Deux événements majeurs rendent hommage à l'architecte suisse Jean-Jacques Deluz, une année après sa disparition le 30 avril 2009. A cette occasion, les éditions Barzakh publient Le tout et le fragment, ensemble des réflexions de Deluz résumant sa carrière. L'éditeur - et architecte - Sofiane Hadjadj revient ici sur cette grande figure de l'urbanisme moderne. En tant qu'éditeur et architecte, quelle serait, selon vous, la plus importante contribution de Deluz à la pensée actuelle dans le domaine de l'urbanisme ? La rigueur et l'intégrité : deux termes d'une seule et même équation. Ce n'était pas un formaliste qui produisait des images pour plaire, mais quelqu'un qui envisageait le projet comme un processus d'intégration de données multiples où l'adéquation au site et aux éléments naturels était le postulat numéro un. L'architecture n'était pas pour lui une série de gestes ostentatoires comme l'architecture contemporaine en est coutumière et qu'il qualifiait volontiers de « pornographique ». Au-delà de l'urbanisme, Deluz est surtout une pensée, une éthique, un positionnement : comment percevez-vous son engagement, sa force de réflexion ? La force de Jean-Jacques Deluz réside dans la grande cohérence de son engagement, car il était engagé, non pas politiquement, mais dans son travail qu'il vivait comme un art, c'est-à-dire comme un geste entier, intransigeant et insensible aux modes. En cela, c'est aussi un geste politique. Du reste, sa pensée, son enseignement, ses constructions, ses écrits, ses peintures forment un bloc insécable. On ne saurait dissocier l'un de l'autre. C'était un artiste au sens plein du terme avec une culture et une vision globale des choses et non pas réduite à sa discipline. Il était profondément suisse, je crois, avec cet étrange mélange de radicalité, d'austérité et d'intense énergie intérieure que l'on retrouve chez les grands artistes suisses (Godard, Le Corbusier, Giacometti, Robert Walser, Isabelle Eberhardt, etc.) Quels sont les souvenirs les plus forts que vous gardez de Deluz ? Les derniers mois de sa vie ont été une grande souffrance physique due à sa maladie. Il ne sortait presque plus de chez lui – peut-être pour deux ou trois circonstances en une année – mais il ne se plaignait jamais et gardait une sorte d'humour distanciée et un peu désespérée à la fois. Le plus marquant je crois était qu'il continuait de suivre attentivement les débats sur l'architecture, l'urbanisme, l'aménagement du territoire, que ce soit en Algérie ou à l'étranger. Et son esprit critique s'exerçait toujours avec autant de lucidité et de férocité ! Et le cinéma aussi. On a passé des heures à parler du cinéma hollywoodien des années quarante, dont il revoyait les films inlassablement et qui constituaient l'arrière-plan secret de son paysage mental. Un mot sur l'ouvrage publié par vos éditions à cette occasion… Un regret : ne pas l'avoir publié de son vivant, alors qu'il avait achevé la relecture des épreuves. Cet ouvrage est une somme appelée à faire date. Pour la première fois en Algérie, un architecte de cette dimension regroupe l'ensemble de ses interventions écrites. Il est le seul – avec Ravéreau probablement – à avoir allié la construction, l'enseignement et l'écriture, d'une façon continue et intelligible. Les écrits de Deluz sont une traversée de 50 ans de l'histoire récente de l'Algérie, c'est fondamental pour la compréhension de ce qui s'est passé durant cette période en matière d'aménagement du territoire.