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Jeux et enjeux autour d'une cession
Privatisation de l'ex-groupe Asmidal
Publié dans El Watan le 29 - 01 - 2018

«De toutes les entreprises déjà privatisées depuis les années 1990 à ce jour, pas une seule n'était en bonne santé financière. Pis, le plupart d'entre elles étaient en situation de quasi-faillite», justifiait le Premier ministre Ahmed Ouyahia lors de sa toute dernière sortie médiatique, lors de la conférence de presse tenue le 20 janvier à l'issue des travaux du conseil national de son parti (RND), manière de défendre le Partenariat-public-privé (PPP), version 2018.
Déclaration qui n'a pas laissé indifférents nombre de hauts cadres dirigeants et syndicalistes issus de grandes entreprises ayant été charriées par la «violente» vague des privatisations conclues sous les précédents gouvernements du même Ouyahia. Feu Asmidal, complexe pétrochimique spécialisé dans la fabrication d'engrais et fertilisants en est une.
Or, en fait de «quasi-faillite», ce fut tout le contraire, à en croire ces mêmes ex-cadres dirigeants. «Le dossier de la privatisation d'Asmidal fut ouvert pour la première fois vers la fin des années 1999 par Abdelhamid Temmar, alors ministre de la Participation et de la Coordination des réformes. Noureddine Boukrouh prit le relais avant d'être appelé à d'autres fonctions. M. Temmar sera une nouvelle fois nommé à la tête du même Département qui deviendra le ministère de la Participation et de la promotion des investissements avec Ouyahia comme chef du gouvernement.
Ce fut ‘‘grâce'' à ces deux hommes que le processus de privatisation d'Asmidal sera mis en marche et mené à son terme le 5 août 2005 avec l'arrivée de l'espagnol Grupo Villar Mir», se souviennent encore nos sources. Juste avant cette date, faut-il le rappeler, l'ensemble des indicateurs économiques de l'entreprise furent loin, bien loin, de justifier la cession de 66% des actifs de Fertial Annaba et Alzofert Arzew (Oran) au groupe ibérique.
Pour preuve, le groupe Asmidal avait exporté en 2004 pour 138 millions de dollars d'ammoniac, d'engrais liquide et de nitrates. Mieux, à la seule usine Fertial Annaba, un chiffre d'affaires record, d'un montant de 8,5 milliards de dinars, fut atteint 2004 contre 6,5 milliards de dinars en 2003. Fertial était arrivée à s'imposer sur des marchés étrangers alors inaccessibles, à l'instar de l'américain. Ses exportations ayant frôlé les 65 millions de dollars contre 38,7 millions dollars en 2003.
Et pas seulement, puisque des performances non moins prometteuses avaient été enregistrées quelques années auparavant, soit lorsque les spéculations autour de l'ouverture du capital d'Asmidal s'exacerbaient : de 1997, que ce soit en termes de production ou d'exportation, la tendance haussière se poursuivit, le chiffre d'affaires étant passé de 9 milliards de dinars en 1996 à 11 milliards de dinars en 2001.
Idem pour la production : 410 000 tonnes en 1996 contre 1 147 000 million de tonnes en 2001. Il en fut de même pour l'exportation des engrais, 146 000 tonnes, l'équivalent de 28 millions de dollars en 1996 contre 1,507 million de tonnes, totalisant un chiffre d'affaires de 61 millions de dollars en 2001. Des chiffres qui ont aiguisé les appétits les plus fous. A la série d'appels à manifestation d'intérêt, nationaux et internationaux, lancés depuis 2001, les offres affluaient de partout.
Et cela se justifiait mais pour des raisons autres que celles en rapport avec les alléchants chiffres internes : outre le prix du gaz bon marché et une main-d'œuvre très peu coûteuse mais au savoir-faire avéré qui font que l'ammoniac revenait à 70 dollars la tonne et s'exportait à 700 dollars/tonne, voire 1000 dollars, le plus grand et prestigieux cabinet de conseil en stratégie et gestion d'entreprise au monde avait à l'époque évalué le groupe Asmidal à au moins un milliard de dollars.
Parmi les postulants à la prise de participations au capital social, figuraient l'algérien Fertalge qui avait fait une offre de 76 millions de dollars, l'italien Pretiberian (56 millions de dollars), le norvégien Norsk Hydro, le français Fouré Lagadec (65 millions de dollars) qui était intéressé par l'extension de la filiale d'Arzew. Finalement, après avoir collationné les offres et pris note des recommandations, la haute administration avait retenu l'espagnol Fertiberia du groupe compatriote Villar Mir. Pourtant, cette filiale était en sérieuses difficultés, et ce, à l'instar de la vingtaine d'autres entreprises étatiques espagnoles rachetées par GVM à la peseta symbolique.
Raison pour laquelle le syndicat de l'époque s'était farouchement opposé à la privatisation d'Asmidal en multipliant les réunions avec le ministère de tutelle ainsi que les mouvements de protestation à Fertial Annaba comme à Alzofert d'Arzew aux fins de barrer la route au bradage de leur entreprise, qui plus est jouissait d'une excellente santé financière grâce, disaient-il, «aux sacrifices des travailleurs et au dévouement du staff dirigeant, à sa tête Hocine Métouchi. Sous sa direction, Asmidal était devenue une entreprise très riche. Nous percevions des primes (PRI/PRC) représentant 100% du salaire, et ce, outre le 13e mois».
M. Métouchi, se remémorent nos sources, «fut remercié en 2002 par le ministre de la Participation et de la Coordination des réformes d'alors car il était contre l'ouverture du capital de l'entreprise. S'en suivit la création de la holding Asmidal avec la nomination de Chiboub Hasnaoui à la tête du directoire. Le recours à ses services pour mener la privatisation d'Asmidal s'expliquèrent par l'‘‘expertise'' avérée dont il fit preuve lors de la cession, en 2001, du complexe sidérurgique El Hadjar au profit des l'indien Lakshmi Mittal.»
