S'appuyant sur le plan d'action du gouvernement adopté par le Parlement et qui prévoit la séparation du monde politique de la sphère de l'argent, le Premier ministre tente de bousculer l'ordre établi. Depuis sa nomination le 24 mai dernier, le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, défraie la chronique. Il occupe la scène médiatique par ses remises en cause de nombreuses décisions prises par son prédécesseur Abdelmalek Sellal dans plusieurs secteurs, mais aussi par la guerre qu'il a déclarée à des hommes d'affaires influents et proches de la présidence de la République, à leur tête le patron des patrons, Ali Haddad. S'appuyant sur le plan d'action du gouvernement adopté par le Parlement et qui prévoit la séparation du monde politique de la sphère de l'argent, le Premier ministre tente de bousculer l'ordre établi. S'agit-il d'une véritable opération de moralisation de la vie publique et de lutte contre toutes les formes de mauvaise gouvernance ? Par son action, M. Tebboune envisage-t-il réellement d'assainir la sphère politico-financière ? Pourquoi un Premier ministre, fraîchement installé, s'attaque-t-il ouvertement à la politique de son prédécesseur, lequel affirmait pendant quatre années qu'il appliquait le programme du président Bouteflika ? Si Abdelmadjid Tebboune applique le programme du chef de l'Etat, que faisait Abdelmalek Sellal ? Autant de questions qui brûlent les lèvres. Si la lutte contre la corruption, la prédation, la gabegie et le favoritisme ne peut qu'être applaudie par les Algériens qui réclament un Etat de droit depuis fort longtemps, le traitement réservé aux nombreux scandales financiers et aux affaires de pots-de-vin qu'a connus le pays durant ces 15 dernières années fait douter plus d'un citoyen sur les réelles motivations du nouveau gouvernement. Ainsi, pour certains observateurs, l'action du Premier ministre ressemble à une opération de marketing politique qui vise à donner un nouveau visage à un régime politique vieux de 18 ans. Pour ces observateurs, un coup de «balai» dans les écuries d'Augias est nécessaire, voire vital pour la pérennité du régime, qui n'a plus suffisamment de «munitions» pour faire face aux exigences et aux besoins socioéconomiques des Algériens. Pour faire passer les douloureuses coupes budgétaires en préparation dans l'avant-projet de loi de finances 2018, les importantes hausses des taxes applicables sur les produits de consommation, l'augmentation des prix de l'énergie et la réduction drastique des subventions, le nouveau Premier ministre doit donc commencer par redorer le blason de l'Exécutif, entaché par une flagrante collusion entre l'ancienne équipe gouvernementale et le monde des affaires. Le fort signal donné par les électeurs, qui ont massivement boycotté les dernières élections législatives, a visiblement été capté par les dirigeants qui s'échinent, depuis, à trouver le meilleur moyen de faire remonter un tant soit peu leur «courbe de popularité», descendue à un niveau très critique. En ciblant des hommes d'affaires qui n'ont pas bonne presse au sein de la population, le gouvernement réussit certes à susciter l'intérêt autour de son action future et à marquer des points, mais ira-t-il jusqu'au bout de son action ? Certains en doutent en raison notamment des scandales passés, qui n'ont pas connu la suite attendue par les Algériens. On se souvient de l'affaire Khalifa, de celle de l'autoroute Est-Ouest, des scandales de Sonatrach, de l'affaire BRC, du scandale de la construction de la Grande Mosquée d'Alger, de celui du Centre international des conférences de Club des pins, du palais des Congrès d'Oran…Toutes ces affaires et bien d'autres n'ont pas fait tomber les hauts responsables du pays qui y seraient impliqués d'une manière ou d'une autre. Certains, qui ont été condamnés, ont vite quitté la prison, avant d'être totalement réhabilités et ont été promus à de nouvelles hautes fonctions. Le cas de Abdelmoumen Ould Kaddour, condamné dans l'affaire BRC, puis nommé en mars dernier à la tête du groupe public Sonatrach, est édifiant. Le gouvernement est aussi attendu sur d'autres dossiers, comme celui de la surfacturation qui gangrène le commerce extérieur. Une pratique frauduleuse qui coûterait près de 20 milliards de dollars chaque année à l'Algérie ; ou également sur l'épineux dossier de l'informel qui représente la moitié de l'économie nationale et qui constitue un danger pour la sécurité nationale. Pour gagner la confiance, depuis longtemps perdue, des Algériens, le Premier ministre doit faire beaucoup d'efforts, élargir son champ d'actions et faire suivre ses déclarations d'intention par des actions concrètes. Sinon, ce sera du simple marketing politique d'un gouvernement en quête d'une légitimité.