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ALI HAROUN, RESPONSABLE À LA FÉDÉRATION DE FRANCE, MEMBRE DU CNRA
GUERRE D'ALGERIE « Après le faux départ de 1962, la force a prévalu sur le droit »
Publié dans El Watan le 07 - 10 - 2004

Après des études primaires et secondaires à Alger, Ali Haroun émigre en France. Tout en travaillant, il poursuit ses études supérieures. Licencié en droit de Panthéon-Sorbonne, il passe le Certificat d'aptitude à la profession d'avocat (CAPA) et par la suite le doctorat d'Etat. Le 1er novembre 1954 le surprend au Maroc. Il crée avec le chahid Dr Oujdi Damerdji les premières cellules FLN. Après un contact avec Boudiaf à Madrid, celui-ci le charge de la direction à Tétouan du journal Résistance algérienne. Boudiaf est kidnappé le 22 octobre 1956. Abane Ramdane arrive au Maroc en mai 1957. Il décide de réunir toute la presse du FLN à Tunis. Ali Haroun est alors rédacteur à El Moudjahid. En avril 1958, il est muté à la Fédération de France. Il est membre du Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) en 1960, puis député d'Alger à l'Assemblée constituante (1962-1964). Après, il se retire de la vie politique. Il est appelé au gouvernement comme ministre des Droits de l'homme en 1991. Il accède au Haut Comité d'Etat (HCE), dont il est membre de 1992 à 1994. Ali Haroun a publié La 7e Wilaya, L‘Eté de la discorde et plusieurs articles dans la presse nationale et étrangère.
La détermination d'une poignée d'hommes aurait été l'une des principales causes du déclenchement du 1er Novembre 1954, selon certains historiens. Partagez-vous cet avis qui minore le poids de l'Histoire dans la décision de passer à la lutte armée ?
Le déclenchement de la lutte n'est certes pas un coup de tonnerre dans un ciel serein. Il est connu de tous que le peuple algérien dominé n'a pour autant jamais été soumis. Dominé pourquoi ? Parce que, à une période de l'histoire, l'Algérie, comme de nombreux pays du tiers-monde, se trouvait dans un état de retard civilisationnel tel qu'un pays européen pouvait l'occuper quelle que fût sa résistance... Les techniques et les moyens de lutte étaient outrageusement à l'avantage des Européens. Il n'empêche que les Algériens ont sans cesse combattu pour leur indépendance. La résistance de l'Emir Abdelkader durant 47 ans, celles menées par El Mokrani, Boubaghla, Bouamama, les Ouled Sidi Chikh et bien d'autres encore en sont l'évidente illustration. L'option de recourir aux armes pour recouvrer l'indépendance fut donc pérenne. Cette volonté manifestée depuis les premiers jours de l'occupation par les troupes coloniales françaises ne s'est jamais émoussée. ll y a tout de même eu une longue période où les Algériens n'ont pas eu recours aux armes, semblant préférer des voies plus pacifiques. A la fin du XIXe siècle, les Algériens se sont effectivement rendu compte que le combat était trop inégal lorsqu'il est mené uniquement sur le terrain militaire. Ils ont alors pensé à l'action politique comme moyen alternatif de lutte. A partir de ce constat se sont constitués des partis politiques tels que Les Jeunes Algériens, le Mouvement de l'Emir Khaled, la Fédération des élus... Après la Seconde Guerre mondiale apparaissent Les Amis du manifeste. Auparavant, l'Etoile nord africaine créée à Paris dans les années 1920 conjuguait l'action politique et l'action directe avec pour objectif clairement affirmé : l'indépendance nationale. En 1937, le Parti du peuple algérien (PPA) créé à Paris par notre émigration réussira à cristalliser la volonté déterminée des Algériens de parvenir à l'indépendance, si nécessaire au moyen des armes. Le MTLD, qui prendra quelques années plus tard le relais du PPA, décidera, à l'occasion de son congrès de 1947, la création d'une Organisation spéciale (OS) ayant pour but de préparer au combat un noyau dur de militants. Le PPA était alors convaincu que le colonialisme ne ferait aucune concession sans qu'il y soit contraint. Il fallait en conséquence créer, au moyen de l'action directe, une situation de rapport de forces telle que les autorités françaises soient contraintes à négocier sur la base d'une autonomie complète.
La mobilisation en vue de l'action directe que vous évoquez était-elle partagée par l'ensemble du peuple algérien ?
