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Quelles relations ?
Environnement, droits de l'homme et développement durable
Publié dans El Watan le 23 - 12 - 2017


Par Azzouz Kerdoun
Professeur des Universités, membre du Conseil national des droits de l'homme, membre expert auprès du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies
Depuis la Déclaration de la conférence de Rio de Janeiro en 1992, le développement durable repose sur trois piliers que sont l'environnement, l'économie et le développement social. Ces trois dimensions sont indissociables et interdépendantes. Elles doivent être considérées ensemble dans toute démarche qui vise le développement, mais un développement durable qui a pour but de produire des richesses et de veiller à réduire les écarts et les inégalités, sans pour autant dégrader l'environnement.
L'expression «Sustainable Developement» ou développement durable,(1) est apparue pour la première fois dans les années 1980, mais c'est dans le rapport intitulé «Our Common Future», dit rapport Brundtland, publié par la commission mondiale des Nations unies pour le développement en 1987,(2) et la tenue de la conférence de Rio de Janeiro en 1992, qu'une définition élaborée a été donnée en précisant que «le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs».
Ce qui tend à privilégier la problématique environnement et développement dans le cadre d'une approche équilibrée et intégrée, car l'être humain est le premier acteur du développement, et il en est le principal bénéficiaire, tant sur le plan individuel que collectif. C'est ce qu'ont rappelé auparavant la résolution (2000/5) de la Commission des droits de l'homme sur le droit au développement(3) et l'Assemblée générale des Nations unies dans leur résolution sur le même sujet en estimant que l'homme a «un droit inaliénable en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l'homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement»(4)
Le concept de développement bien compris a fait l'objet par la suite de plusieurs définitions qui l'ont bien inséré dans le cadre des droits de l'homme. La Cour internationale de justice dans son avis consultatif à propos de la licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires a circonscrit le concept d'environnement en lui donnant une définition précise dans sa décision. The Court recognize «that the environment is not an abstraction but represents the living space, the quality of life and the very health of human beings, including generations unborn(5)». (L'environnement n'est pas une abstraction mais représente un espace de vie pour la qualité de vie et de santé des êtres humains incluant les générations futures).
Par ailleurs, la Cour a eu plusieurs occasions de se pencher sur des différends ayant des implications environnementales, dont certains se réfèrent au développement durable sans les avoir cependant traités de manière adéquate. La protection de l'environnement, le développement et les droits de l'homme prennent une place importante et sont au centre des préoccupations de la justice internationale.(6) Peut-on ainsi dire que la question environnementale est bien introduite dans le cadre du développement durable en devenant au niveau international un volet incontournable de la coopération depuis que la globalisation des solutions à apporter aux problèmes de la dégradation de l'écosystème s'est imposée, et qui a vu naître de nouvelles solidarités mondiales face aux enjeux croissants auxquels tous les Etats de la planète sont confrontés collectivement.

Références :
1) Le concept de développement durable a été formulé en 1980 dans le cadre de la stratégie mondiale de conservation. Il a été repris, développé et popularisé par le Rapport Brunthland du nom de l'ancienne Première ministre de Norvège en 1987, et enfin consacré solennellement par la Déclaration de Rio de Janeiro de 1992 en son point 3. Voir ci-dessus dans le texte en italique la définition du développement durable donnée par la Déclaration de Rio. Cf. A/ConF.216/L.1, 22 Juin 1992
2) Notre avenir à tous, Montréal 1988, Editions du fleuve, et les publications du Québec, 461p.
3) Résolution 2000/5, ohcr. Org/documents/F/CHR/résolutions/E-CN_4-Res 2000-5 doc. Voir, également, A. Kerdoun, «Le droit au développement en tant que droit de l'homme : portée et limites», Revue Québécoise de droit international, n° 17.1, 2004, pp 73-96
4) Résolution AG 41/128. Doc. Off. AGNU, 41e session, supp n° 3, Doc. NU A/47/53 (1986) pp 196-197
5) Cf. International Court of Justice, Year Book 1996, «Legality of the threat or use of Nucleare Weapons Reports of Judgements, Advisory opinion and orders 1996», p 241, paragraph 29.
6) Cf. Arrêt Gabcikovo-Nagymanos du 25 septembre 1997, Hongrie contre Slovaquie à propos du projet de construction et de fonctionnement du système d'écluses par les parties sur le fleuve Danube. La Cour a rappelé dans cette affaire l'obligation générale des Etats de protéger et respecter l'environnement. Ce fut la première décision de la Cour dans laquelle elle se réfère au développement durable, qui traduit bien la nécessité de concilier développement économique et protection de l'environnement. Voir également une autre affaire encore pendante devant la Cour, relative à la protection de l'environnement. L'arrêt des usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay du 20 avril 2010, Argentine contre l'Uruguay. In Emmanuelle Doussis, «La protection de l'environnement dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice : à propos de l'arrêt des usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (20 avril 2010)», in Revue Hellénique de droit international, 64e année. 2/2011, pp 661-687
7) L'organisation des Nations unies a adopté une feuille de route ambitieuse pour vaincre la pauvreté en 2030 et préserver l'environnement. 17 objectifs ont été retenus avec 169 cibles. Cf. Rémi Barroux, journal Le Monde du 25/09/ 2015
8) Convention-cadre des Nations unies ou accord de Paris sur les changements climatiques adopté par 195 pays le 12 décembre 2015, FCCC/CP/2015/L.9 Rev1.
