Je suis innocent », a déclaré le premier prévenu appelé à la barre, M. A. Larbi, directeur de l'agence BEA (Banque extérieure d'Algérie) 74, dite Yougaslavie, détenu depuis octobre 2003. Il avait auparavant demandé, dans la mesure du possible, de s'exprimer en français, ce à quoi le juge lui a répondu qu'il devait faire des efforts mais qu'il acceptait sa doléance pour mieux expliquer les faits. « La peur m'a gagné », avait-il également déclaré avant d'être rassuré par la cour en lui disant de prendre tout son temps pour s'expliquer sur le contenu de l'arrêt de renvoi le concernant : des traites avalisées revenues impayées de la BCIA (Banque commerciale et industrielle d'Algérie) en avril 2003 qui ont causé à la banque publique un premier préjudice de 4,2 milliards de dinars. « Les escomptes étaient réglementaires et les traites escomptées étaient garanties », devait-il annoncer avant d'ajouter qu'en plus, ses prérogatives lui permettaient d'escompter des traites d'un montant pouvant aller jusqu'à 20% du chiffre d'affaires du bénéficiaire. Il se basera sur une circulaire 131/96. Ce fait a été contesté, plus tard, par la partie civile qui a considéré que cette circulaire ne parlait que de chèques et non des traites. Pour le prévenu, les traites étaient de courte durée, « effets brûlants », dans le jargon bancaire, et pouvaient être considérées comme des chèques et même mieux parce qu'elles étaient garanties. Ces traites (avalisées par la BCIA) ont été transmises à temps aux banques concernées et ce sont celles-ci qui sont responsables du retard de 12 jours (après le délai réglementaire) qui a donné une occasion à la BCIA de les rejeter réglementairement en se basant sur la présentation tardive », poursuit-il dans son intervention. Pour lui, « on a omis le problème essentiel et on devrait faire une enquête sur ces traites restées à la banque de compensation pendant 12 jours alors que la somme était énorme (4,2 milliards de dinars garantis par la BCIA) et exigeait un traitement d'urgence, c'est-à-dire le lendemain ». Il a dit que la notification de rejet a été envoyée par voie postale et a mis 5 jours alors qu'elle devait être envoyée par la navette courrier de la banque. Là, quand ultérieurement le juge a demandé des éclaircissements, on a appris que l'agence Yougoslavie n'avait envoyé par navette les traites que le 29 avril 2003, c'est-à-dire la veille de l'expiration du délai pour cette agence. Elles sont parvenues à destination le 30 avril. L'unité de la BEA qui devait les traiter (une opération très simple, selon le prévenu) a mis plusieurs jours. Les 1er, 2 et 3 mai étant fériés, il restait 2 jours avant l'expiration de l'échéance (6 mai) qui permettrait à la BCIA de les rejeter. « Ils disent, se plaint-il, que le directeur de l'agence (lui-même) nous a caché des informations comme si je faisais tout, c'est-à-dire en même temps simple employé, chef de service, etc. » « Ces traites escomptées sont avalisées par une banque agréée par l'Etat », devait-il répéter à maintes reprises avant de déplorer le fait suivant : « Quand j'ai généré 300 milliards grâce au prélèvement des intérêts, ils m'ont félicité et dès qu'il y a eu un problème, je suis devenu le bouc émissaire. » Et d'enchaîner : « Ce n'est pas juste. J'ai des subalternes et une hiérarchie... » Pour la première foi, le juge l'interrompt pour des précisions. Il répond : « Le vice-directeur, le chef de service de caisse, le chef de service portefeuille par qui passent ces traites », mais que lui-même ordonne en précisant que cela se fait de manière réglementaire. « J'ai 35 ans de banque, depuis l'âge de 18 ans, et je n'ai jamais voulu nuire à ma banque d'une part et les chiffres sont confirmés tous les mois par la direction régionale (située à Medioni), d'autre part », indique-t-il pour se défendre. Il entamera par la suite le problème des bons de caisse, des crédits anonymes, une opération qu'il considère banale « âdiya », car, précise-t-il, une circulaire signée par le directeur du crédit ( à Alger) l'autorise à effectuer et utiliser des « avances sur titre, les bons du Trésor et toutes les valeurs mobilières qui génèrent des profits ». « Aujourd'hui, nous avons des ordinateurs et c'est pour cela que je ne peux dissimuler aucun chiffre, car il suffit d'appuyer sur un bouton pour avoir les états d'un compte étalés sur 4 ans », déclare-t-il en appuyant ses dires sur le fait que plusieurs inspections inopinées ont eu à travailler chez