L'architecture dans notre pays est une plaie immense, béante et parfois-même purulente ! Elle incarne à la perfection, hélas, les errements de gouvernance, les contradictions sociétales et la déliquescence de notre culture qui pourtant se bat avec énergie pour subsister et s'épanouir. Comment a-t-on pu, avec un patrimoine architectural aussi merveilleux, en ignorer toutes les références et exemples possibles, allant de l'Antiquité aux temps modernes, et engager pareille entreprise d'enlaidissement national ? Et ce, sans gagner en qualité, confort et adaptation à notre environnement, nos valeurs et besoins. Et ce, encore, à coups de milliards dépensés au nom de l'urgence selon des pratiques qui produisent aussitôt de nouvelles urgences. Là-dessus, une confusion monstrueuse entre logement et habitat, entre construction et architecture. Et des architectes marginalisés de manière peut-être unique au monde. Au bout, fatalement, une architecture sans art et sans âme et l'absence d'un véritable urbanisme pour projeter un éventuel bonheur existentiel. Et dire que la maison traditionnelle algérienne, dans toutes ses variantes, recèle des trésors d'inventivité et même de modernité ! Et dire que la Charte d'Athènes (1933), document de référence du 4e Congrès international de l'architecture moderne, est emplie d'enseignements que son rédacteur principal, le Corbusier, avait tirés entre autres de sa découverte de La Casbah d'Alger et des villes du M'zab ! Et dire que l'Algérie fut dans les années quarante et cinquante un laboratoire mondial de l'architecture moderne avec des signatures encore présentes dans toutes les encyclopédies de la discipline : Simounet, Pouillon, Claro, Miquel, Emery, etc. Pourquoi donc l'architecture dans notre pays – hormis quelques bonnes, belles mais rares conceptions – devrait-elle être aussi indigente et indigeste ? Parfois presqu'à l'image de la saleté des espaces publics qu'en cinquante-cinq ans d'indépendance, nous n'avons pas réussi à éradiquer ! Comment se fait-il que nous soyons le seul peuple musulman à construire des mosquées qui s'inspirent de celles des autres, égyptiens, turcs ou autres, lesquels respectent leurs styles historiques nationaux quand nous délaissons le nôtre ? Dans ce numéro, nous évoquons deux personnages qui ont consacré leur vie à l'architecture algérienne, lui apportant une somme précieuse et incontournable d'observations, analyses et projections : Jean-Jacques Deluz (1930-2009) et André Ravéreau, âgé de 98 ans. Ce faisant, une pensée nous vient pour Abderrahmane Bouchama (1910-1985) qui avait publié en 1966 un essai méritoire, L'Arceau qui chante, plaidant pour une l'architecture nationale. Ce qui, devant la déconvenue, m'avait fait écrire en 1982 un article intitulé «L'Arceau qui déchante». Non, décidément, il ne peut y avoir d'architecture sans culture. Et inversement.