T'kout, l'irréductible village qui n'est pas en bande dessinée comme celui des Gaulois, mais une réalité, affiche sa fierté, voire son audace, dès qu'on approche de Ghassira, à une dizaine de kilomètres, où tamazight s'est invité sans décision ou circulaire de l'Administration. C'est un peu la Kabylie des Aurès, ou l'inverse, les Aurès de la Kabylie. Dans le minibus qui nous y emmène, la diva Markunda berce les voyageurs satisfaits et sereins, le problème de transport, n'est plus un cauchemar quotidien. “Aussi bien vers Batna, Biskra, Arris, des allers et retours sont assurés à longueur de journée et sept jours sur sept”, nous informe le jeune Rabah, receveur, mais aussi “membre des arouchs des Aurès”, précise-t-il. Les villageois sont matinaux, la rue principale du village grouille de monde… Ils sont nombreux à venir des villages lointains pour prendre part à la fête de l'automne, spécialité maison, Thamghra N'Tminzouth, que T'kout et ses habitants préservent jalousement. Chaque 25 août, et quatre jours durant, les habitants des différents villages, douars, dechras… — Ifelfel, Chenaoura, Beniane, Ghassira et même les villages des wilayas limitrophes — viennent proposer les fruits et légumes de la saison ; le troc est encore une pratique courante dans la région. Le café Thileli (liberté), c'est aussi la messagerie du village et un lieu de rencontre pour les jeunes et les anciens qui vivent en harmonie, voire en complicité, comme nulle part ailleurs. Hospitalité exige, le café est offert par le patron qui nous fait un signe de bienvenue. Les portraits de Matoub et de Benchicou, accrochés au fond de la salle, semblent n'étonner personne, sauf les visiteurs. Nous. Les traces des tragiques et douloureuses manifestations de T'kout ont été effacées, mais dans les cœurs et les mémoires, la douleur est encore vivace. L'expérience et la maturité des anciens dépassionnent et calment les esprits. Plus de vérification d'identité, plus de barrage de filtrage, sauf un à la sortie du village… la vie semble avoir repris son cours normal. À T'kout, comme dans les autres villages du grand Aurès, le nouvel album de Dihya (dzaïr essa) est très attendu et même un peu plus qu'ailleurs, pour la simple raison que T'kout est le pays natal de l'artiste, et Dihya est la fierté des T'koutis. Un groupe de jeunes nous invite à les rejoindre au cybercafé. Ils nous montrent fièrement le site T'kout sur la toile du web. Toute la région est présentée aux internautes, culture, tourisme, agriculture… tout est répertorié, photographié ; le nombre des visiteurs du site ne cesse de grimper et des encouragements sont reçus des quatre coins de la planète. Des films, westerns, comme Le Bon, la Brute et le Truand, et d'autres d'actions, très sollicités par les jeunes, sont doublés en chaoui, en berbère avec un matériel de fortune, mais mieux faits que ceux de l'Entv en arabe classique. “On respecte la version originale”, nous précise Hakim, 23 ans, un jeune technicien-informaticien, sans emploi. Il donne un coup de main à l'association en attendant de tenter encore une fois sa chance à Hassi Messaoud, mais sans grand espoir. Lieu de naissance T'kout, une tache noire sur le CV. Le soleil monte dans le ciel, le mercure grimpe, sans pour autant ralentir ou affaiblir le va-et-vient des villageois. Comme avant les années 1970 et la révolution agraire, toute la région renoue avec la pratique ancestrale, l'autosuffisance alimentaire. Une grande partie des habitants a son petit lopin de terre qui répond aux besoins de la famille. Même si le matériel agricole utilisé est d'un autre âge, la terre ingrate et l'eau d'autant précieuse qu'elle est rare. C'est autour d'un couscous chaoui qu'on apprend que T'kout n'est autre qu'une toponymie. La légende chaouie raconte que T'kout, une belle jeune fille gâtée, joue avec le cœur d'un jeune chenaoura, du douar voisin. Il se laisse séduire, mais n'obtient rien en contrepartie… sauf de faire un long trajet sous un soleil de plomb, qui finit par le détruire. R. Hamatou