9) La Déclaration de Rio + 20 contient des références précises en réaffirmant «l'importance de la liberté, de la paix et de la sécurité, du respect des droits de l'homme, y compris le droit au développement et le droit à un niveau de vie adéquat, notamment le droit à l'alimentation, l'Etat de droit, l'égalité et l'autonomisation des femmes ainsi que plus, généralement, notre engagement en faveur des sociétés justes et démocratiques aux fins du développement.» A/Conf. 216/L. juin 1992
10) Cf. A. Kerdoun, «La place des droits économiques, sociaux et culturels dans le droit international des droits de l'homme». In Revue trimestrielle des droits de l'homme, Bruylant, Bruxelles, 22e année, n° 87, 1er juillet 2011, pp 499-524
11) Les deux Pactes internationaux relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels ont été adoptés en 1966. Ils contiennent un certain nombre de droits civils et politiques et de droits économiques, sociaux et culturels .
12) Cette conférence s'est tenue à Mérida au Mexique du 8 au 10 octobre 2015
13) La nouvelle Constitution algérienne adoptée en 2016 a consacré le droit à l'environnement dans son article 68 en stipulant que «Le citoyen a droit à un environnement sain. L'Etat œuvre à la préservation de l'environnement. La loi détermine les obligations des personnes physiques et morales pour la protection de l'environnement». D'autres pays ont également consacré le droit à l'environnement dans leur Constitution. Il faut citer, entre autres : la Corée du Sud a introduit dans sa Constitution un «droit à un environnement sain et agréable» ; l'Equateur indique dans l'article 15 de sa Constitution que «l'Etat garantit (…) le droit de vivre dans un environnement exempt de contamination» ; l'Espagne, dans l'article 45, affirme que «chacun a le droit de vivre dans un environnement approprié pour le développement de la personne et le devoir de le préserver». Le Portugal a été le premier pays en 1976 à introduire dans sa Constitution, article 66, «le droit à un environnement sain et écologiquement équilibré».
14) Voir la Déclaration de l'Unesco du 12 novembre 1997 sur les responsabilités des générations présentes envers les générations futures. Lien www.portal.unesco.org/ev.php-url
La reconnaissance du droit de l'homme à un environnement sain fait également partie de cette problématique de l'irruption du développement qui tienne compte de l'homme et des sociétés humaines dans leur milieu environnemental. Une telle reconnaissance constitue un long processus qui doit mener au développement durable qui nécessite l'adhésion de tous, car pour les êtres humains, le concept de développement durable sous-entend un équilibre dans la satisfaction des besoins essentiels : conditions économiques, environnementales, sociales et culturelles d'existence au sein des sociétés humaines.
C'est affirmer que les questions liées aux besoins des populations, et donc du développement, se trouvent au cœur de toutes décisions politiques qui doivent œuvrer grâce au développement durable à la satisfaction des aspirations de tous à une meilleure qualité de vie. Le concept de développement durable est en effet un concept d'équilibre et de mise en œuvre de politiques efficaces et profitables à toutes les composantes de la population. Il invite à repenser entièrement les rapports qu'entretient l'homme avec la nature, l'économie, la politique et le développement.
Cependant, face à la crise écologique et sociale qui se manifeste aujourd'hui de manière mondialisée et dont les conséquences sont le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources naturelles, les pénuries d'eau douces, le rapprochement du pic pétrolier, les écarts entre les pays développés et les pays en développement, la sécurité alimentaire, la déforestation, la perte drastique de la biodiversité, la croissance de la population mondiale, les catastrophes naturelles et industrielles, la seule réponse à tout cela reste la réalisation du développement pour l'ensemble des acteurs : Etats, entreprises économiques, société civile, y compris la prise en charge du volet concernant les aspects culturels et sociaux du développement.
Les droits humains sont devenus une condition nécessaire pour la réalisation d'un développement durable qui devient un élément très représentatif de la bonne gouvernance. En fait, il s'agit de rendre réels et accessibles l'ensemble des droits de l'homme qui sont le cœur et l'objectif du développement social, et par conséquent du développement durable. Ce dernier pose également la problématique de la justice intergénérationnelle et intra-générationnelle, conditions de la réalisation du droit humain fondamental qu'est le droit au développement.
