Amara Benyounès revendique aussi bien son appartenance au camp démocratique que son soutien au président de la République. Il se fixe comme objectifs prioritaires de fédérer les démocrates républicains et de vaincre l'islamisme politique. Amara Benyounès, comment vous situez-vous dans l'échiquier politique d'aujourd'hui et de quelle doctrine vous réclamez-vous ? Notre famille politique naturelle est bien évidemment celle des démocrates républicains. Le parcours militant des fondateurs de l'UDR, notre discours, notre programme et le projet que nous défendons énoncent de la manière la plus nette notre appartenance. Mais notre parti est né d'une désillusion qui aurait pu nous pousser vers la résignation, ce qui a été le cas de nombre de militants démocrates pour la plupart brillants et intègres qui sont, pour reprendre une expression en vogue, « rentrés à la maison ». Nous avons choisi, pour notre part, de continuer parce que les enjeux sont d'une extrême importance, mais avec un autre regard, une autre démarche. Bref, faire de la politique autrement. Sinon, nous serions restés là où nous étions. Notre parcours depuis le début des années 1990 nous a appris à dépasser un certain nombre de certitudes qui ont fait des dégâts dans les rangs des démocrates républicains, incapables en deux décennies de se rassembler, pour offrir une alternative de progrès pour l'Algérie. Pour notre part, nous avons inscrit d'emblée ce rassemblement comme objectif prioritaire, et c'est même l'un des éléments fondateurs de l'UDR. Nous pensons cependant que pour réussir dans cette entreprise, il faut être le plus large possible. Les démocrates républicains sont partout, dans les partis d'opposition ou au pouvoir, dans les institutions de l'Etat, dans les associations et plus largement dans la société. C'est en fédérant l'ensemble de ces potentialités que nous pèserons sur les rapports de force en faveur d'une alternative démocratique. Maintenant, si vous voulez absolument fixer l'UDR dans une appartenance théorique et bien que je n'aime pas le terme doctrine qui renvoie, à mon sens, à des idéologies d'un autre temps, disons que nous sommes des sociaux-démocrates modernes avec une option résolue pour l'économie de marché. Est-ce normal que les autorités refusent d'agréer votre parti, alors que vous avez apporté publiquement votre soutien au programme du président de la République ? Le premier fait que vous soulignez ne peut en aucun cas être lié au second. C'est faire fi de notre haute idée de la morale politique que de lier la question de l'agrément de l'UDR à son soutien au programme du Président. Pourquoi l'agrément ne nous a pas été délivré ? A ce jour, nous n'avons pas de réponse même si je peux vous affirmer que notre dossier ne souffre pas de la moindre insuffisance. Ce n'est donc pas à moi de répondre à cette question. Et, si vous permettez, c'est le type de sujet qui devrait intéresser la presse. Vous savez très bien où il faut s'adresser pour en savoir plus. Passons au soutien de l'UDR au programme du président de la République. Non seulement nous l'assumons, mais il ne souffre d'aucune remise en cause. Mais je vous prie de noter, une fois pour toutes, qu'il s'agit d'un soutien motivé par la seule conviction et qu'il ne nous est jamais passé à l'esprit de marchander quoi que ce soit. Ce n'est absolument pas dans la culture et les mœurs de l'UDR. N'ayant pas reçu d'agrément, votre parti ne pourra pas s'engager dans les élections à venir. Comment envisagez-vous votre participation ou votre contribution à ces échéances ? A l'UDR, cela fait longtemps que nous avons condamné la mentalité d'assistés qui, malheureusement, est légion. N'ayant pas obtenu l'agrément, nous refusons de nous confiner dans une posture de pleurnicheurs. Nous nous sommes attelés à trouver les voies et des moyens légaux de jouer notre rôle de parti politique et donc de participer pleinement au scrutin du 17 mai prochain. Dans les tous prochains jours, vous en saurez davantage. Je voudrais ajouter, toutefois, que nous ne considérons pas les législatives comme une fin en soi. Elles nous intéressent surtout, en cela qu'elles constituent un premier pas concret dans la construction d'un véritable rassemblement des forces républicaines attachées à la modernité et au progrès. Vous attaquez les islamistes alors que vous partagez avec eux le soutien au président de la République. N'y a-t-il pas là une contradiction chez vous ? Pourquoi voulez-vous que la contradiction soit chez nous et pas chez eux ? Vous savez, les islamistes se réclament aussi du même Dieu que nous. Devons-nous le leur abandonner ? Nous partageons le même pays. Faut-il le leur laisser également ? Il faut que les choses soient bien claires. Nous soutenons un programme qui comporte un certain nombre de réformes qui ont d'abord été les nôtres. Vous avez vu comment les islamistes, qui soutiennent ce même programme pour des raisons tactiques, se sont ligués contre les amendements du code de la famille, de la réforme de l'éducation, du code de la nationalité... Notre soutien est un soutien de conviction et je ne pense pas, de ce fait, avoir quelque chose à partager avec les islamistes. Si vous devez juger le régime actuel en quelques mots, quelles sont ses forces et ses faiblesses ? Vraiment en deux mots ? Eh bien, il y a un programme présidentiel digne d'être soutenu parce que annonciateur de réformes fondamentales pour le pays. Cela c'est le côté positif. Et puis il y a un gouvernement qui n'a ni la volonté ni souvent la compétence de concrétiser ce programme. Vous avez exclu tout rapprochement avec le FFS et le RCD. Et pourtant, et c'est l'histoire qui le montre, ces deux formations sont incontournables dans le camp démocratique... Je m'inscris