Au niveau du MTLD, il y avait unanimité pour la mobilisation. Mais je ne suis pas sûr qu'il en fût de même au niveau de la population qui, en grande partie, pensait que les moyens matériels requis pour engager un tel combat faisaient défaut. L'OS a d'ailleurs été créée avec les militants les plus déterminés et les plus engagés du parti. Elle a subi plusieurs avatars, et ce n'est qu'après 1950, année durant laquelle il y eut plusieurs arrestations dans les rangs des militants, que les membres restés en liberté avaient décidé d'entrer en clandestinité. Vous voyez donc que l'action armée ne date pas, comme on aurait tendance à le croire, de 1954. Elle a effectivement été entreprise bien avant. Des combattants, à l'instar de Krim Belkacem, Lakhdar Bentobal, Mustapha Ben Boulaïd et beaucoup d'autres, avaient été contraints de prendre le maquis pour échapper aux arrestations par les forces coloniales qui les avaient condamnés. Ils constitueront le fer de lance de la lutte pour l'indépendance nationale, qui sera officiellement proclamée le 1er novembre 1954.
Tout porte à croire que c'est l'intransigeance des forces coloniales et à la violente scission apparue au MTLD entre partisans et opposants à l'insurrection que l'on doit la radicalisation de l'action directe. Ce n'est pas votre avis...
A la veille du déclenchement de l'insurrection, on se trouvait effectivement dans une situation désespérée. Et comme le disait Didouche Mourad en 1953 à Paris où il était l'adjoint de Mohamed Boudiaf à la Fédération de France du MTLD : « Démarrons l'action, ceux qui sont avec nous nous rejoindront. Quant aux autres, ils se découvriront. » Les membres de l'Organisation secrète encore en liberté se réunissent alors pour créer le Comité révolutionnaire pour l'unité et l'action (CRUA), dont le but est d'abord de rallier tous les militants du MTLD à la lutte armée. Vingt-deux d'entre eux se rencontrent de nouveau en juillet à Alger pour désigner l'état-major qui déclenchera l'insurrection. Les « 22 » confient à Mohamed Boudiaf le soin de désigner lui-même les quatre autres membres de cet état-major. Cette précaution a pour but d'éviter les arrestations et les risques de dénonciation auxquels est davantage exposée une direction pluricéphale.
Pourquoi le choix s'est-il porté précisément sur Mohamed Boudiaf ?
Il était la cheville ouvrière du CRUA et jouissait d'un respect et d'une audience certains auprès des « 22 ». C'est pourquoi on le laisse seul choisir ses collègues. Mais au moment du choix, on se rend compte que la Kabylie n'est pas représentée dans cet état-major. Il était exclu d'entreprendre l'action armée sans la présence de ce bastion important de la résistance. Lorsque Krim Belkacem a été convaincu de se joindre au mouvement, l'action a pu alors démarrer sous la direction de six responsables : Boudiaf, Benboulaïd, Ben M'hidi, Bitat, Didouche et Krim. Ils se concertent en septembre à Alger pour fixer au 1er novembre 1954 la date du déclenchement de la lutte de Libération nationale. Ainsi, pour répondre à la question que vous m'avez posée en premier lieu, le déclenchement de novembre 54 est dû aussi bien au processus historique qu'à la conviction et à l'engagement de certains militants d'une qualité exceptionnelle.
Comment l'appel du 1er Novembre 1954 a-t-il été accueilli par la population algérienne, en général, et la communauté algérienne émigrée en France, en particulier ?
Je ne peux pas vous dire quel a été le retentissement de l'appel en France pour la simple raison que je n'y étais pas à cette époque-là. Mais pour ce qui concerne l'Algérie, l'on peut affirmer que seule une minorité de militants était au courant de l'évènement. La plupart des futurs acteurs de l'insurrection n'étaient pas membres du CRUA et n'étaient donc pas informés. Comme trois années auparavant je me trouvais à la section universitaire du MTLD à Paris, je souhaitais, comme beaucoup de mes camarades, ce déclenchement, mais non sans craindre que le mouvement soit rapidement réprimé, comme ce fut le cas en 1945. L'action a fort heureusement réussi, et c'est à partir de là que le grain de la libération, qui durera un peu plus de sept années, a commencé à germer. Ainsi au cours des ans, l'insurrection allait se muer en révolution.
La cause algérienne a rapidement trouvé écho chez de nombreux intellectuels français qui ont efficacement relayé la lutte engagée auprès de l'opinion publique française et internationale...
