Nacer Benyatou a occupé le poste de chef de service caisse en 2002« Je ne suis qu'un exécutant », ne cessera-t-il de clamer tout au long de son audition par la cour. Il devait, au départ, s'expliquer en tant qu'un des signataires de pièces, notamment de chèques certifiés mais sans provision, représentant une partie du préjudice causé à son agence et qui s'élève, selon l'arrêt de renvoi, à 4 008 839 675 DA. « Quand la journée comptable s'achève, je monte chez le directeur et je lui présente le travail effectué pièce par pièce. S'il constate que quelque chose ne va pas, il me fait la remarque », devait-il déclarer avant de s'insurger : « C'est inconcevable et insensé qu'un service se place au-dessus de la direction. » Au juge qui lui demande d'exposer les missions liées à la fonction qu'il occupe au sein de l'agence, l'accusé fait savoir qu'il a été désigné au service caisse en 1998 mais que la décision de sa nomination officielle ne lui est parvenue que fin 2002. Questionné au sujet des traites escomptées, il répond que cela relevait du service portefeuille et que lui ne signait que les pièces comptables. 217 CHÈQUES SANS PROVISION Plus exactement, selon ses dires, son rôle consistait à vérifier la conformité des documents dont il avait la charge. Il dira ultérieurement qu'il n'avait pas accès aux provisions de la caisse et que, pour ce qui est des traites, il avait la responsabilité de leur conformité, c'est-à-dire la vérification de la date, de la référence de la banque de compensation (l'agence El Emir), de la banque qui les garantit, etc. « Qui signe le premier ? », demande le juge. « Lotfi (chef de service des engagements, ndlr), Bentayeb ou le directeur pour les escomptes et moi pour la conformité de la pièce comptable », répond l'accusé qui explique qu'une signature de catégorie A vaut deux signatures de catégorie B, comme la sienne. « Un client se présente chez toi avec un chèque d'un certain montant. Si le solde est insuffisant, normalement tu ne signes pas », demande le juge qui prend le soin de lui rappeler que dans ce cas précis il s'agit de 217 chèques sans provision d'une valeur de 2,6 milliards de dinars signés en trois jours, les 11, 13 et 18 mai 2003. « J'ai signé avec dérogation du directeur », a-t-il déclaré avant d'enchaîner sur un ton accusateur : « Depuis qu'il (le directeur de l'agence, M. Ardjoun, ndlr) a été nommé directeur en 1999, il n'a signé aucun document. Ce n'est pas normal ! » « Et toi, tu trouves normal que 217 chèques sans provision soient signés par toi, sans que l'alerte soit donnée ? », lui rétorque le juge. Tandis que l'accusé tente de se dérober, tout en réitérant l'idée que seul le directeur est responsable, le juge lui lance : « Ne zigzague pas avec tes réponses. » « Pourquoi le directeur a-t-il été emprisonné, alors qu'il n'a rien signé ? », s'exclame Nacer Benyettou pour signifier que c'est la preuve de la responsabilité avérée du directeur de l'agence de Sig, mais le juge l'interrompt : « Ce n'est pas ton affaire (khatyatek). » Il poursuit : « Tu travailles dans une agence et tu dis ignorer ce qui se passe ! Quelqu'un vient te voir avec des chèques sans provision portant des sommes importantes, cela fait à peine 6 mois qu'il a ouvert un compte et tu ne réagis pas ? » L'accusé répond qu'il exécutait les ordres, tout simplement. Juste après, on assiste à une première confrontation, car l'accusé, M. Lotfi, est rappelé à la barre pour contredire son ex-collègue, en disant que la vérification de la provision et des soldes des comptes des clients relève des prérogatives de la caisse qui appose son cachet. Il explique : « Quand un chèque est signé, deux cas de figure se présentent : soit il y a une provision, soit il est accompagné d'une dérogation. » La cour revient à Nacer Benyettou qui estime que « celui qui a de l'argent va directement au guichet et celui qui n'en dispose pas va voir le directeur pour une dérogation ». A la partie civile, il affirmera qu'avec l'accord du directeur il effectue les opérations sans chercher à comprendre ni à s'interroger sur l'importance des sommes d'argent qui sortent ou le nombre de chèques qu'il signe. Il affirme qu'en théorie tous les clients, à condition qu'ils soient solvables, disposent d'un compte débiteur relevant des prérogatives de la direction qui, en même temps, détient la clé de forçage du compte au même titre que le service des engagements, mais pas le service caisse. Selon lui, le directeur qui possède un ordinateur dans son bureau peut passer des opérations et c'est le cas pour les dérogations. Il avoue cependant que les chèques litigieux des 11, 13 et 18 mai 2003 sont passés sans pièces comptables et que les comptes débiteurs n'ont pas été forcés par le directeur. « 74 chèques certifiés, mais sans provision, pour le compte de Reffas en un seul jour », constate le juge. La réponse du prévenu est édifiante : « Ce n'est pas mon problème. » Le juge relance : « Il vient de Boudouaou, wilaya de Boumerdès, et tu ne t'es pas inquiété ? » Pour cette question et les autres qui vont suivre, l'accusé est bref et résume en estimant que c'est le directeur qui ordonne et que le travail du service