Passé de la gloire à la prison, puis réhabilité, l'architecte français Fernand Pouillon, dont on fête le centenaire le 14 mai, marqua la reconstruction de l'après-Guerre en défendant la pierre contre le béton, laissant une empreinte aussi en Iran et en Algérie.Longtemps occultée par les réalisations des grandes figures modernistes, notamment de Le Corbusier, l'œuvre de Pouillon (1912-1986), est en train d'être redécouverte et reconnue comme faisant partie d'un patrimoine à préserver en France. Plusieurs de ses bâtiments ont reçu le label «Patrimoine du XXe siècle» ou sont inscrits aux Monuments historiques.L'architecte a également beaucoup construit en Iran -il sera marié à une princesse iranienne- et en Algérie, pays dans lequel il va œuvrer avant et après l'indépendance. Notamment lorsque, condamné par la justice et banni par sa profession en France, il se réfugie à Alger.En 2008, le ministre algérien de l'Aménagement du territoire et du Tourisme, Chérif Rahmani, le distingua à titre posthume pour l'ensemble de son œuvre dans le pays.Après une période de relative indifférence, voire d'hostilité, de la profession, son apport est aujourd'hui enseigné aux jeunes architectes, et plusieurs manifestations sont d'ailleurs proposées en France pour ce centenaire.«Je veux construire mieux, plus vite et moins cher», disait-il, rapporte Jean-Lucien Bonillo, un architecte marseillais qui a dirigé un ouvrage sur lui («Fernand Pouillon, architecte méditerranéen»). Cet enseignant à l'Ecole d'architecture de Marseille (Sud) explique comment, à contre-courant de nombre de ses confrères qui optent pour la construction de logements de masse en béton, lui préfère «la pierre, les matériaux nobles et de production locale».Dans l'immédiat après-Guerre, la France connaît une crise du logement: il faut à bref délai (re)construire 4 millions de logements, alors que quelque 2,5 millions ont été partiellement ou totalement détruits.Le gouvernement lance alors une politique massive de construction très marquée par les principes édictés par Le Corbusier sur l'industrialisation du bâti avec utilisation à tout va du béton. «Pouillon ne veut pas de rupture avec la tradition. Il choisit la pierre, car c'est un matériau qui vieillit bien. C'est un choix de sensibilité qui, en période de pénurie, pouvait être judicieux», affirme M. Bonillo.Ainsi dans l'après-Guerre, Pouillon achète une carrière et se lance, sur le Vieux-Port au cœur de Marseille, dans le projet du quai du Port en association avec son maître, Auguste Perret.Marbre, pierre, carrelage, loggias... Pouillon offre aux sinistrés de la guerre dans les années 50 «des logements spacieux» et de qualité. Les immeubles du Vieux-Port constituent «un véritable manifeste de la démarche de l'architecte», selon le président de la Maison de l'architecture et de la ville de Marseille, André Jolivet.Cette qualité du bâti fait que 50 ou 60 ans après leur édification, ses immeubles de Marseille, mais aussi Boulogne-Billancourt et Meudon, dans la banlieue parisienne, d'Aix-en-Provence (Sud) ou d'Alger sont encore en bon état, quand de nombreuses tours des partisans du béton ont mal vieilli ou ont dû être démolies.Et ce sont les habitants eux-mêmes qui choisissent aujourd'hui de faire inscrire les immeubles de Fernand Pouillon aux Monuments historiques. C'est ce qu'a fait, avec une poignée de copropriétaires, le Dr Jean-Baptiste Renucci qui habite depuis presque 35 ans dans un des immeubles du quai du Port à Marseille.«Je connaissais à peine Pouillon lorsque j'ai acheté», affirme-t-il dans son appartement, avec vue sur le port et ses 2 000 bateaux, et, en arrière-plan, la basilique Notre-Dame de la Garde.Depuis, il a beaucoup lu sur l'architecte, mais aussi ses écrits, notamment «Mémoires d'un architecte», où Pouillon donne sa version du scandale immobilier du Comptoir national du logement qui lui valut une condamnation à quatre ans de prison et la radiation de l'Ordre des architectes en 1963.Amnistié par le président Georges Pompidou, réintégré dans sa profession, il sera même décoré en 1984 de la Légion d'honneur. Une trajectoire complexe, d'un homme à la fois membre du Parti communiste français dès 1944 et dandy mondain marié à une princesse. H. J.