Dire que la cause algérienne a trouvé rapidement écho n'est pas exact. Il faut se rappeler qu'à l'époque l'idée la plus communément admise, y compris chez les intellectuels, était que l'Algérie est constituée de trois départements français. Ils l'ont appris à l'école. L'empire français était une réalité et la France se présentait - il ne faut pas l'oublier - comme le deuxième empire colonial du monde. On apprenait aux Français que les indigènes avaient versé leur sang pour la France. Par conséquent, ils faisaient partie de son empire. Soutenir que l'Algérie, considérée alors comme la perle des colonies, était en rébellion pour parvenir à son indépendance ne leur venait pas à l'esprit. Même Mendès France, qui passait pour un homme de grande envergure politique avec une vue prospective de l'avenir, affirmait : « L'Algérie, c'est la France. » Quant à François Mitterrand, qui deviendra le symbole du socialisme français, il avait déclaré : « La seule négociation avec les rebelles, c'est la guerre. » Mais, progressivement, la compréhension de la cause algérienne allait timidement se manifester. Si au niveau des élites politiques françaises, la cause algérienne n'a trouvé d'écho que sur le tard, on a, en revanche, manifesté assez tôt cette compréhension, voire une certaine sympathie, dans le milieu intellectuel français. Ce milieu considérait que l'Algérie ayant été conquise par les armes, sa lutte armée n'est pas historiquement condamnable. Mais il faut nuancer. Cette opinion n'était pas majoritairement partagée, même chez les intellectuels progressistes. Cependant, des chrétiens allaient se poser la question, leur conscience étant sérieusement interpellée par les méthodes de la « pacification ». Les Cahiers de Jean Muller publiés par Témoignage chrétien, un des premiers parus sur la question, a d'autant frappé l'opinion que son auteur avait écrit ses notes sur le vif, avant de mourir au combat. Francis Jeanson, un philosophe, particulièrement bien informé sur l'Algérie pour l'avoir longtemps parcourue, va défier l'opinion. Dès le début de l'insurrection, il publie avec son épouse Colette L'Algérie hors la loi. Ce livre rappelle les propos des militaires comme Bugeaud, Saint Arnaud, Changamier, Cavaignac et bien d'autres, exaltant avec un cynisme tranquille les exactions commises lors de la conquête coloniale. Il fournit également un tableau saisissant de la misère frappant le peuple algérien dominé et l'inanité de ses luttes politiques. L'ouvrage édité au moment opportun jettera le trouble chez une bonne partie de l'opinion française. Francis Jeanson, homme de gauche, fut secrétaire de rédaction de la fameuse revue Les Temps modernes dirigée par Jean-Paul Sartre, un des principaux fondateurs de l'existentialisme, philosophie qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, reconnaissait, au nom du principe de liberté, l'indépendance des peuples coloniaux. Dans le sillage de ce livre, de nombreux autres intellectuels français ont entrepris des actions multiformes pour s'interroger sur les motifs profonds de cette insurrection. A leur tête, on citera, bien sûr, Jean-Paul Sartre et sa compagne Simone de Beauvoir. Dans le milieu artistique, on peut également évoquer les chanteuses Catherine Sauvage et Juliette Gréco, l'écrivaine et journaliste Françoise Sagan qui a été jusqu'à mettre sa voiture à notre disposition ainsi que l'actrice Marina Vlady - qui avait pris fait et cause pour l'Algérie et se déclarait prête à nous aider sur tous les plans. Je reviens au milieu chrétien où monseigneur Gerlier, archevêque de Lyon et primat des Gaules, avait pris une position très courageuse. Les abbés Davezies, chercheur au CNRS, et Boudouresque, brillant ingénieur, ont payé de plusieurs années de prison leur courageux engagement à nos côtés. En Sorbonne, des intellectuels de renom ont également manifesté leur opinion favorable à l'ouverture de négociations avec le FLN. Je citerai les grands orientalistes comme Louis Massignon, Jacques Berque, le Pr Henri-Frenée Marrou, le Pr Mandouze, qui fut incarcéré pour ses prises de position. Quelques années plus tard, ils seront plusieurs centaines, dont les premiers noms figurent dans la Déclaration des 121. Une mention spéciale devrait être décernée au collectif des avocats. Totalement impliqués dans la défense de nos militants détenus, les prétoires sont devenus grâce à eux des tribunes particulièrement efficaces pour la cause algérienne. Directement au service de la Fédération FLN de France, ils ont couru de très grands risques (mort, menaces de mort, suspensions de plaider, emprisonnements, incarcérations, internements). Je ne cite pas de noms de crainte d'en oublier. Ils étaient si nombreux et tous admirables par leur courage et leur engagement actif en faveur de l'Algérie en lutte !
Vous oubliez les partis communiste et socialiste français qui, dit-on, ont beaucoup aidé le FLN...
