Dans un tribunal flambant neuf, construit au cœur des chantiers des nouveaux quartiers riches au milieu du désert à plus de 45 minutes du centre du Caire, l'audience du procès de Mohammad Al Attar, accusé d'avoir collaboré avec les services de renseignement israéliens, s'est ouverte hier dans une ambiance où, n'était la gravité de la condamnation qu'encourt le jeune homme, le burlesque l'aurait emporté sur le surréaliste. Le gros des événements ayant eu lieu avant même l'arrivée du juge puisque la salle d'audience s'est transformée, dès l'apparition de l'accusé derrière une cage noire en fer forgé, en foire d'empoigne. Deux rangées de policiers, censés prévenir toute communication entre l'accusé et l'assistance, ont tenté sans grande conviction de contenir la ruée des journalistes, photographes et cameramen sur les barreaux. Une incroyable mêlée où les journalistes hurlent leurs questions à un accusé qui tente de leur répondre en criant pour se faire entendre, tout cela sous le regard de trois représentants de l'ambassade canadienne, assis dans un calme olympien, venus assister au procès de cet « espion » qui a acquis la nationalité canadienne y a près de quatre mois de cela. Le calme n'est revenu qu'une fois que les policiers ont réussi à faire s'asseoir tous les journalistes et en attendant que le juge arrive, certains reporters ont continué à poser leurs questions à partir de leurs bancs, ce qui a donné lieu à un échange des plus invraisemblables. Ya Mhammad, c'est vrai que tu as renié l'Islam pour la chrétienté ? Non, ouallahi ! je suis musulman et je témoigne qu'il n'y a de Dieu qu'Allah et que Mohamad est son prophète Ya Mhammad, tu es homosexuel ? Non, je jure que c'est faux ! Ya Mhammad, est-ce que tu as été violé quand tu étais enfant ? Non, non, c'est du n'importe quoi !! Ya Mhammad, tu as des amis juifs ? Non ! jamais je ne mettrai les pieds en Israël avant la libération totale de la Palestine ! Réussissant à contrôler les photographes et les cameramen, les policiers ont laissé faire la conférence de presse improvisée. Mohammad Al Attar a pu s'exprimer de manière audible : « Je respecte les officiers du renseignement égyptien, ils font tout pour protéger notre nation, mais il y a une personne que je veux dénoncer, un officier nommé Nabil Mahmoud qui m'a contraint à signer une histoire à dormir debout, il a fait de moi « Al Raguel al Moustahil » (allusion à un best-seller d'espionnage égyptien, ndlr). J'ai été torturé pendant quatre semaines et ensuite on m'a contraint à signer des confessions où tous les personnages sont fictifs. » Selon lui, l'accusation qui pèse sur lui et qui risque de le faire condamner à la peine capitale a été inventée de toutes pièces par un officier des renseignements égyptiens « désirant avoir une grosse promotion sur mon dos ». Al Attar affirme aussi qu'il a été dénoncé par un officier irakien qu'il a rencontré à Istanbul, qui a tenté de le convaincre d'aller travailler pour l'ambassade israélienne, et c'est parce que « j'ai refusé de le suivre et que j'ai révélé son identité auprès de toute la communauté arabe d'Istanbul qu'il s'est vengé en allant me dénoncer à l'ambassade égyptienne ». Il a expliqué qu'il avait quitté Le Caire parce qu'il avait des problèmes familiaux. Lorsque le juge arrive enfin, c'est toute l'assistance qui est prise d'hilarité face au peu de sérieux de l'avocat qui a commencé par présenter son mandant comme « un citoyen égyptien détenant aussi la nationalité américaine », se faisant immédiatement corriger par tout le monde, journalistes et policiers : « Non ! pas américaine, canadienne ! » L'avocat n'en fait pas grand cas, rectifie le tir et demande ensuite la permission de s'isoler avec l'accusé qu'il n'a jamais eu l'occasion de rencontrer auparavant. Mohammad Al Attar est emmené à la barre et, à peine démenotté, que son avocat se jette sur lui et l'enlace sous les crépitements des appareils photos. Le jeune homme est maigre et flotte dans l'uniforme blanc des prisonniers, ses yeux, dans un visage émacié, semblent exorbités de fatigue et de tension, mais il se laisse enlacer aussi longtemps que le veut l'avocat qui finit par le lâcher pour lui demander à la surprise générale : « Est-il vrai que tu as renié l'Islam et choisi la chrétienté ? » Et l'on finit par croire que ce procès, que sont venues couvrir toutes les télévisions arabes et toutes les agences de presse occidentales, qui se tient dans l'austère cour de sécurité nationale, n'est pas celui d'un Egyptien accusé de traîtrise à la nation, mais d'un musulman qui s'est converti au christianisme. L'audience a été reportée pour, selon le juge, permettre à la défense de préparer adéquatement son « travail ».