Arrêté en janvier dernier par les services de la sécurité d'Etat à son arrivée à l'aéroport du Caire, un jeune Egyptien aurait avoué avoir travaillé pour le compte du Mossad, le renseignement israélien, en espionnant et en recrutant des Arabes de l'émigration, mais aussi des coptes égyptiens. Le Caire. De notre correspondante L'information annoncée par la presse suscite depuis des remous en Egypte, dans la communauté copte vivant au Canada et aux Etats-Unis, mais aussi dans certains pays arabes qui auraient, selon la presse locale, officiellement demandé au gouvernement égyptien de leur communiquer les noms de leurs ressortissants qui seraient soupçonnés d'avoir été recrutés par le Mossad. Traitée avec autant de sérieux que d'indignation de la part des journaux égyptiens, l'affaire de Mohamed Al Attar, « l'espion égyptien du Mossad », est ainsi couverte dans une profusion de détails glanés par des reporters en chasse du moindre scoop dans une affaire riche en rebondissements et pour le moins « haute en couleurs », car le profil du jeune homme ainsi que ses motivations, selon les comptes rendus de presse qui citent le procès-verbal de ses propres aveux — et pas moins que cela —, laissent quelque peu perplexe au vu du portrait caricatural que le jeune homme brosse de lui-même. DOUBLE TRAUMATISME Ainsi, apprend-on que l'espion en question, aujourd'hui âgé de 30 ans, était étudiant à l'université Al Azhar du Caire au moment où il décide de quitter son pays en août 2001. Il s'enfuit littéralement, explique le quotidien Al Masri al Youm, d'une « société égyptienne dans laquelle il ne se reconnaît pas », et ce, parce qu'il est traumatisé par un viol qu'il a subi à l'âge de douze ans, mais aussi parce que, né musulman, Mohamed « nourrit depuis son jeune âge des penchants pour le christianisme ». Ajoutez à cela une affaire en justice pendante contre lui — dont la presse ne révèle aucun détail — qui risque de l'envoyer en prison pour trois années, et le voilà décidé à s'évader en direction de la Turquie. C'est à Istanbul que la carrière d'espion du Mossad de Mohamed Al Attar débute, dès son arrivée à l'aéroport, où il rencontre un Irakien avec qui il sympathise et à qui il raconte les tourments qui l'ont poussé à quitter le Caire. L'Irakien finit par s'épancher à son tour et lui suggère de se rendre avec lui à l'ambassade israélienne à Istanbul où ils sont reçus au 8e étage d'un immeuble par un officier traitant et une jeune femme. Après une longue conversation tournant autour des motivations du jeune Mohamed Al Attar, l'espion en herbe s'en va en ayant décroché, grâce à l'intersession des Israéliens auprès des autorités turques, visa et emploi « dans une usine de carton ». L'étudiant subit quelques entraînements et des tests visant à jauger son intelligence et apparemment ses capacités de synthèse — il doit résumer trois opuscules que lui remet son officier traitant qui le paie 300 dollars pour chaque résumé — et il est ensuite envoyé espionner les cercles de l'immigration arabe à Ankara. Là, il s'installe dans les cafés fréquentés par les Arabes et noue des conversations, car il est chargé de faire des rapports sur les personnes susceptibles d'accepter une collaboration avec le Mossad en échange de services rendus, à savoir argent, visa, regroupement familial ou autre. Entre-temps, le jeune Mohamed Al Attar devient Joseph Al Attar en se convertissant au christianisme dans une église catholique d'Ankara, réalisant ainsi l'un de ses vœux les plus chers. Sa conversion mais aussi le travail accompli ont l'air de ravir les Israéliens et son officier traitant lui dit : « Tu vas m'aider à construire un Israël qui s'étend du Nil à l'Euphrate », phrase rapportée avec redondance par la presse égyptienne. APRÈS LE RECRUTEMENT, LES MENACES Autre détail sur lequel s'appesantissent les articles de journaux, le fait que les Israéliens lui demandent d'abord de cibler les Arabes de certaines nationalités : « Egyptiens, Jordaniens, Libyens, Syriens et Libanais. » L'on apprend aussi, au passage, que l'espion est homosexuel, qu'« il s'habille de vêtements pour homosexuels » et qu'il a même « accepté de s'accoupler, sous les yeux d'officiers israéliens, dans le but de démontrer une loyauté indéfectible ». Après six mois de travail à Ankara, Joseph Al Attar est envoyé au Canada, d'abord à Vancouver, où on lui trouve du travail dans des restaurants fréquentés par les émigrés arabes, puis à Toronto où il finit, après une formation dans un institut canadien payée aux frais du Mossad, par travailler dans une banque dans laquelle il est chargé de communiquer des informations confidentielles sur les clients d'origine arabe. Au Canada, les officiers traitants de Joseph Al Attar lui demandent d'infiltrer et de concentrer son attention sur les milieux des coptes égyptiens, ce qu'il fait assidûment jusqu'au moment où il n'en peut plus de travailler pour le Mossad, et ce, en novembre 2006. Lorsqu'il parle à son officier de son désir d'abandonner, il est menacé vertement : « Si tu arrêtes, lui assène son chef, nous informerons le gouvernement canadien du crime que tu as commis en nous communiquant des informations bancaires secrètes, mais aussi les autorités égyptiennes de ta collaboration avec le Mossad. » Le jeune homme se remet au travail mais, « débordé par la nostalgie pour l'Egypte », finit par demander l'autorisation de se rendre pour trois jours au Caire. Sa demande est acceptée par l'officier israélien qui lui demande « d'en profiter pour contacter son frère, lui-même, officier égyptien dans un service de sécurité sensible », rapporte encore Al Masri al Youm. S'il a été arrêté aussi promptement par les services de sécurité égyptiens, c'est parce que le jeune espion n'a pas dû faire dans la discrétion : le même quotidien rapporte ainsi que plusieurs personnes parmi l'émigration arabe avaient remarqué ses va-et-vient fréquents aux ambassades israéliennes, que ce soit en Turquie ou au Canada, et se sont empressées d'informer les diplomates égyptiens sur place. Mohamed-Joseph Al Attar était ainsi étroitement surveillé par le service de contre-espionnage égyptien et a été cueilli comme un fruit mûr à son retour au pays natal. Depuis que ses « confessions » ont été rendues publiques, les associations de coptes vivant en Amérique du Nord crient à une énième manipulation du régime Moubarak visant à les diaboliser aux yeux de leur population, certains gouvernements arabes pressent les autorités égyptiennes de leur communiquer les noms de leurs propres « traîtres », et jusqu'à son propre avocat, qui a décidé de le renier, refusant d'assumer sa défense. « Je pensais qu'il avait avoué sous la torture des faits imaginaires, mais en lisant son dossier, je me suis rendu compte qu'il donnait bien plus d'informations que ce qui lui était demandé, il est clair qu'il n'a pas parlé sous la contrainte, c'est une affaire perdue d'avance et moi je ne défendrai pas un tel traître », aurait affirmé son avocat à Al Masri Al Youm. Comment défendre un tel personnage qui conjugue enfance abusée, détestation de l'Islam, conversion au christianisme, « perversion homosexuelle » et traîtrise à la nation. Tous les ingrédients d'un feuilleton égyptien explosif où la réalité ferait pâlir d'envie toute velléité de fiction.