Quand un architecte bien réel entre dans des œuvres littéraires... Nous poursuivons cette semaine notre présentation de romans récents, tous liés à l'Algérie d'une manière ou d'une autre, et qui confirment l'émergence d'un pan notable de la littérature française, soucieux de jeter un regard sur l'histoire et le présent débarrassé des préjugés et des haines et posant, sans discours, la revendication d'indépendance comme quasi naturelle. L'espace peut revendiquer une inscription durable dans le temps, n'en déplaise à Bergson. C'est cet éloge de l'espace comme donnée incontournable de la vie qu'on retrouve dans certains romans récents. Le plus emblématique reste l'excellent récit de Marie Richeux, intitulé Climats de France. Juste en lisant ce titre, c'est l'image des immeubles des «deux cents colonnes» surplombant Bab el Oued qui vient à l'esprit. Une cité populaire construite en 1957 sous la houlette du maire de la ville, Jacques Chevallier, et par le génie de l'architecte, Fernand Pouillon. L'idée de cette collaboration heureuse était l'éradication de l'habitat précaire, en permettant aux Algériens vivant dans des bidonvilles d'accéder à un habitat décent, aéré et confortable. Mais comment la narratrice, a priori sans attache avec l'Algérie, se trouve embarquée dans cette enquête passionnante entre les deux rives de la Méditerranée, avec des allers-retours incessants ? L'élément déclencheur de cet intérêt est né du fait que la cité où elle a vu le jour, Meudon-la-Forêt, en banlieue parisienne, a été construite elle aussi par Fernand Pouillon en 1961. Sans oublier par ailleurs qu'elle est habitée par des immigrés algériens. L'on doit ajouter les liens étroits qui la lient à ses voisins, Malek et son fils Abdelkader. Cette affection conduit Marie la narratrice à plonger dans la mémoire de Malek, natif d'Oran arrivé à Paris en 1954, soit l'année du déclenchement de la guerre d'indépendance. Avec son élégance naturelle, il a su tirer son épingle du jeu en trouvant du travail puis en se mariant avec une Française, Lucienne. Malgré certains préjugés de la société française, ils seront heureux. Malek, comme beaucoup de ses compatriotes, aida le FLN dans sa guerre implacable contre le MNA en France. Par fragments, et comme face à un énorme puzzle, Marie parvient à ré-agencer toutes les pièces pour comprendre les péripéties de cette vie tumultueuse qu' elle va reconstituer de façon méticuleuse. Le roman devient par moments une sorte d'ouvrage pédagogique à l'usage de la jeunesse pour rendre hommage aux Français qui ont sympathisé avec la cause algérienne, comme on le découvrira avec l'engagement de Germaine Tillon. Ce roman, aux chapitres brefs et au style baroque, recèle une sensibilité très poétique et un humanisme sincère, servi par une écriture fluide et lyrique. Il rapproche les espaces pour en faire des lieux conviviaux. Dans la même thématique liée à l'architecture et à la ville d'Alger, on peut aussi lire le récit de Patrick Mestelan intitulé La brûlure de l'espoir, Un amour d'Algérie. Et, comme par hasard, tout au long de ses pages, cet ouvrage évoque aussi Fernand Pouillon (1912-1986), comme une sorte de spectre shakespearien veillant sur le parcours algérien du narrateur, Pierre Stelmane. Un écho qui prolonge la lecture du précédent roman en apportant d'autres précisions sur le travail de cet architecte émérite en Algérie. Dans son récit, Pierre évoque son expérience algérienne qui a duré deux ans en tant que coopérant technique. Arrivé en Algérie en 1972, il a eu du mal ensuite à retourner chez lui en France. Tout commence pour lui quand il finit en Suisse ses études d'architecte. Comme il est de nationalité française, il doit passer son service militaire. Mais, ne voulant pas endosser l'uniforme, il choisit la coopération technique pour aider par ses connaissances un pays nouvellement indépendant. Les souvenirs de la résistance héroïque du peuple algérien contribuent à ce choix. Il entreprend plusieurs démarches auprès de l'ambassade d'Algérie en France pour obtenir un poste d'enseignant à l'Ecole d'architecture d'El Harrach. Cette promesse d'embauche ne sera pas respectée lorsqu'il arrivera à Alger. Il sera affecté au ministère de l'Education nationale, qui avait besoin à l'époque des compétences d'un architecte pour construire tout un réseau de cantines scolaires à travers le pays. Il prit cette tâche exaltante très à cœur et il s'investit à fond dans son travail. Les missions qu'il effectua sur l'ensemble du territoire lui donneront l'occasion de découvrir la beauté de l'Algérie. Au fil des pages, le lecteur va découvrir la richesse des styles architecturaux et la beauté des paysages. Pierre Stelmane évoque aussi ses rencontres humaines et son éblouissement devant la générosité des Algériens. Dans ses périples sahariens, il comprend enfin l'approche esthétique qui a guidé Fernand Pouillon dans son travail qui n'a été reconnu que plus tard avec ce leitmotiv : «Le génie du lieu avait plus d'importance que l'orthodoxie contemporaine.» Pierre rencontre aussi l'amour en Algérie en vivant une idylle avec la belle Gabrielle. Son travail fut tellement apprécié qu'on lui proposa de rester en Algérie, mais il reprit le chemin vers le Nord, où d'autres aventures l'attendent, l'architecture bien sûr, mais aussi la peinture et l'écriture.