Elle est l'une des plus grandes voix algériennes actuelles comme en atteste encore son nouvel album sur la nouba zidane. Mais elle est aussi un esprit à la fois perspicace et enchanté, curieux d'histoire et de littérature, exigeant sur la qualité, attentif à la musicologie… Elle parle ici de princesses exceptionnelles qui tenaient des salons littéraires et confie, avec dignité, qu'elle n'a pas été sollicitée pour la grande manifestation « Alger, capitale culturelle arabe ». Votre dernier album est consacré à la nouba zidane. Comment le situez-vous par rapport à vos précédentes productions ? J'ai déjà complété le répertoire que j'ai commencé à enregistrer à partir de 1995 pour le mettre à la disposition du grand public. Cette nouba zidane comporte une magnifique poésie de Wellada Bint El Moustakfi, princesse andalouse, femme de lettres et poétesse. Elle organisait des salons littéraires, chez elle, « majaliss adab », où se retrouvaient philosophes et poètes. Wellada était la fille du calife Omeyyade Mohamed El Moustakfi Billeh ; un calife dont le règne a accéléré la chute et le morcellement du califat. Certains s'étonnaient même de cette étrange filiation. Elle, aussi belle qu'intelligente, et son père, mauvais souverain. Ibn Zeydoun tombe amoureux de Wellada lorsqu'il commence à fréquenter son salon littéraire. La poésie d'Ibn Zeydoun est fluide, claire et expressive. Et c'est pour Wellada qu'il écrit les plus beaux poèmes courtois. Le poème que j'interprète est un des premiers écrits de Wellada adressé à Ibn Zeydoun. Je voulais par ce texte mettre en évidence toute la beauté de la poésie féminine de l'époque et surtout dire que la musique andalouse n'est pas seulement l'œuvre de grands poètes mais de grandes poétesses aussi. L'album est accompagné d'un livret contenant toute la poésie chantée en arabe et sa traduction en français. J'essaie depuis quelques années d'imposer cette tradition chez nous en Algérie, comme j'arrive à le faire en Europe. Je constate par les messages que je reçois régulièrement par Internet, sur mon site personnel, que beaucoup de jeunes reviennent vers la musique classique et les musiques traditionnelles. Ils découvrent la poésie et sa beauté, ils souhaitent comprendre le sens et toutes les nuances. C'est ainsi qu'on pourra les attirer et les faire revenir à notre culture algérienne avec toutes ses richesses. L'album a été réalisé en collaboration avec l'Office national des droits d'auteur et des droits voisins, (l'ONDA). Une œuvre telle que celle-ci nécessite un effort important, des recherches, du temps… Un enregistrement me prend généralement six à huit mois de travail. Dès que je termine la promotion d'un album, je commence à réfléchir au programme suivant. Le choix se fait toujours par rapport à ce que j'ai déjà interprété et ce qui reste dans le patrimoine. Je consulte les personnes qui travaillent avec moi depuis quelques années. Les avis sont peut-être différents au départ mais on arrive toujours à être d'accord sur le mode et les morceaux choisis. Je vérifie l'authenticité de chacun de ces morceaux auprès de maîtres, spécialistes et quelquefois même, auprès de musiciens du genre. Je travaille depuis quatre ans avec un professeur de littérature arabe à Paris III, Saâdane Benbabaâli, spécialiste du « mouwachah andalou ». Avec lui, nous réétudions toute la poésie et son sens pour que, une fois l'album disponible, le public ait la possibilité de se rapprocher davantage de cette grande civilisation arabo-musulmane pour mieux la comprendre. L'enregistrement en studio dure généralement trois semaines. Puis commence le travail de conception avec l'éditeur qui peut durer aussi une quinzaine de jours. Tout de suite après, l'album est disponible chez les disquaires. En dehors de ce travail artistique sur le patrimoine musical andalou, avez-vous envisagé un jour de composer vos propres œuvres, un produit 100% Beheidja Rahal ? Rien de concret pour le moment, mais pourquoi pas ? Je suis en train de réfléchir sur un projet où je pourrais réunir cette magnifique poésie féminine dont je parlais ; une manière de rendre hommage à toutes ces femmes lettrées que nous connaissons à peine. Sans oublier que mon plus grand plaisir et ma plus grande passion, c'est de chanter et d'enregistrer des noubate andalouses. Le dernier concert que j'ai donné au Centre culturel algérien à Paris a été un moment de pur bonheur avec un public très attentif et connaisseur. Sans oublier le concert que j'ai donné au palais de la culture Moufdi