L'an dernier et plus précisément le 13 avril 2016, j'ai cosigné avec un collègue et ami un article confié au Soir d'Algérie rendant compte de l'hommage qui avait été dûment dédié à un autre collègue, le professeur émérite Ali Bencheneb. Le cadre de cet hommage était constitué par la Faculté de droit d'Istanbul qui a accueilli les 8 et 9 avril 2016, pour la circonstance, des journées d'études méditerranéennes consacrées à l'arbitrage commercial international. Les travaux de cette manifestation scientifique de haut niveau ont d'ailleurs débouché sur un remarquable ouvrage de 500 pages intitulé Où va l'arbitrage international ? De la crise au renouveau (édition LexisNexis). A travers notre modeste article nous avions voulu, en premier lieu, saluer le mérite d'une consécration internationale d'un éminent professeur de droit doublé d'un brillant avocat d'affaires et fin connaisseur du monde de l'arbitrage commercial international. En second lieu, nous souhaitions déplorer le peu d'intérêt accordé en notre pays à cette tradition universitaire consistant à rendre hommage (soit en leur offrant des mélanges, soit en leur dédiant des manifestations scientifiques) à d'illustres maîtres, surtout lorsqu'ils sont le produit de l'université de leur pays qu'ils ont servi avec compétence et abnégation. Aussi ne peut-on que se réjouir qu'une seconde édition du genre ait été organisée en Algérie même le 3 décembre 2017 sous la forme d'un colloque international portant sur «L'arbitrage international et les relations d'affaires dans le secteur pétrolier». Soulignons d'emblée que l'initiative revient à Me Rabah Hached qui préside l'Association des avocats pour un Barreau pluriel à Paris. Quant à l'organisation, elle fut partagée avec l'Institut supérieur de gestion et de planification (ISGP) de Bordj El Kiffan à l'Est d'Alger où officie également le professeur Bencheneb. Sous la direction scientifique du professeur Emmanuel Gaillard de Paris, du professeur Chérif Bennadji d'Alger et de Me Rabah Hached du Barreau de Paris, le colloque fut judicieusement organisé autour de deux axes : le premier, traité durant la matinée, était dédié au droit des contrats pétroliers (régime juridique, fiscal et comptable). Durant cette session, les séminaristes ont eu le plaisir d'écouter le doyen Ahmed Mahiou qui, avec le talent qu'on lui connaît, a magistralement introduit la thématique du droit pétrolier dont il faut déplorer l'absence d'un enseignement au sein de nos facultés alors même que notre pays est, pour de nombreuses années encore, dépendant de la rente pétrolière. Brossant un tableau du droit des contrats pétroliers dans une perspective historique, Ahmed Mahiou distingue quatre phases. La première et longue phase est celle des contrats de concession qui a commencé au début de l'exploration et de l'exploitation des premières productions pétrolières à la fin du XIXe siècle et qui s'est achevée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La seconde phase, qui va des années 1945 au milieu des années 1980, est celle des nationalisations et donc de l'apparition de sociétés pétrolières étatiques. Tout cela entraîna naturellement un changement important des anciennes concessions qui firent place à toute une série de nouveaux contrats : contrat de partage de production, contrat de services, contrat d'association ou joint-venture… La troisième période s'ouvre au milieu des années 1980 avec la tendance à l'établissement d'un marché pétrolier international où la concurrence s'installe, avec notamment le marché spot où des vendeurs et acheteurs indépendants prennent en charge le commerce du pétrole. Avec les gaz de schiste, on peut se demander, nous dit Ahmed Mahiou, si nous ne sommes pas entrés dans une quatrième étape dont il est encore difficile de voir toutes les implications sur les contrats. Cette introduction fut suivie par un exposé des plus exhaustifs sur le régime juridique de l'investissement étranger dans le domaine des hydrocarbures présenté par le juriste d'entreprise, doté d'une longue expérience, Monsieur Abdelhamid Ghezali. Après quoi, Me Samir Hadji Ali et Me Samy Laghouati versèrent au débat des rapports extrêmement précis et détaillés sur les épineuses questions afférentes à la comptabilité, à l'audit et au régime fiscal des contrats pétroliers Quant au second axe, traité durant la session de l'après-midi, il fut consacré à l'arbitrage international lié aux contrats dans le secteur pétrolier. La thématique étant extrêmement vaste, les organisateurs ont choisi de mettre la focale d'abord sur les qualités de l'arbitre dans