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Le président Erdogan renforce son pouvoir
La Turquie un an après le coup d'état
Publié dans El Watan le 16 - 07 - 2017

Dans la nuit du 15 au 16 juillet 2016, une tentative de coup d'Etat fomentée par une faction de l'armée a ébranlé la Turquie. Aujourd'hui, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s'impose comme l'homme fort du pays.
Outre l'instauration de l'Etat d'urgence, le président Erdogan lance des purges. Elles visent initialement les partisans présumés du prédicateur Fethullah Gülen, son ancien allié qu'il accuse d'être l'initiateur du coup d'Etat et exilé aux Etats-Unis.
Opération qui s'élargit aux milieux prokurdes, dont les principaux dirigeants politiques ont été écroués, des journalistes et des organisations non gouvernementales (ONG). Le 16 avril dernier, le président Erdogan remportait une courte victoire au référendum sur une réforme constitutionnelle renforçant considérablement ses pouvoirs. L'opposition conteste le résultat, dénonçant des «manipulations» pendant le scrutin. L'OSCE et l'Union européenne (UE) soupçonnent des irrégularités. La nouvelle Constitution met en place un régime présidentiel très favorable au président Recep Tayyip Erdogan, le leader du Parti de la justice et du développement (AKP).
Il pourrait en effet rester au pouvoir jusqu'en 2029. Les prochaines élections présidentielle et législatives sont prévues le 3 novembre 2019. Conformément au nouveau texte, le Président sera élu pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois, mais ne prend pas en compte les résultats des élections antérieures. Il lui revient de nommer les ministres. Concernant la justice, il a le pouvoir de désigner 12 des 15 membres de la Cour constitutionnelle et 6 des 13 membres du haut conseil des juges et procureurs chargé de nommer et de destituer le personnel du système judiciaire. Le Parlement choisira les sept restants. Le Président pourra aussi nommer le haut-commandement militaire, les chefs du renseignement. Le chef de l'Etat pourra, par ailleurs, gouverner par décrets et proclamer l'état d'urgence. Il conservera son droit de veto opposable à une loi votée par le Parlement pour imposer une seconde lecture. La nouvelle Constitution offre aussi au Président la possibilité de dissoudre l'Assemblée et de gouverner par décret-loi.

Fin de l'ère Atatürk
Proclamée en octobre 1923, la République turque sous l'égide de Mustafa Kemal, qui devient Atatürk (le père de la nation), abolit le système du califat en mars 1924. Suit la consécration du caractère séculier de l'Etat. En novembre 1945, est mis fin au système du parti unique. Une nouvelle formation politique, à savoir le Parti démocratique, gagne les élections législatives de juillet 1946. Suit l'abandon par le nouveau pouvoir de sa politique de neutralité observée jusque-là : en 1952, la Turquie intègre l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN).
Pour préserver les principes kemalistes, comme elle l'a affirmé, l'armée s'empare du pouvoir en mai 1960. Elle récidivera en 1971 et en 1980. Elaborée à la suite du coup d'Etat militaire de 1980, la Constitution de 1982 a toujours été contestée en Turquie, car l'armée y a accaparé le rôle de régulateur du système.
Progressivement, la Turquie effectue son retour à la démocratie en 1983 sous la direction de Turgut Özal et de sa formation politique, le Parti de la mère patrie (ANAP). D'autant qu'il souhaite intégrer son pays dans la communauté européenne. Dans la perspective de l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Union européenne (UE), la Loi fondamentale turque est réformée au début des années 2000, afin de répondre aux normes européennes en matière de respect des libertés fondamentales. Aussi s'impose la nécessité réduire le rôle de l'armée dans la vie politique, notamment par l'intermédiaire du Conseil de sécurité nationale, dont la composition et la mission sont remaniées lors de la révision d'octobre 2001.
Arrivé au pouvoir en 2002, l'AKP a poursuivi cette ligne, en facilitant l'application de la convention européenne des droits de l'homme par la justice turque et en consacrant l'égalité hommes-femmes, ainsi que l'abolition de la peine de mort par une autre révision constitutionnelle, adoptée en 2004. En 2007, les partisans kemalistes au niveau de l'armée, la justice, entre autres, ont empêché l'élection par le Parlement de R. T. Erdogan à la présidence de la République. De son côté, l'AKP a fait adopter, par référendum, une révision constitutionnelle qui réduit le mandat présidentiel de sept à cinq ans et instaure l'élection présidentielle au suffrage universel. Le 10 août 2014, le président Erdogan est élu chef de l'Etat dès le premier tour de l'élection présidentielle, qui se déroule pour la première fois au suffrage universel direct.
Aux élections législatives du 7 juin 2015, l'AKP arrive en tête, mais pour la première fois perd sa majorité absolue au Parlement, en raison notamment du bon score du parti pro-kurde HDP de Selahattin Demirtas. Le président Erdogan convoque des élections anticipées le 1er novembre suivant, remportées par l'AKP.

