Une fin de journée de labeur, et ce n'est pas encore terminé. C'est à la sortie du petit village Ifelfel, situé dans la commune de T'Kout, à 102 km de Batna, que nous avons rencontré Khalti Fatma, le nom que lui donnent tous les habitants de la dechra. Elle a posé son fagot pour quelques minutes, le temps de reprendre son souffle, puis de repartir, car il ne lui reste pas beaucoup de chemin avant d'arriver à la maison de son fils, chez qui elle habite. Ce n'est pas le poids du bois sec qui lui pose le plus de problèmes, mais ce sont plutôt les gardes-forestiers ; l'octogénaire ne comprend pas leur attitude. « Nous n'avons pas le gaz comme à Batna, et on nous interdit de couper le bois, on va se chauffer avec quoi ? », nous dira-t-elle en chaouia, sur un ton amusant mais non moins sérieux..Elle ignore peut-être qu'elle porte sur son dos l'équivalent de son propre poids. Mais elle sait avec exactitude comment le transporter et répartir la charge, pour subir le minimum de lourdeur. « Ramener le bois, l'eau, rouler le couscous, aider le père au jardin, puis le mari …sont des tâches presque innées chez la fille ou la femme chaouie », lance la brave dame avec dignité. Nous sommes au début du mois de mars, et nous voulions savoir, si durant toute sa vie, ou du moins, ces dernières années, elle avait entendu parler ou vu la célébration de la journée de la femme. Avec un bon sens paysan, elle me répond qu'elle ne comprend pas de quoi il s'agit. Nous lui expliquons en quelques mots et avec des signes pour tenter de lui faire comprendre qu'il s'agit d'une journée réservée aux femmes. On leur offre des cadeaux, elles vont au restaurant, elles se font belles… Elle lance « Yehhh ! Cela doit être bien », réplique-t-elle. Un joli losange tatoué au front, et deux autres formes presque invisibles sur les joues, le tout donne une allure authentique à cette Chaouia, qui n'a connu dans sa vie que son pays , Thamurth comme elle le dit si bien. De retour à Batna, les préparatifs vont bon train, pour cette journée de la femme. Une exposition, une conférence, des photographies souvenirs, il ya même des femmes qui ont été invitées à Alger pour prendre part d'une manière officielle à la célébration de la journée. Mais, la collation se fera sans Khalti Fatma, à cause de l'éloignement ... bien sûr. Il y aura de la limonade, des gâteaux secs et un discours rappelant une époque révolue. Fatma se souvient avoir préparé pendant des nuits des galettes aux Moudjahidine, qui murmuraient déjà à l'époque le mot « indépendance ». Une journée passe, mais l'histoire reste. Pardon, l'aïeule !