Beaucoup de militants du Parti communiste français (PCF) et du Parti socialiste unifié (PSU) se sont engagés concrètement, et je tiens à les en remercier. Je me souviens, par exemple, d'avoir rencontré, à Aix-la-Chapelle, Pierre Cot, ancien ministre du gouvernement du Front populaire, qui, à la fin de notre entretien, m'a remis son adresse et son numéro de téléphone personnels, mettant sa maison à la disposition du FLN pour y héberger nos responsables « grillés ». Il faut cependant distinguer l'engagement indéniable des militants, la position souvent équivoque des responsables d'appareils. Par crainte de voir leur parti frappé d'interdiction, ils s'étaient le plus souvent alignés sur les positions du gouvernement colonial en évitant de se prononcer clairement sur l'indépendance. De ce fait, des ordres stricts ont été donnés aux militants pour leur interdire toute relation avec le FLN. Beaucoup d'entre eux ont dû quitter ces partis et restituer leurs cartes pour rejoindre nos réseaux. Je citerai, par exemple, Hélène Cuénat, qui fut une femme d'un merveilleux courage. Elle a servi comme agent de liaison du réseau Jeanson durant plusieurs années avant d'être arrêtée et condamnée à dix ans de prison. Elle s'évadera de manière rocambolesque de la prison de La Roquette avec six de ses camarades, que la Fédération de France prendra en charge, les aidant notamment à rejoindre le Maroc. Il n'y eut pas que des femmes intellectuelles. Jacqueline Carré, ouvrière chez Renault, sera également lourdement condamnée. Il faut reconnaître que, malgré les interdictions de leur parti, beaucoup de militants socialistes et communistes nous ont rejoints et apporté une aide d'autant plus précieuse que nos militants se mouvaient en milieu hostile.
L'Algérie indépendante n'a malheureusement pas rendu hommage à ces hommes qui ont impulsé une réelle dynamique à la lutte de Libération. Le 50e anniversaire du déclenchement de la Révolution n'est-il pas l'occasion pour l'Algérie de leur exprimer officiellement sa reconnaissance ?
Vous avez bien raison de poser la question, et je vous dirai très franchement que je le déplore. Il est regrettable que l'on ait mis plus de trente ans à reconnaître et à recenser ces personnes que l'on avait totalement oubliées. La raison en est simplement qu'au lendemain de l'indépendance le chef du gouvernement avait décidé d'éliminer d'un revers de main les cadres de la Fédération de France du FLN. On pouvait éventuellement lui reconnaître la faculté de marginaliser les membres de la direction qui ne l'avaient pas soutenu lors de sa course au pouvoir. Mais il n'avait aucun droit de mettre sur la touche tous les militants de cette fédération, car ils avaient fourni un travail remarquable en faveur de la libération. C'est ainsi que lors des festivités du 1er novembre 1962 étaient invités des gens que nous n'avions jamais vus aux moments difficiles, alors que ceux qui avaient lutté à nos côtés étaient ignorés. N'était-il pas aberrant d'inviter le premier secrétaire du PCF aux cérémonies officielles, alors que son prédécesseur Maurice Thorez avait fermement condamné, lors du congrès d'Ivry, l'action du 25 août 1958 ? Faut-il rappeler qu'aucun des militants qui avaient courageusement abandonné le parti pour nous rejoindre n'a été convié à cette manifestation historique couronnant la lutte de Libération ? L'Histoire retiendra que la direction du PCF n'a proposé son soutien au FLN qu'en janvier 1962, c'est-à-dire au moment où le train entrait en gare, la locomotive n'avait plus besoin de charbon. Mais encore une fois la défaillance des appareils ne diminue en rien l'engagement de ses nombreux militants. Enfin, et pour répondre clairement à votre question, je dirai qu'il n'est jamais trop tard pour replacer l'Histoire dans sa vérité, en affirmant notamment le mérite des Français anticolonialistes qui se sont trouvés près de nous. Notre reconnaissance va bien sûr et d'abord aux chouhada tombés sur le territoire national ou en France, aux moudjahidine, aux torturés, aux emprisonnés, aux déportés, aux internés. Elle doit aussi aller à tous ces Français qui, par conviction politique, idéologique ou religieuse, se sont engagés pour aider l'Algérie à se libérer du joug colonial. Pour ma part, je regrette qu'il n'y ait à ce jour aucune place, aucune rue commémorant le sacrifice d'un homme comme Fernand Yveton, le premier Européen guillotiné en Algérie pour notre indépendance ou celui du professeur belge Laperche assassiné par les services spéciaux français. Est-ce seulement un oubli ? Si tel est le cas, j'espère qu'on y remédiera assez tôt. Cela en ce qui concerne les personnes. Pour ce qui