Les dirigeants africains ont mis en avant à Addis-Abeba leur volonté de combattre les nombreux travers qui paralysent l'Union africaine. Le tout est de savoir maintenant s'ils veulent vraiment faire de l'organisation panafricaine une maison de verre ou s'il ne s'agit encore que d'une parole jetée en l'air. Les choses doivent changer, elles ne peuvent plus fonctionner comme avant. C'est, en gros, le message que Paul Kagamé a voulu transmettre hier à ses homologues africains lors de son premier discours en tant que président de l'Union africaine, dont le 30e sommet s'est achevé hier dans la capitale éthiopienne. Sa tâche n'est cependant pas facile : il doit conduire une réforme de l'organisation, une institution très critiquée pour son inefficacité et, surtout, sa dépendance à l'égard des bailleurs internationaux qui la financent aux trois quarts. Justement, l'une des mesures phares de cette réforme est l'instauration d'une taxe de 0,2% sur certaines importations. Elle permettrait de financer l'UA à hauteur de près de 970 millions d'euros, ce qui rendrait l'organisation panafricaine pour ainsi dire autonome. Mais, pour les économies les plus dynamiques, comme l'Afrique du Sud, elle n'est pas très équitable. Autre pierre d'achoppement : l'établissement d'une troïka, trois dirigeants africains pour représenter l'UA lors de sommets internationaux. Un trio qui ne serait pas suffisamment représentatif de toutes les régions du continent. Enfin, c'est la méthode de Paul Kagame, «trop militaire dans son fonctionnement», selon certains, qui dérange. Beaucoup de dirigeants, notamment ceux de la SADC (Communauté de développement d'Afrique australe), les 15 pays d'Afrique australe, reprochent à leur homologue rwandais un manque de consultations. Leur opposition à Kagamé ne risque-t-elle pas tuer dans l'œuf le projet de réforme ? Les Africains auront certainement une réponse bien assez vite. En attendant que cette réforme cruciale prenne forme, les dirigeants africains ont tout de même tenu à offrir un cadeau concret à leurs concitoyens, histoire de prouver que l'UA a changé de logiciel. Ils ont procédé au lancement du marché unique du transport aérien sur le continent. La question était discutée depuis la décision de Yamoussoukro, en 1999, et réaffirmée en 2013 dans le cadre de l'Agenda 2063, elle s'est concrétisée en 2015 par l'engagement solennel de 11 pays (le Bénin, le Cap-Vert, la République du Congo, la Côte d'Ivoire, l'Egypte, l'Ethiopie, le Kenya, le Nigeria, le Rwanda, l'Afrique du Sud et le Zimbabwe) à mettre en œuvre ce marché unique. Depuis, les onze ont été rejoints par le Burkina Faso, le Botswana, le Gabon, le Ghana, la Guinée, le Libéria, le Mali, le Mozambique, le Niger, la Sierra Leone, le Swaziland et le Togo, ce qui porte le nombre total des Etats adhérant au marché unique à 23. Un marché unique aérien Outre les questions liées à l'intégration du continent et à l'ouverture d'une zone de libre-échange, l'autre grand dossier traité par l'organisation panafricaine était celui de la lutte contre la corruption. Le dossier tient tellement à cœur aux Africains que le thème de ce 30e sommet de l'UA était d'ailleurs «Remporter la lutte contre la corruption : une voie durable pour la transformation de l'Afrique». La corruption est un fléau qui coûte aux économies africaines, selon certaines études, 50 milliards de dollars par an. Il y a la «petite corruption» et surtout la «grande corruption» qui sévit au sein des élites dirigeantes africaines et dont l'ampleur a «des effets dévastateurs pour le développement économique, corrosifs pour la cohésion sociale et déstabilisateurs pour l'ordre politique», avait déclaré dimanche à l'ouverture du sommet le président de la commission de l'UA, Moussa Faki Mahamat. C'est cette prise de conscience qui avait d'ailleurs conduit ce dernier à proposer dans son message de Nouvel An de faire de 2018 Année africaine de la lutte contre la corruption, avec pour mot d'ordre : «Gagner la lutte contre la corruption, un chemin durable vers la transformation de l'Afrique». Cette thématique a donc été formellement lancée pendant le sommet par les chefs d'Etat, qui souhaitent que l'UA fasse le point sur les progrès réalisés en matière de corruption depuis l'adoption en 2003, il y a 15 ans, de la Convention sur la prévention et la lutte contre la corruption (AUCPCC). L'organisation a promis aussi de «réfléchir aux nouveaux outils qu'il conviendra de développer pour relever les défis de la corruption contemporaine». Le tout maintenant est de savoir si les leaders africains sont sincères lorsqu'ils parlent de réformes. Le doute des Africains est légitime car, comme aujourd'hui, beaucoup de résolutions importantes ont été prises par le passé et peu d'entre elles ont été suivies d'effets.