Très grande mobilisation hier à la marche de soutien à Cevital et de dénonciation du blocage de son projet d'usine de trituration de graines oléagineuses dans la ville de Béjaïa. L'appel du comité de soutien a réussi à mobiliser presque deux fois plus que ce qu'il a pu réunir lors de ses deux précédentes marches. La mobilisation grandit et le ton monte. Ils étaient des milliers à battre le pavé à partir du complexe agroalimentaire de Cevital jusqu'au siège de la wilaya, sur un parcours de quelque deux kilomètres. L'élargissement de la mobilisation jusqu'en dehors de la wilaya de Béjaïa, avec la création de plusieurs comités de soutien, s'est traduit avec éclat sur le terrain. Ils sont venus d'Oran, de Blida, Skikda, Sétif, Tizi Ouzou, Bouira, BBA, El Khroub… avec leurs banderoles, grossissant une foule bruyante qui a envahi les rues de la ville. Aux banderoles, pancartes, tenues de travail et badges, on reconnaît des travailleurs des filiales de Cevital, Lala Khedidja, Prosmi, MFG (Larbaâ), MSAT, Hyprodis net… Ils sont aussi venus nombreux de Taguemount Azouz, le village de Issad Rebrab. Les élus et militants du RCD signent leur fidélité au mouvement par la présence, cette fois-ci, de deux députés de Tizi Ouzou, en plus des deux parlementaires de Béjaïa. Des syndicalistes, militants de partis et d'associations ont répondu en nombre à l'appel.
Coup de gueule de Djamel Zenati Djamel Zenati, l'ancienne figure de proue du MCB, a pris part à cette «marche de la dignité» en s'engageant pleinement dans la dénonciation du blocage de Cevital. «J'ai le devoir d'être là, car j'ai vu l'injustice avec ses cornes», a-t-il déclaré lors des interventions devant le siège de la wilaya. En constatant que «le pays est en faillite», il n'estime pas moins que c'est le silence de la rue qui encourage le pouvoir à persister dans ses faits. «Je souhaite qu'il y ait la prochaine fois des millions de marcheurs. Ils ne bloquent pas que Cevital, mais la région et toute l'Algérie. Le pays est en crise, ils devraient normalement solliciter les énergies. Ils ont siphonné l'argent public en le donnant à leurs amis. Empêcher quelqu'un d'investir sur son propre terrain, c'est du jamais vu», dénonce D. Zenati. L'ex-directeur de campagne de Hocine Aït Ahmed invite les gens à voir dans cette affaire de blocage un motif de rassemblement des énergies. «On est contre l'affrontement, mais s'ils le veulent, nous sommes prêts pour cela», s'emporte D. Zenati qui appelle les Algériens à s'organiser pour affronter «les jours noirs» qui se profilent à l'horizon. Sans vouloir se montrer alarmiste, D. Zenati se veut réaliste. Devant le silence des autorités publiques, il propose de radicaliser le mouvement. «Bloquons leurs administrations. Si ces responsables sont désignés pour servir leurs amis, nous ne les laisserons pas faire», a-t-il suggéré. Avant d'arriver à son point final, la marée humaine s'est fait, cette fois-ci, un point d'honneur de passer devant l'entrée de l'entreprise portuaire pour révéler au directeur général du port la démonstration de force et se faire entendre de lui. «Monsieur le directeur, expliquez-nous comment au port de Djendjen, on a dégagé 16 hectares pour deux usines et qu'à Béjaïa on bloque le projet de Cevital même à l'extérieur du port ?» lance au microphone Mourad Bouzidi, porte-parole du comité de soutien aux travailleurs de Cevital et aux investissements dans la wilaya de Béjaïa, s'adressant à Djelloul Achour, le premier responsable de l'Entreprise portuaire de Béjaïa (EPB). C'est cette interrogation qui est reprise sur une longue banderole entourée de représentants de la société civile et qui ouvre la marche : «Pourquoi ce qui est valable, autorisé, encouragé et financé à l'intérieur du port de Djendjen (Jijel) est empêché même à l'extérieur du port de Béjaïa ?» «Une question de dignité» Le portail du port, habituellement ouvert, est fermé pour l'occasion, et bien gardé par une escouade de policiers. Derrière les vitres des bureaux de l'administration portuaire, ils sont nombreux à s'agglutiner pour suivre ou filmer l'imposante marche. «C'est une question de dignité. En voulant exterminer Cevital, c'est tout le pays qu'on veut exterminer», affirme Mourad Bouzidi qui crie : «Djelloul berra, le port n'est pas à toi», repris par des milliers de gorges chaudes de colère. Les manifestants observent sur les lieux une minute de silence à la mémoire des martyrs de la Guerre de Libération nationale avant que le président du comité de soutien, Kaci Sayad, ne s'adresse, lui aussi, au directeur général du port : «S'il a un problème personnel, qu'il le règle autrement. Djelloul Achour laisse nous travailler.» La procession a continué la marche avec ses carrés. Dans celui aux couleurs sétifiennes, on entend crier ce message destiné à Saïd Bouteflika, le conseiller du Président : «Saïd, débloque Cevital !» Il est repris par des manifestants qui reprennent en chœur un cri inspiré d'un vieux slogan nostalgique d'Octobre 88 : «Cevital chouhada». Dans le carré formé par des manifestants venus de Tizi Ouzou, on entend ceci : «Nenad Cevital matchi Haddad» (On vous dit que Cevital n'est pas Haddad). Au moment où la tête de la marche est arrivée au siège de la wilaya, sa queue est à hauteur de la poste du quartier d'El Khemis, quelques centaines de mètres plus loin. «Par deux fois, le wali a refusé de nous recevoir comme si nous étions des étrangers», lance Kaci Sayad. Cette fois-ci, la énième lettre adressée au Premier ministre, sera acheminée par un autre canal. C'est la quatrième missive du genre destinée aux hautes autorités du pays. Aucune suite à aucune d'elles. «Le directeur général du port n'est qu'un instrument entre les mains des lobbies», déclare Mourad Bouzidi qui annonce que le comité invitera «les Algériens à l'étranger pour nous soutenir». «La diaspora est en train de bouger pour cela», annonce-t-il.