Cet ouvrage regroupe des écrits d'universitaires, chercheurs et écrivains sur Kamel Daoud. Les textes des participants évoquent aussi le succès du roman Meursault, contre-attaque. Kamel Daoud, esquisse d'un phénomène postcolonial algérien est un livre collectif coordonné par Boukhalfa Laouari, jeune enseignant au département d'anglais de l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou. Il s'agit d'un ouvrage qui regroupe des écrits d'universitaires et chercheurs autour de la problématique de «la relation de l'Autre en s'appuyant sur le cas Daoud». Ainsi, les intervenants dans cette publication mettent en exergue avec des styles diversifiés mais convergent sur une réflexion critique sur «un phénomène postcolonial majeur». Les textes des participants évoquent aussi le succès de Meursault, contre-attaque, notamment en France. «L'approche critique de cet ouvrage repose sur la réception postcoloniale des textes littéraires algériens», comme l'a bien souligné Benaouda Lebdai, professeur des universités, dans la préface de la publication de Boukhalfa Laouari. Selon lui, cet ouvrage «donne à réfléchir sur les enjeux culturels Nord-Sud». Puis, Pierre Boizette de l'université Paris-Ouest -Nanterre- La Défense, essaye d'aborder la pensée postcoloniale qui varie, a-t-il souligné, «en fonction de l'accession à l'indépendance des pays concernés avec le passage d'un statut de territoires colonisés, à une autre d'Etats autonomes». Courage La première partie de ce livre est consacrée à une série de textes traitant de «Kamel Daoud et le pouvoir de la littérature». Là, Boukhalfa Laouari est revenu sur Meursault, contre-attaque, qu'il qualifie de «la revanche postcoloniale du fils prodige» en mettant l'accent sur le courage de l'écrivain-journaliste. Le roman en question a suscité des attaques haineuses, car il a été souvent mal compris, alors qu'il constitue un véritable chef-d'œuvre, estime-t-il, précisant que «beaucoup a été dit de Kamel Daoud, de ses chroniques courageuses et même de la haine d'un imam devenu célèbre après sa fetwa qui a appelé au meurtre de l'auteur. Mais, peu a été dit de Meursault, contre-attaque, surtout dans la presse algérienne», soutient-il, tout en mettant en relief des arguments susceptibles d'expliquer, de manière claire, «la nature arbitraire de toutes les violences symboliques dont a été victime Daoud». De fait, il soutient que «toute interprétation d'une œuvre ne peut engager que la personne dont elle est l'émanation». Et ce, avant de parler de choc culturel provoqué par la colonisation suite à la rencontre de deux consciences (colonisateur et colonisé), a-t-il développé, tout en s'appuyant sur des références bibliographiques, comme celles du sociologue algérien Houari Addi, notamment dans l'article scientifique intitulé «Colonial mythodologies. Algeria in the french imagination». Pour l'auteur de cet ouvrage collectif, le discours colonialiste français ressemble beaucoup à des déclarations «peu réfléchies» et «biaisées» ou officielles. Il cite ainsi, à titre illustratif, le cas du journaliste Eric Zemmour, qui a dit que «l'Algérie est une invention de la France» et l'article de loi sur le rôle positif de la présence française outre-mer. Cela n'a pas été sans conséquences sur le fait de voir aujourd'hui des Algériens toujours «prisonniers» du discours colonialiste français, explique-t-il, faisant un lien avec la manière dont le roman de Daoud a été reçu par une importante frange de la société dans notre pays. «Daoud ne semble pas exclure l'islam comme élément culturel de l'Algérie coloniale en tant qu'entité culturelle en guerre. Ecrire dans la langue du colonisateur est un acte de militantisme», estime Boukhalfa Laouari. Controverses Par ailleurs, d'autres textes décortiquent aussi l'œuvre et le personnage de Kamel Daoud, comme Joseph Ford de l'université de Leeds, qui parle de «Kamel Daoud : (im) possibilités de lecture», Jane Hiddleston qui évoque Meursault, contre-attaque et le pourvoir de la littérature. «Le texte a provoqué des controverses en Algérie à cause des remarques cinglantes du personnage principal au sujet de la politique nationale contemporaine, de l'arabité et de l'islam», a-t-il essayé de décortiquer de manière à expliquer qu'il y a eu «une mauvaise compréhension des questions complexes soulevées par le texte». De son côté, Sarah Slimani, enseignante à l'université M'hamed Bougrara de Boumerdès, aborde le sujet sous un autre angle soutenant que «Kamel Daoud a réveillé de vieux démons», car «il comptait bien se faire entendre et faire entendre la voix de tout un peuple qui a été réduit au silence». La même universitaire fait remarquer, dans son texte, que L'Etranger d'Albert Camus a fait l'objet de critiques et analyses, notamment sur l'indifférence, dans le roman, de Meursault à la société, surtout après avoir enterré sa mère et tué un Arabe avec les cinq coups de feu et qui ne donne aucune explication de la légitime défense. «L'histoire tourne entre la vie et la mort.» Prix Goncourt La victime de Meursault n'a pas de nom. «L'auteur avait dépourvu son personnage de son identité culturelle et son origine. Daoud a fait allusion à cette agression symbolique en comparant l'Arabe de l'Etranger à Vendredi», lit-on dans la contribution de Sarah Slimani. L'ouvrage de Laouari est constitué ainsi d'un ensemble de textes dont la corrélation est bien visible dans la mesure où le lecteur peut découvrir des regards croisés, mais qui concordent amplement avec l'intitulé du livre. «Kamel Daoud s'est donné comme mission de réhabiliter l'absent, l'oublié de l'histoire, l'Arabe sans nom», ajoute Boukhalfa Laouari dans son texte «Daoud l'iconoclaste et les inquisiteurs de la pensée» qui se veut une réponse aux chercheurs qui ont signé un article «Nuits de Cologne : Kamel Daoud recycle les clichés orientalistes les plus reculés». «Un petit article paru dans le Monde est-il suffisant pour disqualifier ce détenteur du prix Goncourt du premier roman pour orientalisme et islamophobie ?», s'interroge-t-il. Par ailleurs, d'autres contributions très intéressantes à lire figurent aussi dans le livre, comme celle de l'écrivain Youcef Merahi, sous le titre Kamel Daoud, la force tranquille d'un engagement. Djamel Laceb, enseignant, a participé par L'échanson malhonnête et la quintessence des butins, dans cet ouvrage collectif, sorti aux éditions Frantz Fanon, dont l'auteur a également consacré un long entretien réalisé avec l'écrivain Rachid Mokhtari autour du roman de Daoud et la polémique suscitée par ce livre.