La bonne affaire de Villar Mir
Le processus d'ouverture du capital d'Asmidal qui faisait la notoriété de l'Algérie sur le marché mondial des fertilisants en alliant les capacités d'une véritable organisation (1 million de tonnes d'ammoniac, 825 000 tonnes de nitrate d'ammonium, 240 000 tonnes d'UAN, 800 000 tonnes d'engrais phosphatés et 40 000 tonnes de STPP), se lança et s'accéléra pour aboutir début août 2005 avec la signature du contrat de partenariat avec GVM. Celui-ci s'offrit 66% de parts du capital de la nouvelle co-entreprise rebaptisée Fertial après la fusion des deux filiales (Annaba-Arzew) avec l'engagement d'augmenter le capital à hauteur de 160 millions de dollars.
Prises de participation que nombre d'économistes ou ex-membres du CA de feu groupe Asmidal estiment être un «cadeau inespéré» offert à l'homme d'affaires averti, Juan Miguel Villar Mir. Sa philosophie des affaires, essentiellement basée sur l'austérité et l'autofinancement que le monde entier lui reconnaît, le big bosss du groupe éponyme y avait recours en Algérie : «En plus du problème se rapportant à la provision, des prix plus qu'insignifiants du gaz, M. Villar Mir a judicieusement profité des dispositions du code de commerce algérien réglementant la constitution des sociétés par actions, particulièrement en matière de libération des apports en numéraire où il est stipulé que le nouvel actionnaire a la possibilité de libérer les apports par tranche de 25% et que le capital en numéraire doit être entièrement libéré dans un délai ne dépassant pas les 5 ans.
Le partenaire ibérique, qui est également un redoutable juriste, ne tardera pas à exploiter cet avantage en procédant à la libération du ¼, soit 40 millions de dollars sur les 160 millions prévus», explique M Djebbar, ex-membre du CA de l'ex-groupe Asmidal. Et d'ajouter : «Ce petit apport financier lui avait suffi pour s'assurer le contrôle des actifs des deux filiales avec leurs trois usines Arzew 1, Arzew2 et Fertial Annaba dotées chacune d'une capacité nominale de 1000 tonnes/jour, soit un total consolidé de 990 000 tonnes métriques/an.
Les conclusions sont faciles à tirer en ce qui concerne la libération du numéraire restant. Même à 250 dollars la tonne d'ammoniac, Villar Mir était gagnant. Or, pendant bien des années après son installation, les prix avaient atteint les 700 dollars, voire 1000 dollars». C'est dire que GVM avait joué la bonne carte et bien négocié, trois années durant (2001 à 2004) avec ses vis-à-vis algériens : «C'est l'aboutissement d'actions réfléchies engagées par le groupe et non une création ex nihilo.
L'Algérie est le pays du Maghreb où l'utilisation des engrais est très insignifiante. Sa consommation est de loin inférieure à celle de ses voisins de l'Est et de l'Ouest. Elle est excessivement faible comparativement à l'Europe. C'est sur cet aspect que nous avons bâti notre stratégie de production et de commercialisation étalée jusqu'à 2015», nous avait déclaré José Maria Estruch au lendemain de son installation (août 2005).
Or, depuis cette date à ce jour, la priorité sera plutôt à la production et l'exportation de l'ammoniac : plus de 850 000 tonnes dont 800 000 à l'export, réalisés à fin 2017, un record jamais atteint dans l'histoire de l'entreprise et à peine 200 000 tonnes d'engrais destinés à l'agriculture nationale, l'ammoniac étant produit à partir de l'air et de l'hydrogène. Comme l'air est gratuit, «l'essentiel du coût de production revient à l'hydrogène. En prenant le gaz naturel comme matière fossile pour la production d'hydrogène, le coût de production dépend entre 70% et 90% de celui-ci».
Un atout (gaz) inouï dont le partenaire espagnol profitera allègrement. En témoigne : «L'Algérie dispose d'importants gisements de gaz naturel, le plus important pour le secteur, à des prix très compétitifs. La proximité géographique entre les pays nous permet d'obtenir des synergies logistiques importantes», admet GVM. Mieux, Fertial, avec ses 700 000 à 800 000 t d'ammoniac, est le seul et unique fournisseur de toute la demande de Fertiberia qu'il contrôle à hauteur de 99,83% et d'Adubos (filiale portugaise).
Aussi, c'est par le rachat d'Asmidal (2005) et d'ADP Fertlisantes au Portugal (2009) que GVM avait actionné son processus d'internationalisation, l'un des axes principaux de son décollage spectaculaire car lui offrant «un accès direct et hautement compétitif aux matières premières nécessaires dans les procédés de fabrication d'engrais chimiques et des matières premières employés dans d'autres industries.
Ce qui, à l'époque, c'est-à-dire en 2005, une ligne commerciale résiduelle constitue aujourd'hui une activité-clé pour la société. Une croissance générale basée principalement sur l'exploitation de l'ammoniac et des es dérivés. Des secteurs industriels dans lesquels le groupe est, aujourd'hui, l'un des principaux acteurs sur la scène internationale», se réjouit le groupe dans son rapport annuel de 2015.
C'est dire que si Fertiberia, autrement dit GVM,est devenu un puissant leader européen, voire mondial dans l'industrie des engrais, ammoniac et dérivés, c'est en partie grâce au ‘‘génie'' des initiateurs de la privatisation du groupe Asmidal, à la ‘‘générosité'' de ceux qui l'ont négociée ainsi qu'à la ‘‘rigueur'' de ceux qui ont mené l'opération à son terme.


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