le contentieux des hydrocarbures tant il est vrai, comme le dit l'adage, «tant vaut l'arbitre, tant vaut l'arbitrage» ; puis sur un problème assez technique puisque portant sur quelques aspects de la preuve dans ce type d'arbitrage international. Les deux exposés ont été présentés brillamment par des praticiens parisiens, collaborateurs de l'éminent professeur Emmanuel Gaillard membres d'un prestigieux cabinet d'avocats international. Celui-ci, comme à son habitude, a magistralement fait profiter l'assistance (au demeurant nombreuse et assidue tout au long de la journée) de sa vaste expérience dans cette branche extrêmement subtile et complexe de l'arbitrage commercial international. La présence à Alger de cet avocat et arbitre émérite lors de ce colloque était en soi un événement apprécié à sa juste mesure par les organisateurs et le dédicataire du colloque. Quant à la synthèse du colloque, tâche extrêmement difficile eu égard à la richesse des communications et du débat, elle a été confiée à Monsieur Ali Hached, très connu dans le secteur des hydrocarbures et dont l'expertise en matière de gaz notamment est internationalement reconnue. Puisque ce colloque a été organisé en hommage au professeur émérite Ali Bencheneb, le professeur Cherif Bennadji a prononcé, dès l'entame de la manifestation, une allocution qui aura permis à nombre de participants de découvrir ou de mieux connaître le dédicataire. Sid Ali Bencheneb, petit-fils de l'illustre Mohamed Bencheneb qui fut docteur es lettres en 1922 et premier musulman titulaire d'une chaire à l'université d'Alger créée en 1909, est également le fils de Saad Eddine Bencheneb, Grand Prix littéraire de l'Algérie en 1944 et premier doyen de la Faculté de lettres de l'université d'Alger après l'indépendance. Issu d'une prestigieuse famille d'universitaires, Ali Bencheneb constitue, en sa qualité de professeur en titre, la troisième génération d'agrégés dans la même famille. C'est là un exemple unique dans l'histoire culturelle algérienne récente qui gagnerait à être encore mieux connu par les temps qui courent marqués par bien des impostures et par un net recul des valeurs de la science. Sid Ali Bencheneb aurait pu se contenter de ce consistant viatique et donc de vivre des ressources symboliques de sa prestigieuse lignée. C'était mal le connaître. Manifestement, il a su faire sien le vers du poète arabe qui énonce que «Le preux n'est pas celui qui dit : mon père était ou fut ! Le preux est celui qui dit me voici !» Faisant montre très tôt d'une grande détermination, et plus tard alliant admirablement sa carrière de professeur de droit et ses activités d'avocat d'affaires ainsi que d'arbitre international, Sid Ali Bencheneb a eu une production intellectuelle inouïe qu'il enrichit d'ailleurs continuellement. Contrairement à une idée reçue aux termes de laquelle il serait un privatiste (spécialiste exclusif du droit privé) le dédicataire a, en vérité, plus d'une corde à son arc. C'est, pourrait-on dire sans se tromper, un encyclopédiste qui a su dépasser la summa divisio droit public/droit privé, ou encore la subdivision droit international/droit interne, pour appréhender le droit dans sa globalité comme l'illustre une de ses œuvres majeures, Introduction à la règle de droit en Algérie. La recension des titres composant sa bibliographie révèle une curiosité intellectuelle énorme mise au service de la science juridique et de son pays car, souligne Cherif Bennadji, Sid Ali Bencheneb, à l'instar de son père qui avait rejoint la Révolution algérienne en octobre 1957, un mois à peine après la création du GPRA est un «patriote» qui a rendu d'innombrables services à son pays et aux institutions qui ont bien voulu faire appel à lui, comme l'ISGP qui accueille le présent colloque. Patriote amoureux de la terre de ses ancêtres, Sid Ali Bencheneb est cependant ce qu'il est convenu d'appeler aussi un «passeur» partisan de la construction de ponts et non de murs, aussi bien entre les deux rives de la Méditerranée qu'entre les pays du Maghreb. En conclusion, le professeur Ali Bencheneb auquel il a été rendu hommage à la faveur de cette belle manifestation scientifique est un maître reconnu à la fois dans le monde universitaire et au sein du milieu des avocats et de l'arbitrage notamment international. En Algérie, dans la langue d'El Moutanabbi, un maître digne de ce nom n'est pas seulement un «oustadh». Il se dit «allama» et «qotb» car c'est véritablement un pôle, un exemple et un modèle pour les jeunes générations de juristes.
Par Mohamed Louber Université d'Alger 1 ; Faculté de droit