Il a laissé des traces visibles. Qui ne connaît pas, par exemple, sa fresque de 100 m2 en carreaux de tôle émaillée près du Parc Sofia d'Alger ? Ou encore celle en faïence sur la façade de la Maison de jeunes d'Hussein Dey ? Ou cette statue à Bouzaréah, hélas cachée par un kiosque ! Convaincu que l'art devait occuper la rue, il fut un précurseur de l'art urbain qu'il aurait tant aimé développer dans notre pays. Le 8 novembre était son 86e anniversaire. La veille, le graveur et peintre Salah Hioun rendait l'âme. Et six jours après, Choukri Mesli, épuisé par sa maladie, décédait à Paris où il vivait depuis 1994 après l'assassinat du directeur de l'Ecole nationale des beaux-arts, Ahmed Asselah, et de Rabah, fils de ce dernier. Né en 1931 à Tlemcen dans une famille de lettrés et de musiciens engagés dans le mouvement nationaliste, Choukri Mesli suit en 1947 l'installation de ses parents à Alger. Sa destinée artistique se forge à l'Ecole des beaux-arts où il reçoit à ses débuts l'enseignement de Mohammed Racim. Parallèlement à ses études, il participe à la création de la revue Soleil fondée par le poète Jean Sénac. Il participe à des expositions collectives et son talent s'affirme déjà. En 1951, il reçoit le prix Cornuz au 48e Salon des artistes algériens et orientalistes. En 1952, il obtient le premier prix d'un concours destiné aux jeunes créateurs et organisé par la Metro-Goldwyn-Mayer pour l'affiche du film Autant en emporte le vent. En 1953, à l'exposition de la «Jeune peinture», il est lauréat du premier Prix de peinture de la ville d'Alger. Diplômé en 1954, il se rend à Paris pour poursuivre ses études à l'Ecole supérieure des beaux-arts. Il milite alors au sein du FLN et s'occupe de la défense de sa sœur, Fadela, et de son frère, Amine, arrêtés au maquis. Il interrompt ses études suite au mot d'ordre de grève des étudiants algériens en 1956. Puis, il rejoindra l'école en 1960 pour devenir le premier Algérien titulaire d'un diplôme supérieur des Beaux-Arts avant de se rendre au Maroc où jusqu'en 1962, il enseigne le dessin à Rabat. Dès l'indépendance, il rentre au pays.
Il ne cessera pas, jusqu'à son exil, d'enseigner à l'Ecole nationale des beaux-arts tout en créant ses propres œuvres. Des dizaines de promotions d'étudiants sont passées par son atelier qu'il dirigeait avec une rare énergie. Plusieurs d'entre eux sont devenus de grands artistes, tel Rachid Koraïchi qui nous écrit : «C'était un immense artiste, un homme bon dans l'entente d'un être généreux, aimant ses étudiants, un excellent pédagogue qui nous a amenés à être des artistes construits, responsables devant le futur et militants de la vie... Il a marqué de son vivant des générations d'Algériens. Je suis de ceux qui lui doivent beaucoup…» Mesli a été en 1963 l'un des fondateurs de l'UNAP (Union nationale des arts plastiques), dont il refusera la caporalisation et qu'il finira par quitter. Passionné par le patrimoine algérien, féru d'art africain, il fait partie en 1967 des créateurs du mouvement Aouchem qui sublime le signe traditionnel comme élément d'élaboration d'une modernité authentique. En 1969 a lieu le Festival culturel panafricain d'Alger dont il est le responsable des arts plastiques. Il noue alors des relations encore plus fortes avec les artistes africains, et son œuvre, colorée et mouvementée, exprime l'ensemble de ces affiliations ou inclinations. L'année 1971 a lieu la deuxième et dernière exposition Aouchem. S'ouvre alors pour lui une période d'intenses recherches et créations, dont, en 1982, un voyage aux USA avec d'autres artistes africains. Ils exposent à New York, Atlanta, San Francisco, Washington. A son retour, Mesli reprend son travail avec enthousiasme. Il expose en solo et en groupe en Algérie comme à l'étranger. En octobre 1988, il fait partie du RAIS (Rassemblement des artistes, intellectuels et scientifiques). A partir de 1994, la vie hors du pays le mine en relais avec ses problèmes de santé. La grande exposition que lui consacre le MaMa à la faveur du 2e Festival panafricain d'Alger (5 juillet-31 oct. 2009) sous le titre «Mesli l'Africain» constituera une reconnaissance tardive mais bienvenue. Elle ne suffira pas à contrebalancer les effets de l'âge, de l'exil et de la maladie et l'on ignore s'il a pu produire depuis de nouvelles créations. Il en laisse suffisamment cependant pour apprécier l'œuvre d'une vie.