Ahmed Akkache vient de publier un ouvrage qui comble un vide éditorial sur la révolte des circoncellions contre l'empire romain. Voici une belle œuvre à lire, à relire et à faire lire ! Il s'agit de La révolte des saints, un petit livre magnifique d'Ahmed Akkache qui traite de la longue et trouble période historique de la Numidie et de la Maurétanie antiques des IVe et Ve siècles après J.-C (ces deux contrées correspondaient en gros à la partie la plus septentrionale de l'actuelle Algérie du nord). L'auteur présente son livre comme un « ouvrage historique qui s'efforce de reconstituer et de comprendre la grande révolte des circoncellions… » Une œuvre épique, selon Mohamed Bouhamidi, qui l'introduit avec une préface où fleurissent des appréciations du genre : « Comme toutes les épopées, La révolte des saints génère la rêverie. » Ahmed Akkache confrontant documentation et études historiques disponibles intéressant plus de deux siècles en tout, arrive à une relecture rigoureuse, perspicace et critique qui reconstitue au fil de 150 pages passionnantes le puzzle (ou les puzzles) d'une histoire mouvementée faite de jacqueries, d'émeutes, d'insurrections et, même de soulèvements révolutionnaires à prendre en considération les alliances qui se sont nouées entre les circoncellions et les représentants de l'Eglise schismatique donatiste. Ce sont là des conclusions autres que celles qui sont ordinairement propagées jusqu'à présent. Cette relecture de l'histoire va particulièrement à contre-courant de l'historiographie coloniale développée par les auteurs officiels de la colonisation romaine et plus tard par ceux de la colonisation française qui entendaient utiliser l'opprobre ainsi jetée sur les circoncellions et les donatistes pour donner appui et justification à une nouvelle domination de l'Afrique du Nord. Le livre de Akkache, à travers ses développements et argumentaires, pourtant adossés à des sources surtout latines, dont les plus anciennes, tels les écrits de Saint Augustin ou de l'évêque Saint Optat de Milev (actuellement Mila, à 50 km au nord-ouest de Constantine) étaient acquises à la colonisation romaine, démontre que les Massyles (Numides du nord-est) et les Massaessyles (Maures du nord-ouest) se sont résolument et violemment révoltés contre la domination romaine et ses représentants locaux qui constituaient l'impitoyable aristocratie latifundiaire héritière des colonies de vétérans militaires des armées romaines. Les municipes romains et les communes pérégrines (ces dernières pourtant habitées par des personnes supposées être libres, ne possédaient pas pour autant la citoyenneté romaine) étaient gérés d'une main de fer par un pouvoir esclavagiste qui régentait ce qui devint pour de longues décennies la plus riche contrée agricole de l'Occident, comptant plus de 500 villes et gros villages ainsi que d'opulentes latifundia s'étalant parfois sur des milliers d'hectares. Le livre ne se penche pas uniquement sur la révolte des circoncellions. D'ailleurs, le mot dont l'acception se voulait, à l'origine, dévalorisante, signifiait « ceux qui entourent les celliers », soit des rôdeurs, ou des bandits. Mais eux-mêmes se dénommaient « les saints » ou les « purs ». C'est du mouvement de ces « purs », de ces « saints » qu'il est essentiellement question dans cet ouvrage. Akkache pour les besoins de la didactique, afin que La révolte des saints soit replacé dans son véritable contexte, revient sur la colonisation romaine, sur le processus d'expropriation des terres qu'elle a développé pour spolier les habitants du pays (en réalité toutes les couches sociales), la formation des grandes propriétés foncières, attribuées au début de l'occupation aux officiers de l'armée pour encourager et étendre la colonisation et enfin le pourrissement du système politique et économique basés sur l'esclavagisme et le servage imposés par une répression féroce. Les cinq siècles de cette colonisation ont, souvent, été secoués par des émeutes et insurrections populaires qui, conjuguées aux actions d'autres peuples, finirent par se transformer enfin en « crise de l'empire ». Dans une seconde partie, avertit Akkache, « est présentée la naissance du christianisme en Afrique qui a connu, notamment dans les limites géographique de l'Algérie actuelle, une assez importante diffusion due en particulier à l'utilisation par les populations berbères de la nouvelle religion comme un instrument de lutte contre la domination romaine ». C'est dans ces chapitres que vont apparaître de nouveaux personnages de l'histoire de ce pays abreuvé du sang des révoltés qui deviendra plus tard l'Algérie. Il s'agit de Aristippe, Tertullien, de Cyprien, de Saint Donat et encore de l'évêque Donat de Bagaï (Béjaïa) et de centaines d'hommes de religions anonymes, parfois des « bouseux » qui partageaient logis, pitances et indicible misère des populations sans compter les aguellids, ces princes, chefs de communautés ou de confédérations de tribus qui (comme Firmus en 372) tentèrent de lever des armées pour se lancer à l'assaut de la citadelle romaine gouvernée alors par l'empereur Valentinien 1er. Firmus, même s'il n'eut pas le panache de Jughurta, ne se laissa pas acheter par les Romains comme le furent plusieurs de ses frères. Les évêques donatistes affrontèrent pour leur part, en plus de l'armée romaine et des latifundiaires qu'elle protégeait, les religieux acquis à la cause de Rome comme saint Optat, l'évêque de Milev ou Saint Augustin. Ce dernier combattit avec véhémence les circoncellions, les émeutiers de toute nature et le donatisme. Ce livre, fait remarquer Bouhamidi, est « la reconstruction des combinaisons entre l'ensemble des sphères de l'activité humaine de l'époque. Seule une profonde connaissance et profonde compréhension des instruments critiques du marxisme pouvaient aboutir à ce résultat. » Ahmed Akkache, La révolte des saints, 157 Casbah éditions, Alger 2006, 420 DA