Tensions avec l'Occident
Le référendum sur la Constitution et les purges menées par Erdogan après le putsch de juillet ont provoqué des frictions quant aux relations entre la Turquie et ses partenaires occidentaux. Par ailleurs, Ankara se rapproche de Moscou. Le 9 août 2016, la Turquie et la Russie entament un processus de réconciliation après une crise née de la destruction par l'aviation turque d'un avion militaire russe au-dessus de la frontière syro-turque fin 2015. Deux semaines plus tard, la Turquie déclenche une offensive terrestre dans le Nord syrien contre le groupe Etat islamique (EI), mais aussi contre les milices kurdes, qu'elle considère comme l'extension des séparatistes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Jusque-là, Ankara appuie l'opposition au régime de Bachar Al Assad soutenu par Moscou.
En mars dernier, plusieurs pays européens, notamment l'Allemagne et les Pays-Bas, annulent des meetings ou interdisent à des ministres turcs de faire campagne sur leur territoire en faveur du «oui» au référendum d'avril en Turquie, destiné à accroître les pouvoirs du président Erdogan. Décisions qualifiée par ce dernier de «pratiques nazies». En juin dernier, l'Allemagne ordonne le retrait de ses troupes de la base militaire turque d'Incirlik, où ses soldats participent en soutien à la campagne de la coalition internationale contre l'EI, pour aller en Jordanie. La décision a été prise à la suite du refus d'Ankara d'autoriser des parlementaires allemands de visiter la base, alors qu'ils ont l'obligation légale de le faire.
L'armée allemande est en effet étroitement contrôlée par la Chambre des députés. La tension avec les capitales européennes ne fait qu'augmenter. Ainsi, le Parlement européen à une nouvelle fois demandé, jeudi, que les négociations d'adhésion de la Turquie à l'UE soient suspendues, si le pays mettait en œuvre la réforme constitutionnelle renforçant les pouvoirs du président Erdogan. Les eurodéputés ont adressé cette demande à la Commission européenne et aux Etats membres de l'UE, décisionnaires en la matière, dans une résolution non contraignante votée à une large majorité (477 voix pour, 64 contre, 97 abstentions), en session plénière à Strasbourg (France). Ils souhaitent que l'UE suspende «formellement les négociations d'adhésion avec la Turquie sans plus attendre, si le paquet de réformes constitutionnelles est mis en œuvre tel quel». Comme ils expriment leur inquiétude sur «le recul de l'Etat de droit, des droits de l'homme, de la liberté des médias et de la lutte contre la corruption» en Turquie. Ils ont aussi condamné «le soutien répété du président turc à la réintroduction de la peine de mort», contraire aux critères d'adhésion à l'UE.
En revanche, le Parlement européen souhaite «le maintien d'un dialogue ouvert et constructif» avec Ankara, notamment dans les domaines des migrations et de la lutte contre le terrorisme. En parallèle, entre Washington et Ankara, les rapports connaissent des frictions. Les deux capitales s'opposent sur plusieurs dossiers depuis l'ère Obama. Entre autres les milices kurdes syriennes, à savoir les Unités de protection du peuple kurde (YPG) et l'extradition du prédicateur Fethullah Gülen.
Pour Washington, les YPG constituent une force importante pour combattre l'EI et chasser les djihadistes de leur bastion syrien de Raqqa. En revanche, aux yeux d'Ankara, elles ne sont que l'extension en Syrie du PKK qui livre, depuis 1984, une sanglante guerre à l'Etat turc. Il est classé «organisation terroriste» par la Turquie et ses alliés occidentaux. Aussi, le président Erdogan appelle, en vain, Washington à extrader le prédicateur Gülen qui continue à nier toute participation au putsch de juillet.


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