lui sans rien déceler d'anormalement grave, sauf quelques détails qu'on lui demande de rectifier. « La banque n'apartient pas à Adda ! » Juste après cela, il lance une accusation « aux 6 personnes » qui ont émis les déclarations selon lesquelles il cachait des informations pour dire qu'« elles travaillent curieusement toutes dans le même bureau ». Là, il se permet même une touche d'humour : « Ils veulent dire, comme c'est le cas dans l'affaire Khalifa, que la banque appartient à Adda mais c'est faux et j'ai des documents. » Il passe ensuite à l'expertise pour contester le travail de l'expert désigné par le juge instructeur. « Il (l'expert) aurait pu venir chez le détenu (lui-même, ndlr) et je lui aurais dit ce qu'il y a exactement, mais lui nous a jugés avant que vous nous jugiez monsieur le président de la cour. » Il s'explique : « Sa mission était d'ordre technique, mais il a utilisé les termes indécents et indélicats à notre égard. » Il croit déceler des contradictions dans le rapport en ajoutant que toutes les informations sont disponibles sur l'ordinateur et avance que son directeur régional a été informé. Au sujet des traites d'un montant de 130 milliards, il dit avoir posé la question à sa direction pour savoir si les effets de la BCIA sont de premier ordre ou pas. Il atteste que la direction a répondu favorablement. Pour lui, il est impossible qu'une traite avalisée revienne impayée car, précise-t-il, « nous avons affaire à une banque ». Ultérieurement, le représentant du ministère public lui pose la question pourquoi il est ici (dans la salle d'audience) en laissant entendre qu'il n'avait pas pris assez de précautions au sujet de la garantie supposée des traites qu'il ordonnait d'escompter. Il répond qu'il est là à cause des traites impayées mais, pour lui, c'est un problème entre les deux banques. Cette parenthèse étant fermée, le juge l'interroge ensuite sur son parcours et la date de sa désignation à la tête de l'agence 74 (en septembre 2000, intérimaire d'abord en remplacement de quelqu'un qui était devenu cadre à la direction régionale). Il était entre autres vice-directeur chargé de l'administration. Quand le juge voulait savoir s'il a travaillé au service des crédits, M. A. Larbi répond : « Khatini » (littéralement : je ne suis pas concerné). Le juge revient pour savoir si le prévenu a travaillé au service des traites, mais celui-ci répond que cela dépend du service portefeuille. Il n'a jamais travaillé au crédit mais à la caisse oui, et pendant 6 ans, avant de gravir les échelons et devenir directeur d'agence. Là aussi et toujours dans l'intervention ultérieure du procureur de la République, une question lui a été posée sur ses diplômes. Il dit qu'il a un CAP banque et qu'il est arrivé au bac. A la question posée pour savoir si le mouvement d'escompte des traites se faisait avant lui, il répond qu'il avait pris le train en marche. Toujours en réponse à des questions du juge, il déclare que le mouvement des traites était fluctuant, parfois 500 millions, 700 ou 1milliard de dinars. Il réitère le fait qu'il a été félicité pour avoir généré des profits sur les traites (10,5%) mais aussi sur le commerce extérieur, etc. et que, toujours selon lui, les chiffres sont envoyés à la direction. Questionné également sur les conditions d'acceptation d'escompter des traites, notamment à court terme, il reprend ce que stipule la réglementation et il ajoute : « Quand un client est connu, je prends la responsabilité de m'engager à hauteur de 20% de son chiffre d'affaires. » Ultérieurement aussi, cette question n'a pas échappé à la partie civile qui s'est demandée comment se fait-il qu'il accepte d'escompter à hauteur de 400 milliards de centimes une ligne de crédit et des chiffres d'affaires n'excédant pas 800 millions de dinars et l'exemple le plus édifiant est celui de Sotrapla. C'était pour l'interroger sur le calcul des 20%. des traites impayées Pour revenir aux questions du juge, le prévenu avance qu' « il y a des signatures de gens autorisés à l'échelle nationale, mais que des précautions sont quand même prises ». Le juge voulait savoir si les traites sont limitées. Le prévenu répond par la négative et maintient que celles-ci sont garanties par une banque et que « celui qui escompte n'a même pas besoin de demander des factures pour en bénéficier ». Pour le cas de Ha. S., directeur de Sotrapla, à cause de problèmes d'impayés, le prévenu a attesté que la banque lui a fermé les crédits