Avec plus de 655 000 civils irakiens tués depuis le début de l'intervention américaine en mars 2003, la troisième guerre du Golfe aura fait en trois ans et demi plus du double de victimes que Saddam Hussein en 24 ans de pouvoir. D'après The Lancet, la revue médicale britannique qui a publié ce chiffre en automne, le conflit a donc décimé 2,5% de la population. Humanitaire, politique et économique, l'Irak n'a jamais connu un tel chaos. Une grave crise humanitaire Depuis 2004, faute de données suffisantes, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) n'est plus en mesure de calculer l'indice de développement humain de l'Irak. Mais alors que le pays figurait parmi les 60 premiers en 1990, il a rétrogradé en 2003 à la 127e place. Pour les experts du Pnud, aucune autre nation au monde n'a connu pareille chute, la ramenant à une ère pré-industrielle. La situation humanitaire est catastrophique. D'après le centre de recherche de l'agence Associated Press, les Irakiens ne sont que 32% à avoir accès à l'eau potable contre 50% avant la guerre. A Baghdad, où vit un cinquième de la population irakienne, l'électricité, disponible parfois une journée entière avant mars 2003, fonctionne aujourd'hui moins de quatre heures par jour. L'Unicef s'est d'ailleurs dit gravement préoccupée par la détérioration constante des conditions de vie et par l'impact successif des guerres sur les enfants irakiens. Un enfant sur huit meurt avant l'âge de 5 ans. Parmi ceux qui survivent, un sur quatre est atteint de malnutrition chronique. Sur les 34 000 médecins qui travaillaient en Irak avant le conflit, 12 000 ont fui le pays et 2000 ont été tués. L'enquête sur l'impact des mines, appuyée par le PNUD, a permis de repérer en Irak plus de 4000 zones soupçonnées de contamination par des mines terrestres et des restes explosifs de guerre. Dans le seul gouvernorat de Bassorah, ce sont près de 1800 km2, soit plus de 9% de la surface terrestre du district, qui sont contaminés. Au cours des deux dernières années, plus de 560 civils irakiens ont été tués ou blessés par des mines et des restes explosifs de guerre, et l'on pense que le nombre de victimes non déclarées est supérieur de beaucoup aux statistiques officielles. Un chaos politique Cette année, la guerre civile mêlant résistance à l'occupant américain et terrorisme a fait en moyenne 1550 victimes civiles et militaires par mois. Particulièrement meurtriers, les mois d'août et de septembre ont enregistré respectivement 2966 et 3539 morts, et ce, malgré le déploiement dans la capitale de 8000 soldats américains et de 3000 autres irakiens. Des centaines de personnes sont enlevées et assassinées chaque mois. Contrairement à ce qu'a annoncé le vice-président des Etats-Unis, Dick Cheney, la résistance n'agonise pas. D'après Le Monde Diplomatique, le chef des services secrets des marines en Irak a même écrit : « Les forces militaires des Etats-Unis ne peuvent pratiquement rien faire pour améliorer la situation politique et sociale. » En septembre 2006, Amnesty International (AI) a dénoncé la forte augmentation des exécutions imputables aux autorités irakiennes. Le 21 septembre, 11 personnes ont été exécutées par pendaison dans la ville d'Arbil, située dans la région du nord de l'Irak, contrôlée par les Kurdes. Il s'agissait, à la connaissance d'AI, des premières exécutions à avoir lieu dans la région kurde depuis 1992. Personne ne sait si ces hommes ont bénéficié d'un procès équitable. Début septembre, 27 personnes auraient été exécutées par pendaison à Baghdad après avoir été reconnues coupables d'attaques meurtrières contre des civils. AI ne dispose d'aucune information sur leur procès. Depuis le rétablissement de la peine capitale en Irak en août 2004, de très nombreuses personnes ont été condamnées à ce châtiment et, selon certaines informations, il y aurait aujourd'hui plus de 200 personnes dans le quartier des condamnés à mort. Un marasme économique La production de pétrole brut qui atteignait jusqu'à 2,5 millions de barils/jour avant la guerre n'est plus qu'à 1,84 million aujourd'hui. Le produit intérieur brut par habitant, estimé à 3600 dollars au début des années 1980, est tombé à 469 dollars en 2003 pour ensuite rebondir à 988 dollars en 2004 grâce à la reprise des exportations pétrolières, mais il demeure bien loin du niveau prévalant dans les années 1980 et l'Irak reste un des pays les plus endettés au monde. Sur les presque 19 milliards de dollars que le Congrès américain avait affectés en 2003 à la sécurité, l'aide, la réhabilitation et la reconstruction de l'Irak, seuls 10 milliards ont été dépensés en mars 2006. Toujours d'après le centre de recherche de l'Associated Press, 34% de cette somme ont été réaffectés pour des dépenses de justice et de sécurité. Des associations américaines, pour la plupart hostiles à la guerre, estiment à plus de 350 milliards de dollars les surcoûts liés à la guerre (pensions, indemnités...).