux personnels spécialisés de s'exercer en matière de prise en charge des nouveau-nés, de prodiguer les soins d'urgence aux nourrissons souffrant de problèmes de santé dès les premiers jours de leur naissance avec la création d'un réseau spécifique aux nouveau-nés, dont le taux de mortalité demeure élevé. Pour le Pr Lebane, l'organisation des soins doit être menée sur une approche en population et non pas en institution. «Le travail en réseau est le meilleur moyen de réduire les dépenses et d'assurer une efficacité. Mais tant qu'il y a ces dysfonctionnements, il n'est pas possible de mettre en place ces réseaux de prise en charge», regrette-t-il. La création d'unités «kangourou» dans les différentes structures, a-t-il signalé, est aussi un des moyens de protéger les nouveau-nés des infections et bien sûr en encourageant l'allaitement maternel. «Une méthode qui a montré son efficacité et malheureusement non appliquée dans d'autres services», a-t-il relevé. Pour le représentant de l'Unicef en Algérie, Marc Lucet, notre pays dispose des compétences et moyens nécessaires à l'aboutissement de la Stratégie nationale de réduction de la mortalité néonatale 2017-2020 chez cette catégorie qui représente 80% du taux global de la mortalité infantile (16 000 décès/an) à moins de 20 décès pour 1000 naissances vivantes dans le cadre de cette stratégie, rappelant que l'ensemble des organismes onusiens accompagnaient le gouvernement algérien à l'effet de réaliser cette démarche. Il a, au passage, insisté sur l'impératif de fixer les priorités et d'impliquer tous les acteurs locaux dans le cadre de cette stratégie pour atteindre les objectifs du développement durable fixé par l'ONU, soulignant que «cet objectif peut être atteint grâce aux moyens et compétences dont dispose l'Algérie». Quant au problème des grossesses à risque pouvant représenter un danger pour la santé maternelle, M. Lucet a mis l'accent sur la nécessité de coordonner les efforts pour assurer une prise en charge optimale des femmes enceintes et regagner la confiance du citoyen dans le système sanitaire.