Je ne suis pas magicien…» Hiéroglyphe indéchiffrable de Horst Köhler, le tout frais envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies (ONU) au Sahara occidental, en visite hier — pour deux jours — à la constellation des camps de réfugiés sahraouis à Tindouf. Sahraouis, l'espèce non protégée et oubliée de la communauté internationale. Au camp d'Aoussert, l'ex-président allemand, désigné en août dernier après le «renvoi» sous pression marocaine de l'Américain Christopher Ross, a péché par un trop-plein de prudence, évitant soigneusement de prononcer les gros mots qui fâchent le palais et ses alliés du Conseil de sécurité de l'ONU. «Référendum», «autodétermination», «indépendance» du dernier pays colonisé d'Afrique n'avaient pas cours sous le grand chapiteau dressé en l'honneur d'un Köhler allégorique. «Je suis serein, dit-il dans son très ramassé speech, confiant quant (à l'issue) des futures négociations.» «Je suis ici pour donner de l'espoir aux jeunes générations, conjurer en ces terres (le spectre de) la guerre». «Je suis ici pour écouter, pour me faire une idée précise de la situation», résume-t-il ainsi l'objet de sa mission, sa première du genre dans la région et qui a été entamée l'avant-veille au Maroc avant de rallier Nouakchott (Mauritanie), puis Alger dans les prochains jours. Sous le grand cagnard, en sueur au milieu de sa délégation raffinée de hauts fonctionnaires et officiers de la Minurso, notables et hauts dirigeants de la RASD et du Front Polisario, l'envoyé spécial d'Antonio Guterrès se déclare «ravi par l'excellent et spontané accueil» qui lui est fait par le peuple de réfugiés, transmet «les salutations du secrétaire général de l'ONU au peuple sahraoui». Au fronton du chapiteau, rempli de fétus d'espoir et de complaintes anachroniques de décolonisés en devenir, une banderole fait l'addition de l'absurde statu quo infligé à la «question» sahraouie : «6 secrétaire généraux + 4 envoyés spéciaux + 52 solutions proposées par l'assemblée générale de l'ONU + 68 résolutions du Conseil de sécurité = Sahara occidental toujours colonisé». D'autres banderoles déclinées en allemand, en espagnol, et aux messages plus mordants les un que les autres, accueillirent, en ces contrées incandescentes, l'envoyé spécial de l'ONU : «43 años de ocupación» (43 années d'occupation ) ; «Die west Sahara, die letze koloniein Afrika» (Sahara occidental, dernière colonie d'Afrique), et autant de piqûres de rappel et d'affiches bercées d'illusions. «Independencia : Ya» (Oui à l'indépendance), accueilleront l'hôte Köhler, le 4e diplomate désigné en 43 ans de conflit de décolonisation insoluble dans la paix onusienne. Tout au long de la quinzaine de kilomètres de route rectiligne qui mène au camp d'Aoussert, au sud-est de Tindouf (il est l'un des plus proches du chef-lieu de la ville), des milliers de réfugiés sahraouis étaient, hier mercredi, massés en haies d'honneur dès les aurores. L'impressionnant comité d'accueil était en place dès 5 heures du matin. Les organisateurs avancent le nombre de 15 000 manifestants, femmes, enfants séchant les cours, des escouades de militaires en tenue d'apparat, de policia civil…, y ont fait le pied de grue des heures durant, sous un soleil vouant généreusement aux gémonies. Prévue à 10h, l'arrivée de Köhler n'aura lieu qu'à midi. Sous les youyous stridents et la nervosité du service d'ordre redoutant un fâcheux incident ou un éventuel attentat à l'origine incontrôlée. En amont, Mohamed Lamine, du service presse de l'ambassade de la RASD à Alger, sollicitait compréhension et indulgence des dizaines de reporters embedded pour la mission, filés et passés au détecteur du chèche à l'orteil, comme autant de menaces potentielles. «A Tindouf, prévenait Lamine, c'est l'état d'alerte maximum. Ici, dans les camps, pareil. Nous n'avons pas le droit à l'erreur sous peine...» Coaché par Maryam Sallek, gouverneur (wali) du camp d'Aoussert, Horst Köhler est reçu en grande pompe. «Si nos tentes ne sont pas assez grandes pour vous accueillir, nos cœurs le sont résolument», lui lance Maryam. Des poignées de main chaleureuses et en série, de l'écoute, Horst Köhler (re)découvre la voix des «Sahraoui, chaâb, lam yamout», slogan entonné par ce «peuple qui ne veut pas mourir en silence». Le président de la Chambre des représentants pressera Köhler pour rendre «justice aux damnés de la terre, au peuple de réfugiés, des détenus peuplant les prisons marocaines, aux torturés». «Si nous sommes dans notre bon droit, faites qu'il nous soit conféré, et si c'est le Maroc qui est dans le sien, faites en de même», l'appostrophe-t-il, sous les ovations. Sallek Bachir, ministre conseiller auprès d'Ibrahim Ghali, président de la RASD, évoquera ces «frustrations profondes» au sein de l'opinion sahraouie, née de la tenue du référendum promis après les accords de cessez-le-feu de 1991. La veille, le représentant de la Rasd à l'ONU, Boukhari Mohamed, qualifiait la venue de Köhler de «visite de la dernière chance», mettant, lors d'une conférence de presse tenue à Boujdour, certains membres du Conseil de sécurité, la France en tête, devant leur «responsabilité historique». «C'est du folklore tout ça», commente Salek Saluh, journaliste à FutuoroSahara, journal web, étiqueté opposant pour ses dénonciations répétées des dignitaires du Polisario et de leurs pratiques compromettant la pureté de la lutte. «Comme moi, ajoute-t-il, les nouvelles générations ne croient plus à ce folklore. Horst Köhler ou un autre, c'est du pareil au même : nous sommes pour la critique des armes».