Les islamistes nigérians ont franchi, hier, une nouvelle étape dans leur stratégie de prise de pouvoir en ciblant désormais l'Etat et ses institutions. Une patrouille de police, forte de 60 éléments, a été prise pour cible hier par des islamistes armés dans le nord-est du Nigeria, près de la frontière avec le Cameroun, prenant en otages plusieurs d'entre eux. L'Etat de Borno où a eu lieu l'embuscade est en proie depuis plusieurs jours à des affrontements violents entre les services nigérians de sécurité et un groupe d'islamistes, « les talibans », au nom prédestiné. Ce groupe d'activistes a déjà fait parler de lui auparavant en lançant le mois dernier des attaques contre deux commissariats dans la ville de Gwoza, tuant 4 policiers avant de battre en retraite et de se réfugier dans les montagnes frontalières avec le Cameroun. A la suite de cette opération terroriste, les forces nigérianes ont assiégé cette région avec la ferme détermination de nettoyer cette poche terroriste. Près d'une trentaine d'activistes ont été neutralisés par l'armée nigériane. Les troubles qui secouent de manière durable le Nigeria depuis de longues années, sans qu'aucune solution ait été trouvée, sont justifiés par les autorités nigérianes par des motivations essentiellement communautaires et confessionnelles. Le nombre de victimes des affrontements intercommunautaires au Nigeria est estimé à environ 10 000 victimes depuis l'élection en 1999 du président Obasanjo, de confession chrétienne. Guerre confessionnelle En mai dernier, un grave incident ayant opposé les deux communautés musulmane et chrétienne dans le nord du pays avait failli mettre le feu aux poudres et déboucher sur une guerre civile fratricide aux conséquences incalculables sur la stabilité du pays déjà bien fragile. Une milice chrétienne avait lancé une expédition punitive contre des paysans de confession musulmane à Yelwa qui s'était soldée par un lourd bilan : 300 victimes. La violence appelant la violence, quelques jours seulement après cet événement sanglant, des troubles ont éclaté dans le nord du pays à Kano, la grande ville du Nigeria majoritairement musulmane, entre chrétiens et musulmans. Ces derniers ont voulu venger les victimes de Yelwa. Plusieurs dizaines de morts et de blessés et plus de 30000 déplacés ont été enregistrés à la suite de cette opération de représailles antichrétienne. Ces incidents qui se sont multipliés au cours de ces derniers mois étaient jugés suffisamment graves pour la cohésion et la paix civile pour que le président nigérian, Olesugun Obasanjo, en soit venu à décréter en mai dernier l'état d'urgence dans l'Etat du Plateau (centre du pays) et à suspendre de ses fonctions le gouverneur de cette province. « Les troubles pourraient se propager du Nord musulman vers le centre et le sud du pays » majoritairement chrétien, avait averti le président nigérian. Des inquiétudes fondées qui se sont vérifiées avec l'attaque lancée hier par un groupe d'islamistes contre une patrouille de police dans le nord-est du pays, fief des islamistes où sont concentrés les 12 Etats nigérians régis par la charia sur les 36 Etats que compte le pays. De guerre confessionnelle, la crise nigériane est en train de dériver manifestement vers une confrontation pour la prise du pouvoir par les islamistes. Ces derniers viennent de franchir un nouveau pas dans leur stratégie en s'attaquant aux institutions de l'Etat. Les affrontements intercommunautaires au Nigeria ont, certes, une origine confessionnelle mais, de l'avis de nombreux spécialistes, ces troubles récurrents ont fondamentalement un soubassement économique et social. Tout un fossé sépare en effet le nord du pays musulman et pauvre du sud du pays chrétien et riche en matière d'accès aux richesses du pays qui ne sont pourtant pas négligeables ; le Nigeria étant un géant pétrolier au niveau du continent africain. L'issue de la guerre confessionnelle qui secoue le pays et qui ne date pas d'aujourd'hui - c'est une réalité du système politique nigérian héritée de l'administration coloniale britannique qui régit le pays scindant celui-ci en deux zones géographiques et communautaires - passe aussi et surtout par la résorption des inégalités sociales et intercommunautaires, par la réduction de la fracture sociale.