et que, suite à une sollicitation de la direction régionale, celle-ci aurait répondu ( selon lui) : « Dorénavant, il faut prendre tous les chèques en encaissement et ne prenez que les traites avalisées par une autre banque. » Le responsable de Sotrapla a été convoqué et on lui a signifié qu'il devait régler ses problèmes à un niveau central. « Nous avons une lettre de la direction générale qui dit qu'on doit arrêter les escomptes et S. Ha. a répondu : « Je ne monte pas à Alger, vous êtes mes interlocuteurs », explique le prévenu qui parlera ensuite de recours envoyé à Alger et la direction du crédit aurait répondu, selon lui toujours, « nous considérons que le papier commercial de la BCIA est de bonne qualité ». Le juge l'interroge ensuite sur les chèques et il répond avoir signifié au responsable de Sotrapla qu'il ne travaillerait plus avec les chèques (d'autres banques, la BCIA notamment, mais qui reviennent impayés) et qu'il n'accepterait que les traites garanties par une autre banque. Il ne retient pas les chèques parce que dans le cas contraire ils seront considérés comme payés. Le juge revient sur les traites impayées au nombre de 41 (Sotrapla, mais aussi l'entreprise Fouatih, et c'est là qu'il lui pose la question : pourquoi avoir attendu depuis les 7, 8, 9 et 10 avril jusqu'au 29 du même mois, la veille de l'expiration de son délai, pour les envoyer. Là, l'accusé répond que « les 4 milliards de DA ne représentent qu'une goutte d'eau par rapport à la masse globale que nous traitons ». Au sujet du crédit de 130 milliards de centimes octroyé à Sotrapla, il réitère le fait de se baser sur la circulaire 131 et les 20% du chiffre d'affaires. Même chose pour les autres entreprises auxquelles il a donné son accord dont LAAB (importation distribution et confection de médicaments), Algérie Aluminium, en disant que ces entités étaient connues sur la place. A la question de savoir si le prévenu a demandé une autorisation d'escompte, il a répondu oui mais que sa hiérarchie n'a pas donné de réponse. Il avoue ignorer une circulaire 192/97 citée par le juge. Pour revenir aux dates il dit : « Pourquoi j'envoie le 29 ils arrivent le 30 avril et eux, du 13 ils arrivent le 18. » « Ils veulent nuire à quelqu'un, je ne sais pas qui et nous faire perdre nos droits pour ne pas être dans la mesure de poursuivre en justice », déclare-t-il. Le prévenu devait entamer l'épisode quand il est allé rencontrer les dirigeants de la BCIA à Gambetta, où se trouve la direction régionale. Une fois la délégation s'est entretenue avec le directeur adjoint chargé du contentieux, Kh. B., fils de Kh. A. On leur a signifié que la BCIA était prête à payer tout sauf le montant relatif à la Sotrapla, entreprise avec laquelle ils auraient eu des problèmes. Ensuite, la délégation a été élargie au directeur régional et ses adjoints. « Ce jour-là, on a trouvé le père dans le bureau du fils », explique le prévenu pour dire ensuite que ce même père aurait dit qu'il ne s'expliquerait sur le cas Sotrapla qu'en présence du responsable de cette Sarl. Celui-ci, en France, a été contacté et il est venu le lendemain directement de l'aéroport. Le prévenu a affirmé qu'entre temps, le DG de la BEA et celui de la BCIA se sont entretenus à un niveau national (à ses propos dans le box des accusés quelqu'un a dit non, mais il a été sommé de se taire avant d'être appelé à la barre). Quoi qu'il en soit, l'accusé a déclaré que KH. A. a voulu frapper le responsable de Sotrapla lors de l'entretien. Mais, il dit ne pas se souvenir des propos que les deux hommes ont échangés. Le juge l'a aussi questionné sur l'importation du sucre et la réponse était que sa banque n'a donné ni lettre de garantie ni endossement de connaissement. Pour lui, le consignataire a agi à sa guise. Au sujet des traites de gens fictifs, il répond juste qu'il a affaire à la signature d'une banque et non à des personnes. Le procureur a sorti un document, un rapport où le directeur de l'agence 74 avait apposé une remarque à la fin disant que le responsable de Sotrapla est un bon client, mais qu'il fallait refuser d'élever la ligne de crédit plafonnée à 800 millions de DA et c'était pour relever la contradiction qui fait qu'il escomptait des traites à un taux avoisinant 6 fois le chiffre d'affaires de ce client. Fatigué, la séance de l'après-midi devait également être interrompue pour permettre à l'accusé de récupérer. L'audition se poursuivra ultérieurement. Oran. De notre bureau