Zakaria à Alger pendant le Ramadhan : une salle comble et un public très exigent, l'idéal pour être inspiré et donner le meilleur de soi-même. J'ai eu la chance de donner un concert à Mostaganem. J'étais invitée par l'association Ibn Badja sous la direction de Fayçal Benkrizi. J'étais accompagnée de jeunes musiciens de l'association qui, la plupart, n'avaient pas plus de quinze ans. C'était une manière de les encourager et de leur communiquer cette passion pour l'andalou. « Alger, capitale de la culture arabe » en 2007, une grande manifestation qui vous donnera, sans doute, l'occasion de faire découvrir ce patrimoine musical raffiné... Cet événement très important permettra à l'Algérie de montrer aux pays arabes que nous avons une grande musique, particulière, comparée à la musique orientale. Je ne néglige pas du tout les autres genres traditionnels nationaux qui sont aussi beaux et aussi riches les uns que les autres, mais là, je parle de musique classique algérienne. Je n'ai pas été, ou pas encore, sollicitée officiellement par l'organisme qui s'occupe de la préparation des manifestations programmées. A mon avis, on ne peut demander à un artiste de préparer un projet pour un événement d'une telle importance un mois avant l'ouverture de la manifestation, encore moins pendant l'année en cours ! L'artiste a besoin de temps, d'inspiration pour créer, composer, écrire et même pour se préparer moralement. D'ailleurs, il est possible qu'on ne fasse pas du tout appel à moi. Je suis bien consciente et fière de la diversité musicale de mon pays et j'apprécie tous les talents qui font cette même diversité. Je ne peux que me réjouir de la participation de tous les artistes algériens aux différentes manifestations durant cette année 2007, mais la « nouba andalouse » doit être représentée par des professionnels. Nous avons des associations qui travaillent sur ce patrimoine et sa sauvegarde. Il faut saluer leurs efforts, il faut même les aider et les encadrer. Ils sont la pépinière de nombreux futurs talents qui sont la relève de demain. Sauf qu'on oublie que se sont des élèves, puisque ces associations sont bien des écoles et leur but premier est la formation. Et dans ce cas précis, nous parlons d'amateurs. N'avez-vous pas peur de tous ces rythmes nouveaux et tous ces styles légers très appréciés par nos jeunes ? Ne risquent-ils pas, en quelque sorte, de « tuer » l'andalou ? Pas du tout. Il y a de la place pour tous les genres et tous les goûts. Laissons le public choisir ce qu'il aime, ce qu'il veut découvrir ou juste écouter. Ça ne veut pas dire que tout ce qui se fait en ce moment est beau et de qualité. On entend bien quelquefois des chansons qui n'ont aucun sens et même sans morale avec des musiques qui nous donnent une impression de copier-coller tellement elles se ressemblent. Ce n'est pas ça qui va faire de l'ombre à des musiques d'écoute qui ont une grande histoire. Si la musique andalouse a traversé des siècles avant de vous parvenir, c'est que sa vie n'est pas du tout en danger face à ces musiques nouvelles. Par contre, le seul danger qui la guette est le manque de musicologues algériens capables de l'étudier, de la transcrire et de discuter ensemble sur son devenir. Nous avons des personnes qui parlent, qui animent des communications et conférences, qui veulent même se spécialiser dans ce domaine mais n'est pas musicologue qui veut. Le musicologue est un universitaire qui a obtenu un diplôme de fin d'études après présentation d'une thèse ou d'un mémoire et, à ma connaissance, ils ne sont pas nombreux. J'anime moi-même des communications et conférences sur des thèmes choisis expliquant la musique classique algérienne, mais ça ne fait pas de moi une musicologue. Que nous réservez-vous prochainement ? Je prépare en ce moment un nouvel album que je compte enregistrer en février prochain. Je vous en parlerai à ce moment-là. Je travaille régulièrement avec mon orchestre pour les concerts qui sont programmés l'année prochaine et je continue à donner des cours au Centre culturel algérien de Paris. L'enseignement de la musique est ma deuxième passion après l'andalou. BIO-EXPRESS Beheidja Rahal est née en juillet 1962 à Alger, dans une famille où la pratique de la musique arabo-andalouse était chose courante. Imprégnée dès son jeune âge par les arcanes de cet art, Beheidja a poursuivi son éducation musicale avec de grands maîtres du classicisme arabo-andalou : les plus connus étaient Abderrezak Fakhardji, Mohamed Khaznadji et Zoubir Karkachi.