est des relations d'Etat à Etat, il me semble que, sans occulter l'Histoire, la vérité doit être dite, mais sans excès passionnel. Quarante-deux ans après l'indépendance, allons-nous continuer à « nous regarder en chiens de faïence », à nous reprocher mutuellement les tragiques péripéties de la guerre ? La passion aveugle, elle perturbe également la raison. Un exemple à méditer nous est fourni par les relations franco-allemandes empoisonnées durant plus d'un siècle par les souvenirs des guerres qui les ont déchirées. Ces relations ont repris progressivement sur une base saine depuis que de Gaulle et Adenauer ont jeté les fondements d'une entente, qui constitue aujourd'hui le socle de l'Union européenne. Si nous nous en inspirons, il nous faudrait reconnaître que l'Etat français d'aujourd'hui n'est pas celui de Guy Mollet. Il y a certes, tout comme chez nous d'ailleurs, une minorité de gens qui, ayant péniblement vécu cette guerre, ne peuvent facilement oublier. Cependant, pour l'écrasante majorité de nos deux peuples, il faut y voir une étape dans les rapports colonisateurs-colonisés qui, avec le temps, est devenue un fait historique à considérer avec sérénité. Quel est l'intérêt de l'Algérie aujourd'hui ? Que nous le voulions ou non, une situation s'impose : sur l'autre bord de notre mer commune, la France abrite une communauté algérienne de plus de 2 millions d'hommes, sans compter les centaines de milliers de binationaux. Nos intérêts avec ce pays sont également tributaires des importants investissements placés ici. Il y a lieu aujourd'hui de reconnaître que nous aurons durant longtemps encore besoin de l'investissement étranger. Tous ces facteurs font que la refondation de nos relations avec nos voisins français doit être perçue comme un fait positif, aussi bien pour l'Algérie que pour la France, qui y a également intérêt du fait que le marché algérien lui est profitable. C'est d'ailleurs dans ce sens qu'il faudrait comprendre les déclarations des Présidents algérien et français le 15 août dernier.
La Déclaration du 1er Novembre 1954 constitue-t-elle aujourd'hui encore un document idéologique incontournable pour toute action de redressement national ou de sursaut citoyen ?
L'appel du 1er Novembre 1954 est un document à effets multiples. Il exprime des objectifs politiques et sociaux. Il détermine aussi les actions pratiques à entreprendre et à poursuivre pour la lutte armée. Le but n'était pas tant de battre militairement l'armée française (le FLN n'en avait ni l'ambition ni les moyens), mais beaucoup plus, d'amener le colonialisme français à dialoguer avec nous pour instaurer la République algérienne démocratique et sociale. Voilà en substance ce que vise l'appel du 1er Novembre 1954. L'Algérie nouvelle est une république, dont le pouvoir doit provenir du peuple. Sur le plan formel, nous n'avons rien à redire. Pour ce qui est, en revanche, de la démocratie, l'on pourrait s'interroger. En effet, le premier président Ben Bella n'a jamais été l'élu du peuple, mais d'une assemblée constituée par lui-même. Aussi, l'expression « démocratie » (le pouvoir au peuple) n'est sans doute pas adéquate. Suite à ce dérapage initial en 1962 (illustré par un millier de morts et des centaines de blessés), il semble certain que la démocratie aura du mal à s'inscrire dans les consciences. Ce faux départ initié quelques semaines auparavant lors du congrès de Tripoli a inscrit les relations Etat-citoyen dans des rapports de force et non de droit. Beaucoup de militants sincères ont tenté à l'époque de s'y opposer. Mais ne disposant pas de la force, leur action était nécessairement condamnée à l'échec. Les chefs d'Etat qui succéderont au premier seront élus dans des conditions tout aussi contestables au plan des règles démocratiques. Pour ce qui est enfin de l'aspect social qu'évoque la Déclaration du 1er Novembre 1954, on peut dire qu'un effort a été fait en matière d'éducation, de santé, d'octroi de terres aux agriculteurs, même si souvent l'on a sacrifié la qualité à la quantité. Lorsque, aujourd'hui, on relit cet appel du 1er Novembre 1954, il n'y aurait - me semble-t-il - pas grand-chose à modifier dans le fond. Il a d'ailleurs été bien explicité par la plate-forme de La Soummam du 20 août 1956. On y retrouve une option démocratique très fermement affirmée, et l'on peut déplorer que les objectifs politiques de cette charte ne soient pas encore atteints. Si de nos jours on tentait de les appliquer, on s'acheminerait sans doute, plus sûrement et plus tôt, vers la démocratie, la paix sociale, l'apaisement et l'entente entre Algériens.


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