Ce qui implique évidemment une responsabilité globale à l'échelle mondiale. Au plan mondial, l'année 2015 a été marquée par l'engagement de plusieurs échéances majeures pour l'avenir de l'humanité. Elle est l'année qui a vu l'adoption des Objectifs du développement durable (ODD) «Sustainable Development Goals'» (SDGs),(7) qui font suite aux huit Objectifs du Millénaire pour le développement, et qui constituent un véritable programme de travail pour les années 2015 à 2030.
Ces objectifs mobilisent par leur caractère universel tous les Etats de la société internationale et l'ensemble des acteurs économiques, sociaux et culturels, y compris la société civile. L'agenda de 2030 fixe des objectifs ambitieux pour la variété d'enjeux qui affectent les personnes et la planète. Il s'appuie sur les droits économiques et sociaux lorsqu'il s'agit d'éradiquer la pauvreté (objectif 1) et la faim (objectif 2), et garantit l'accès aux soins de santé (objectif 3), à l'éducation (objectif 4), à l'eau et à l'assainissement (objectif 6) ainsi qu'à l'emploi et à un travail décent (objectif 8), et reflètent aussi un certain nombre de droits civils et politiques. Les objectifs du développement durable sont perçus comme un moyen d'éliminer la pauvreté, de transformer nos vies et de protéger la planète.
L'accord sur les changements climatiques (COP 21)(8) intègre, lui aussi, toutes les questions liées au développement durable dans une problématique plus large de protection de l'environnement, en y insérant des liens étroits avec les droits de l'homme. Cette reconnaissance explicite et le renforcement des relations entre le développement, l'environnement et les droits de l'homme, incarnés dans la notion de développement durable, sont désormais envisagés globalement et non séparément, car les droits de l'homme sont considérés comme faisant partie du concept de développement durable. Ils sont ainsi compris, non seulement comme une fin, mais aussi comme un moyen de ce développement puisque l'universalité des objectifs du développement durable(9) reflète également l'universalité des droits de l'homme.
La grande majorité des objectifs du développement durable porte sur des sujets qui sont appréhendés sous l'angle des droits de l'homme, puisque ces objectifs couvrent des domaines dans lesquels le droit international des droits de l'homme (10) a établi toute une série de normes juridiques et des mécanismes de mise en œuvre, étant donné qu'ils sont une source importante d'articulation entre les droits de l'homme, l'environnement et le développement. Ces trois éléments jouent un rôle majeur dans l'application et l'interprétation de certaines conventions internationales qui visent les droits de l'homme, ainsi que les Pactes internationaux des droits civils et politiques, et des droits économiques, sociaux et culturels qui, à travers leurs dispositions, consacrent à la personne humaine des droits individuels importants pour qu'elle puisse s'en prévaloir et en jouir pleinement. (11)
Au plan national, il est évident que les institutions nationales des droits de l'homme sont concernées par la connexion de ces trois questions : environnement, droits de l'homme et développement, étant donné qu'elles sont déjà impliquées directement dans la promotion et la protection des droits de l'homme et sont particulièrement bien placées pour assurer la liaison entre les parties prenantes en jouant un rôle dans la mise en œuvre des objectifs du développement durable par le biais de la promotion des processus nationaux et de suivis transparents, participatifs et inclusifs.
La Déclaration de Mérida sur «le rôle des institutions nationales des droits de l'homme dans la mise en œuvre de l'agenda 2030 pour le développement durable», issue de la conférence qui s'est tenue au Mexique(12), l'a bien souligné, en affirmant que les institutions nationales des droits de l'homme s'occupent déjà de questions d'une importance capitale pour l'agenda 2030 dans leur travail régulier.
Il est maintenant admis dans beaucoup de pays de voir la consécration constitutionnelle du droit de l'homme à l'environnement(13), ce qui permet aux institutions nationales des droits de l'homme de participer activement à la réalisation du lien entre l'environnement, les droits de l'homme et le développement.
Mais il reste difficile de formuler concrètement ce droit fondamental nouveau parce que la protection de l'environnement ne concerne pas uniquement l'homme, mais aussi tous les êtres vivants et la biosphère. Il s'agit donc d'un tout écologiquement indissociable équilibré et approprié au développement de la vie qui protège à la fois l'homme et le milieu dans lequel il vit.
Au final, la corrélation entre les droits de l'homme, l'environnement et le développement révèle une forte interdépendance entre les trois questions. Cette interdépendance est concrète, car le respect, la protection et la mise en œuvre des droits de l'homme constituent des facteurs d'un développement durable et d'un environnement sain. Elle est ensuite juridique, car il existe un droit de l'homme au développement et un droit de l'homme à l'environnement sain. Nous sommes ainsi en présence d'un nouveau paradigme, celui du développement durable, qui contribue à construire un nouvel ordre économique et social qui prendra en compte l'intérêt des générations présentes et celui des générations futures.(14)


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