en faux avec vos propos. L'UDR n'a jamais exclu le rapprochement avec toutes les forces qui partagent le même projet de société. Si ce rapprochement ne se fait pas, c'est donc ailleurs qu'il faut en chercher les causes. Quant au caractère incontournable de ces deux formations, je pense que pour concrétiser le rassemblement des forces républicaines, tout le monde est nécessaire mais personne n'est indispensable. La crise qui a lourdement affecté la Kabylie, vous paraît-elle résorbée aujourd'hui ou bien est-elle toujours présente, risquant d'exploser à tout moment ? Que préconisez-vous pour le retour définitif à la stabilité ? Si vous parlez de la crise dans sa forme violente, nous pouvons dire qu'elle est derrière nous. Après en avoir dangereusement souffert, la Kabylie semble avoir fini avec le destin qu'on a voulu lui affecter, celui des bars et des barricades. Mais les séquelles sont profondes et les raisons de la colère sont loin d'être résorbées. Dire que les choses ne se sont pas améliorées serait faux. Prétendre que la crise est durablement résorbée serait tout aussi erroné. Quelques dossiers restent préoccupants à ce jour dans cette région : La revendication identitaire, malgré une avancée historique, avec la constitutionnalisation de tamazight comme langue nationale n'a pas encore abouti et demeure une grande priorité pour la population. La sécurité des citoyens et des biens, qui est loin d'être garantie et qui constitue une inquiétude majeure, est quotidienne. L'état de déliquescence de l'activité économique et l'absence criante d'investissements qui jettent des pans entiers de la société dans le dénuement. Une crise de confiance profonde et visible entre les citoyens, d'une part, et les acteurs politiques, d'autre part. Le rétablissement durable de cette confiance est une nécessité impérieuse. Elle passe par la réunion des conditions nécessaires à un débat franc et serein, donc dénué de violence entre les citoyens et les acteurs politiques, d'une part, et entre ces acteurs politiques, d'autre part. A ce propos, les prochaines législatives pourraient, si chacun prend ses responsabilités, être l'occasion, au moins à ce niveau, d'un retour progressif à la normale. Dans tous les cas, le taux de participation au scrutin du 17 mai prochain sera un indicateur fort à ce sujet. Les autorités refusent d'ouvrir le champ audiovisuel sous prétexte que l'Algérie n'est pas prête. Cet argument vous paraît-il fondé ? Une chose est sûre. Il est raisonnablement impossible de maintenir le secteur de l'audiovisuel dans sa situation présente. Son ouverture s'impose donc. Et le plus vite sera le mieux. Cela étant, l'audiovisuel, comme d'autres secteurs dans d'autres domaines, sont soumis à des règles. Il faudra donc veiller à instaurer une réglementation, qui, sans affecter les libertés constitutionnellement garanties, puisse prévenir les dérapages. Il n'y a aucun argument qui puisse justifier la fermeture du champ audiovisuel. Politiquement, c'est inconcevable dans un pays qui prétend à l'ouverture et à la liberté d'expression et qui dispose d'une presse écrite diverse et libre dans le ton. Pratiquement, c'est une contrainte inutile puisqu'en plus du fait que le monde entier nous arrose de ses images, des médias étrangers peuvent très bien « s'occuper de l'Algérie » sans être soumis au cahier des charges de l'Algérie. Est-il nécessaire de réviser la constitution actuelle ? Si oui, sur quel point ? Quelles que soient les insuffisances réelles ou supposées de l'actuelle constitution, sa révision ne revêt aucun caractère d'urgence. Il y a tant de chantiers, il y a tant de dossiers dont l'absence de traitement idoine occasionne des préjudices considérables pour les pays. C'est de ces chantiers, de ces dossiers qu'il convient de s'occuper en priorité. La Constitution algérienne a plus besoin d'être respectée que d'être changée. S'il advenait que le président de la République, qui en a seul les prérogatives, propose sa révision, nous nous exprimerons une fois son contenu connu. L'Algérie cherche sa stratégie économique. Quelle option vous paraît la meilleure pour sortir l'Algérie du sous-développement ? En matière économique, nous avons toujours dit que l'Algérie a deux défis majeurs à relever : le passage d'une économie étatique à une économie de marché et d'une économie pétrolière à une économie de production de richesses. Il faut accélérer les privatisations et créer un environnement favorable à l'investissement. Nous n'allons pas inventer le fil à couper le beurre. Pour ce faire, il faut révolutionner les banques qui sont le talon d'Achille de notre économie, simplifier la procédure de création d'entreprises, faciliter et réduire le coût d'accès au foncier, réformer les douanes et le système fiscal tout en encourageant les petits crédits. Il faudra, en outre, une lutte sans merci contre le « trabendo » qui gangrène notre économie, de même que le retour au week-end universel devient une urgence majeure. L'Algérie a-t-elle la politique étrangère qu'il faut, notamment au niveau de la région et la mer Méditerranée ? L'Algérie a besoin de recentrer sa politique étrangère dans le sens de ses intérêts stratégiques. Pour l'UDR, la construction de l'ensemble Nord-africain est une priorité. D'abord, parce que c'est la seule manière d'envisager, dans les meilleures conditions, un partenariat efficace avec l'espace euro-méditerranéen. Ensuite, parce que ce projet est tout de suite réalisable grâce aux facteurs historiques, géographiques et culturels que tout le monde connaît. Plus largement, l'Algérie a intérêt à diversifier ses partenaires et envisager des relations concrètes qui dépassent les sentiments. Mais le destin de l'Algérie est en Afrique du Nord et en Méditerranée.