Kamel Daoud a créé, mardi dernier, un événement culturel hors normes et sans précédent dans la ville de Constantine. Un électrochoc culturel, une secousse tellurique littéraire, qui ont sorti subitement le Vieux Rocher de sa torpeur et de sa longue morosité par un bel et doux après-midi du mois d'août. Annoncée depuis plusieurs jours dans le cadre d'une tournée qu'il doit effecteur dans cinq villes algériennes, et très attendue par les amateurs de livres, la vente-dédicace de son nouveau roman Zabor ou les psaumes, paru aux éditions Barzakh, a drainé une foule des grands jours. La librairie Média-Plus de la rue Abane Ramdane à Constantine, dirigée par le sympathique Yassine Hannachi, a eu encore une fois le grand honneur d'accueillir cette première «sortie mondiale» du livre. Il fallait d'ailleurs venir tôt, très tôt même, pour dénicher une place dans cet espace culturel qui a fait le plein de bonheur pour les passionnés de la lecture. A 17h15, un quart d'heure avant le rendez-vous, Kamel Daoud fait son apparition. Cool, décontracté, jovial, souliers de sport, jean, chemise discrète, bronzage intelligent, il commencera déjà à distribuer des sourires à profusion. «Cela fait une année que j'attends cette occasion», lancera une jeune étudiante. «Moi, cela fait cinq que j'attends ce jour», lui dira Yassine Hannachi. «Moi, cela fait vingt-sept ans que je vous attends», leur répond Kamel Daoud. Une belle entrée qui donnera le tonus à une rencontre entamée sur les chapeaux de roue. Pendant près de trois heures, des lecteurs passionnés de Constantine, mais aussi de Mila, Khenchela, Oum El Bouaghi, et même du Québec, sont venus voir cet homme, dont ils attendaient patiemment la rencontre. Etudiants, enseignants, médecins, avocats, artistes, journalistes, cadres d'entreprises, militants du mouvement associatif, retraités et simples gens ont tenu à être présents. Il y avait surtout des jeunes, beaucoup de jeunes. Echange d'amabilités, discussions rompues, débats, rires, photos-souvenirs, il y avait tous les ingrédients d'une mémorable rencontre culturelle, où la belle ambiance ne manquait pas. L'invité du jour, qui a su conquérir ses lecteurs, a sûrement bien mesuré le degré de sa grande popularité. Kamel Daoud restera surtout marqué par sa rencontre avec cette dame venue juste lui dire : «Monsieur Daoud, je suis très heureuse de vous avoir rencontré, je suis venue spécialement pour vous voir et vous dire que j'apprécie beaucoup ce que vous écrivez, je vous demande de continuer à écrire, cela nous fera plaisir.» Pour une première sortie, la réussite a été totale. Une belle victoire pour la culture à Constantine et en Algérie.
Décrire sa foi dans le livre Interrogé sur la genèse du roman, Daoud dira : «On ne peut pas expliquer l'idée d'un roman. Cela vient de l'inspiration puis on cherche les raisons des idées. Il y a un dicton maghrébin qui dit -Li men tahki zabourek ya Daoud (pour qui lis-tu tes psaumes David), qui exprime beaucoup le désespoir et le fatalisme. C'est à dire qui va te croire, cela ne sert à rien. J'ai voulu décrire ma foi dans le livre et dans la littérature. Quoi qu'on puisse se libérer par les armes, on peut se libérer aussi par l'écriture et les livres.» Daoud reconnaît également qu'il a des passages autobiographiques dans son livre, même si cela ne paraît pas d'une manière aussi formelle. Sur la question des accusations d'islamophobie portées contre lui par certaines parties, Daoud se défend en disant : «Je ne suis pas ici pour réponde à des gens qui ont une mauvaise foi. Je préfère répondre à des gens qui me posent des questions et pas des accusations. Dans le mot islamophobie, il y a le mot phobie. Sur l'autre côté, les gens ne détestent pas l'islam, mais ils en ont peur, c'est parce que nous leur faisons peur. Moi je ne suis pas islamophobe. Si quelqu'un a l'acte de propriété de l'islam, il n'a qu'à nous le montrer, et là nous allons nous taire. Personne n'est propriétaire de la religion. Cette religion est belle, on la réfléchit par la raison et pas par le prêche et les menaces.» Pour répondre à ceux qui l'accusent de glorifier le colonialisme, l'auteur est catégorique : «Je ne glorifie pas le colonialisme. C'est monstrueux de dire ça. Mais il faut construire ce pays et arrêter de dire que c'est la faute au colonialisme. C'est vrai qu'on ne doit pas oublier ce que le colonialisme a fait en Algérie. Il y a des millions d'Algériens qui sont morts pour qu'on soit libres. Mais on n'a qu'à prendre l'exemple des Vietnamiens. Ce que je revendique, c'est qu'on arrête avec le post-colonial et qu'on assume nos responsabilités. Il faut qu'on arrête de chercher les raisons de nos défaites ailleurs.»