Notre confrère et ami Mohammed Larbi nous a brutalement quittés hier dans la matinée à l'âge de 64 ans des suites d'une attaque cardiaque alors qu'il se trouvait à la salle d'attente de la polyclinique de la Concorde (Bir Mourad Raïs) pour de banals soins infirmiers. Fidèle à ses habitudes, Mohammed (Moh ou Didou, comme l'appelaient affectueusement et avec respect ses collègues du journal El Watan) avait en cette matinée de samedi effectué son marché avant de se diriger vers le centre de santé pour traiter un petit «bobo». Il devait par la suite se rendre au journal El Watan comme tous les jours de la semaine pour la confection du journal. Hier , le bureau que nous partagions avec lui était tristement fermé quand nous sommes arrivés à la rédaction après un passage au domicile familial pour présenter les condoléances à sa veuve et à ses deux fils ( Rachid et Tarik) difficilement consolables eu égard à la relation fusionnelle et à la complicité qu'il a su créer avec sa petite famille. C'est que Mohamed était toujours le premier à arriver au journal , qu'il vente ou qu'il pleuve, alors que les femmes de ménage n'ont pas encore terminé leur service. Il avait ses habitudes . Lorsque les journalistes commencent à arriver à la rédaction , il a déjà parcouru les fils des agences de presse APS et internationales, la presse nationale du jour, les sites électroniques algériens et étrangers qu'il a coutume de consulter pour s'informer de l'actualité nationale et internationale. L'arrivée de bonne heure à la rédaction lui procurait une longueur d'avance sur nous en matiére d'accés à l'information et aux dernières nouvelles dont il nous faisait généreusement profiter avant même de mettre en marche nos ordinateurs. Il était toujours préssé et avide de commenter avec nous les nouvelles du jour. Vendredi, la veille de sa disparition , il était au journal signant son dernier éditorial paru dans l'édition d'hier d'ElWatan et portant sur le sommet américano-nord coréen annoncé et qui avait fait la Une de l'actualité internationale. Les collégues du journal, en apprenant sa disparition subite, ont décélé dans la premiére phrase de son édito un signe prémonitoire qui a bouleversé sa famille d'Elwatan. « « La nouvelle a dû surprendre le monde entier » avait-il écrit anticipant sur le choc qu'allait provoqué sa disparition parmi ses collégues et amis. Spécialisé dans les questions internationales notre ami Mohamed avait capitalisé une longue expérience dans le traitement des dossiers internationaux dont il avait une parfaite maitrise tant il suivait avec une passion et une rigueur d'historien de l'actualité tous les événements qui agitent la planète. Ce riche et solide background accumulé depuis son passage au quotidien El Moudjahid où il avait fait ses premières classes en journalisme toujours à la rubrique internationale et qu'il mettra au service d'El Watan jusqu'à sa mort lui a permis d'être un observateur averti et éclairé des dossiers régionaux et internationaux . De mémoire, il est capable d'aligner sans se tromper des dates, des faits, des recoupements d'événements internationaux . « J'aime ce que je fais », je ne pourrais jamais m'arretais d'écrire et d'intervenir sur l'actualité internationale » ne cesse-t-il de nous répéter quand il nous arrive de le taquiner en lui recommandant de se détacher un peu de son travail pour penser un peu à sa petite personne et à sa santé. Il ne vivait que par et pour le journal et pour sa famille. Il lui est arrivé d'interrompre des congés de maladie pour reprendre son travail comme lorsqu'il avait eu ce traumatisme au bras qui ne l'avait pas empêché pour autant de se rendre au journal le bras soutenu par une attelle. Notre ami et frère Mohamed était ainsi fait : pétri des valeurs d'abnégation, de générosité, de probité. Il était fidèle en amitié et ne comptait pas et ne marchandait pas son engagement et son dévouement inconditionnel pour le journal dont il était un de ses actionnaires. Sa modestie et son humilité ont fait qu'il ne s'est jamais senti dans la peau d'un patron dans ses relations avec l'ensemble du personnel d'Elwatan , rédactionnel, administratif et technique qui appréciaient ses qualités humaines et professionnelles. Il était l'ami de tout le monde et parfois le confident, le grand frère pour la nouvelle génération de journalistes qui ont rejoint la rédaction d'El Watan toujours disponible pour prodiguer ses conseils , à rechercher la qualité et toujours plus d'ambition pour El Watan. Il ne souffrait pas de voir le journal rater une information comme il en arrive dans la profession, de ne pas trouver le ton, le contenu et l'analyse qu'il attendait à la lecture d'un article. La crise que traverse la presse écrite algérienne l'a profondément affecté. Il n'avait pas toujours le même optimisme que certains d'entre- nous qui continuons encore à croire que » l'aventure intellectuelle » de la presse écrite indépendante n'est pas terminée comme on le martéle dans les cercles officiels « bien pensants » . De la même façon qu'il vivait douloureusement l'injustice faite à El Watan d'être privé de son nouveau siège réalisé à la sueur des fondateurs du journal et de l'ensemble de son personnel ; un siège qui a été fermé de façon arbitraire quelques heures après son inauguration voilà bientôt deux ans par des mains anonymes sans aucune notification ni administrative ni judiciaire. Il rêvait comme tous les autres travailleurs d'El Watan d'emmenager dans ce nouveau siège qui fait la fierté de l'entreprise et de savourer le fruit de leur dur labeur. Le destin et la bêtise humaine l'ont en empêché. Il est parti sur la pointe des pieds en emportant avec lui la passion et l'amour du métier, les joies que nous avons partagé avec lui mais aussi les frustrations, les injustices des ennemis de la presse libre qui ont ordonné la mise à mort programmé des journaux qui dérangent le pouvoir, les rêves brisés. Mais il laisse pour les nouvelles générations de journalistes un précieux héritage que l'on n'enseigne pas à l'Ecole de Journalisme d'Alger dont il est diplomé en 1977 : la passion du métier au point de faire parfois passer le virus du métier avant sa petite famille. C'est cette leçon de journalisme en plus de ses qualités humaines que ses collégues ont retenu hier au moment où Mohamed était mis en terre au cimetiére d'El Kettar sur les hauteurs d'Alger en présence d'une foule nombreuse venue accompagner le défunt à sa dernière demeure.