Erdogan a-t-il ouvert la boîte de Pandore? Tout le laisse à penser avec les derniers développements de la situation [accroissement des attentats dont le dernier, vendredi, à Istanbul] que connaît l'ancienne patrie des Ottomans. Le fait est que le président turc, Recep Tayyp Erdogan, a mésusé de sa force et de la capacité de son pays à contrôler les évènements, qu'il a lui-même suscités, à l'intérieur et à l'extérieur de la Turquie. Mésusé de ses forces et capacités dès lors que le président turc a engagé un bras de fer tous azimuts avec tout ce qui bougeait dans l'environnement immédiat de la Turquie à l'intérieur du pays comme à l'extérieur. En fait, pour nourrir des ambitions démesurées, M.Erdogan met son pays en porte-à-faux. De ses tentatives de mise au pas de l'opposition, en particulier le parti pro-kurde HDP de Selahattin Demirtas, [dont l'émergence avait privé, en juin de l'année dernière, le parti ultraconservateur, AKP, de la majorité absolue au Parlement] à ses démêlés avec la presse et son ex-allié, le sulfureux prédicateur, Fethullah Gülen, devenu son ennemi juré, Recep Tayyp Erdogan aura fait tout faux allumant la mèche de la discorde entre les Turcs. Ne s'arrêtant pas «en si bon chemin», Erdogan a ranimé la guerre avec le PKK (le mouvement sécessionniste kurde) mettant fin (en 2015) à une trêve qui tenait depuis deux ans. Au plan régional, le président Erdogan a pris fait et cause - pour ne pas dire l'a suscité - pour la rébellion syrienne, allant jusqu'à demander la tête de son homologue syrien, Bachar al-Assad. En fait, ambitionnant de devenir le Turc du XXIe siècle, comme le fut au XXe siècle, Mustafa Kemal Atatürk, fondateur de la Turquie moderne, Erdogan ne tolère dès lors aucun obstacle sur sa marche vers la «gloire» et est prêt à tout pour parvenir à ses fins. Pour édifier le régime présidentiel auquel il aspire, le «Sultan» d'Istanbul (comme le raillent les citoyens turcs) avait besoin d'une majorité absolue au Parlement. Ce que l'AKP n'a pu réaliser le 7 juin 2015, mais retrouvée, certes, lors des législatives anticipées de novembre dernier. Toutefois, cette majorité reste insuffisante pour changer la Constitution comme l'entend M.Erdogan. L'AKP devra donc batailler dur pour obtenir des voix d'autres partis pour atteindre les deux-tiers nécessaires pour qu'une nouvelle loi fondamentale soit approuvée. C'est le prix à payer pour que Erdogan puisse avoir une Constitution taillée à sa mesure. Pour cela, le président turc n'a pas hésité à jouer la politique du pire, notamment en mobilisant ses partisans, avec le risque d'engager son pays dans une guerre civile. En fait, une atmosphère délétère règne actuellement sur la Turquie marquée par la multiplication des attentats, de plus en plus sanglants. Des attentats attribués tantôt aux Kurdes turcs du PKK, tantôt aux Kurdes syriens du PYD (Parti démocratique du peuple), parfois aux jihadistes. Ce qu'il faut toutefois noter est que le président Erdogan a joué ces dernières années avec le feu tant au plan interne en se mettant à dos opposition, presse et société civile, que régional par un soutien actif aux rebelles syriens et même aux islamistes qui combattent le régime syrien. Ainsi, le régime d'Ankara a été pris la main dans le sac, par la livraison d'armes aux islamistes syriens. Ce que montra en mai dernier le journal Cumhuriyet en dévoilant le pot aux roses par la publication de photos et d'une vidéo très explicites. Des armes convoyées, qui plus est, par des camions du MIT [Millî Istihbarat Teskilati, le puissant service de renseignement). D'autre part, en faisant abattre à l'intérieur des frontières syriennes un bombardier Sukhoi russe, le 30 novembre dernier, le chef de l'Etat turc, savait à tout le moins ce qu'il voulait. Sans doute une internationalisation de la guerre de Syrie avec une intervention de l'Otan, dans l'optique de l'aide qu'en escompte la Turquie, en vertu de l'article V de la Charte de l'Alliance atlantique qui impose à ses membres de se prêter mutuellement assistance en cas d'attaque. Au moment où la coalition internationale frappait les jihadistes de Daesh, la Turquie se singularisait en canonnant les groupes de résistance des Kurdes syriens de l'YPG, les accusant d'être une annexe du PKK. Au long des cinq dernières années et, notamment, depuis son élection à la tête de l'Etat [en août 2014], Recep Tayyp Erdogan a multiplié les mauvaises décisions et les mauvais signaux, jusqu'à faire douter des raisons qui le font agir. En fait, depuis l'été dernier, le pays est en situation d'urgence le faisant entrer dans une zone de turbulences qui pourraient être dramatiques pour la Turquie. Erdogan, qui s'adonne - pour des objectifs personnels - à un jeu dangereux, en est-il seulement conscient?