caisse se limite à des écritures, pas à la gestion des liquidités proprement dites. Au représentant du ministère public, le prévenu affirme que son agence n'a jamais eu à connaître un tel mouvement d'opérations : 217 chèques en trois jours pour 2,6 milliards de dinars. Il insistera sur le fait que sa signature de catégorie B n'engage pas la banque. « Ces gens-là avaient-ils des provisions ? », demande le procureur. « Non, mais j'ai reçu l'ordre du directeur », lâche l'accusé qui déclare ne pas avoir entendu parler des chèques disparus dans cette agence. Quand le tour de la défense est venu, l'un des avocats a demandé M. Lotfi à la barre pour s'expliquer au sujet des mêmes chèques sans provision. Les ordres du directeur étaient indiscutables Celui-ci affirme que la contrepartie existait par le biais des traites, mais il avoue que ces dernières n'étaient pas encore comptabilisées ou traitées au moment des faits. La défense a par ailleurs souhaité avoir les relevés des comptes bloqués de l'agence BEA de Sig. Rappelé en tant que « technicien », Adda Larbi a réaffirmé que le forçage des comptes débiteurs relevait de la prérogative du directeur qui détient le code. Quand il sera rappelé la deuxième fois pour le même motif, le procureur de la République objecte en expliquant que le directeur de l'agence Yougoslavie est poursuivi dans cette affaire et ne devrait donc pas intervenir en tant que « technicien ».Dans l'après-midi, un quatrième accusé a été appelé à la barre. Bentayeb Mohamed, diplômé en sciences économiques, a rejoint l'agence de Sig en 1990. De simple préposé au guichet pour apprendre le métier de banquier, il devait être promu chef de service engagement en 1994. Entre 2001 et 2003, il devait s'occuper des crédits à la consommation. « Le directeur m'a désigné au départ pour aider M. Lotfi », a-t-il déclaré, plus précis. Sa signature est de catégorie A. Il atteste qu'il recevait des ordres de son directeur qu'il ne discutait pas. « As-tu des instructions écrites de ton directeur ? », lui demande le juge. La réponse : « Non. » « Pour de petites sommes, tu peux signer et faire passer des opérations, mais pour de grosses sommes, comme celles dont il est question aujourd'hui, tu devais attirer l'attention », conseille le juge, mais lui aussi pense que cela ne relevait pas de ses prérogatives. Le juge lui fait rappeler que 13 traites ont été comptabilisées, alors que leur validité n'avait pas encore été avérée et qu'il avait signé des chèques sans provision. L'accusé avoue qu'il y avait un problème, mais la situation était due au fait que les traites existaient pour justifier la provision bien qu'elles n'aient pas encore été traitées. Le juge lui rappelle qu'il a permis de sortir de l'argent de sa banque sans contrepartie et qu'il avait affaire, en un seul mois, à un nombre important de traites sans que cela le surprenne. « Les traites que j'ai escomptées sont garanties par la BCIA », répond-il. La partie civile a évoqué, à un moment, le type de commerce pratiqué par des clients : sucre, huile, farine, etc. Mais l'accusé dit ignorer les activités des détenteurs des comptes dont quelques-uns sont gérés par procuration. Un peu plus tard, il fait une révélation : « Nous n'avons pas un service exploitation et c'est pour cela qu'il n'y a pas lieu de demander un crédit. » Mais il affirme juste après que ce genre de demandes sont adressées à Mohamed Lotfi et qu'il ignore les procédures d'octroi. Après une suspension de l'audience pour une prise de bec entre un avocat de la partie civile et un des avocats de ce prévenu au sujet d'accusations entre accusés, l'audience s'est poursuivie avec le représentant du ministère public qui lui rappelle qu'il a apposé la mention néant sur des documents alors que des opérations concernant des traites ont été effectuées. Au sujet de l'ouverture du compte de Selmane Abderrahmane et Guiti Saâd, l'accusé répond que c'est son directeur qui lui a demandé d'ouvrir les comptes. « Sais-tu ce qu'est un tirage croisé ? Un tirage creux ? » Les réponses n'ont pas été convaincantes, un fait relevé par le procureur de la République. La contestation du retour de Adda Larbi en tant que « technicien » a clos la comparution des premiers fonctionnaires impliqués dans cette affaire. Le juge appelle à la barre Ahmed Fouatih Belkacem, un des associés d'un groupe d'affaires Promoden, Norcade, FCM, FNF, FNT. Il sera le premier opérateur de commerce à être cité et l'arrêt de renvoi lui attribue la responsabilité d'un préjudice évalué à 1,69 milliard de dinars. « Veux-tu répondre maintenant ou préfères-tu te reposer une vingtaine de minutes avant de commencer ? », lui demande le juge qui tient compte de son état de santé et qui lui propose également la possibilité de comparaître samedi prochain. A un moment, il était même question d'appeler à la barre le responsable de Sotrapla, Addou Samir, le prochain sur la liste, mais cette option a été rejetée par les avocats. Finalement, après la suspension de l'audience pour quelques minutes, Ahmed Fouatih Belkacem a été juste présenté et l'audience a été levée un peu avant l'horaire réglementaire. Il sera entendu samedi prochain.