Onze peines de 10 ans de prison, huit autres de 8 ans et trois de 3 ans ont été requises hier par le ministère public, dans le cadre de l'affaire Digimex, jugée par la chambre pénale près la cour d'Alger. Les avocats des prévenus ont tous plaidé l'innocence et réclamé la relaxe. Le procès de l'affaire Digimex, dans laquelle une douzaine de cadres de la BADR sont poursuivis, s'est prolongé jusque tard dans la soirée d'hier, avec les plaidoiries des avocats, axées surtout sur les déclarations de l'expert Kentouri Madjid, selon lesquelles la procédure de l'octroi des crédits à Digimex « était dans sa globalité régulière ». Il commence par affirmer que dans le cadre de sa mission d'expertise il s'est entretenu avec le gérant de Digimex, Kechad Belaïd (actuellement en détention à Blida dans le cadre de l'affaire Khalifa), qui lui a remis tous les documents dont il avait besoin, parmi lesquels ceux concernant l'importation d'une Jaguar dans le cadre de l'APSI, c'est-à-dire bénéficiant d'une franchise des impôts et des droits et taxes douaniers. La présidente demande à l'expert s'il s'est entretenu avec les responsables, prévenus dans cette affaire, pour leur demander des explications sur les faits qui leur sont reprochés. Il déclare n'avoir par pu le faire du fait du temps limité (deux mois) imparti à sa mission. Elle l'interroge sur le fait d'avoir inclus le montant du crédit de 1,8 million de dollars dans le calcul du préjudice, alors que la somme a été remboursée. L'expert garde le silence, mais explique après que, dans le volet des crédits, il a relevé que les 40 à 50 dossiers examinés, la procédure « était globalement correcte ». Il estime que les garanties existaient, même si leur valeur reste selon lui discutable. Il relève la difficulté d'examiner quelque 3200 photocopies de documents, ce qui l'a poussé à ne s'intéresser qu'au volet du respect de la procédure. Pour lui, lorsque la banque accorde un crédit, cela ne veut pas dire qu'elle donne de l'argent. A la question de savoir qui recueille les garanties, l'expert affirme que c'est l'agence, qui exécute mais qui vérifie aussi les réserves. Il précise que les dossiers de garantie existent et leur valeur a été expertisée par Digimex, sans qu'une contre-expertise soit réalisée par la banque. « Je ne peux affirmer si ces crédits ont été remboursés ou pas. J'ai fait un état des lieux entre les garanties exigées et celles proposées pour justifier l'acte de débloquer les fonds. » A propos des décaissements, il note qu'il s'agit d'un autre problème qui n'a pas de répercussion sur les crédits lesquels, selon lui, ne sont que des écritures et non pas des mouvements de fonds. La présidente rappelle à l'expert que le patron de Digimex affirme que ses autorisations d'escompte tombaient à échéance à la fin de 2004 et que leur suspension par le PDG de la Badr a provoqué la catastrophe. M. Kentouri donne un autre avis. Selon lui, toutes les lignes de crédit arrivaient à échéance le 31 décembre 2005, ajoutant que parmi les 16 autorisations de crédit il n'y a que la dernière qui reste valable, du fait que chacune d'elle annule celle qui la précède. « COMPLAISANCE » A propos de la valeur totale des garanties présentées par Digimex, l'expert l'a évalué à 1,855 milliard de dinars, somme à laquelle il faudra ajouter la caution solidaire des actionnaires qui fait partie des conditions bloquantes. Il relève néanmoins qu'il existe des crédits d'investissement à moyen terme, c'est-à-dire pour une période de 5 ans. Selon l'expert, il y a d'un côté les crédits et d'un autre la situation de la trésorerie du groupe. Il cite l'exemple de l'opération d'importation de 50 camions financée par la Badr qui, au moment de l'expertise, n'était pas terminée. La présidente lui demande pourquoi l'avoir incluse dans le calcul du préjudice. « Tout ce qui a été décaissé a été compté », répond-il. Ce qui a fait réagir brusquement la présidente. « Connaissez-vous l'importance de votre expertise pour nous magistrats ne connaissant rien aux pratiques bancaires ? », dit-elle avant de lancer où réside le problème et l'expert lâche : « Il n'y a pas de problème. » La magistrate : « Est-ce que la caution solidaire couvre les crédits ? » L'expert : « Elle n'est pas chiffrée. Les garanties promises et celles présentées ont été évaluées par Digimex. » M. Kentouri affirme que le préjudice auquel il est arrivé atteint 11,526 milliards de dinars. Il note que dans le volet crédit, il n'y a rien qui puisse être sujet à des sanctions. Abordant le volet des traites escomptées, l'expert déclare qu'il y a eu « complaisance ». « LE SYSTÈME A MAL FONCTIONNE » La banque a, selon lui, crédité le compte courant de Digimex par le rachat de ses traites et, au lieu de les laisser à l'agence pour être payées, elles ont été logées dans le compte de la trésorerie dans le but de les cacher. « Les traites étaient rachetées le jour même, puis transférées vers la trésorerie. Cette pratique a été dévoilée à la suspension de l'escompte. Ce sont des montants importants qui oscillaient entre 8 et 30 millions de dinars, ce qui permettait au compte courant de Digimex d'être tout le temps alimenté. Le système a mal fonctionné », déclare l'expert. Celui-ci affirme ne pas pouvoir désigner le responsable qui a logé ces traites fictives dans le compte de la trésorerie, estimant toutefois que le responsable de ce service aurait pu les remarquer et les renvoyer à la comptabilité de l'agence de Birkhadem. La présidente insiste pour savoir si cette pratique est courante et l'expert, après tergiversation, a fini par déclarer : « Je n'ai traité que le dossier Digimex. » Il révèle que le nombre des traites rejetées par ABC Banque pour insuffisance de provisions et revenues impayées à la Badr a atteint 514, alors que le total des traites payées et escomptées au niveau de la Badr est de 663. Il note que les sociétés au bénéfice desquelles ces traites ont été payées ont toutes des relations avec les dirigeants du groupe et que le montant global de ces traites atteint les 5,567 milliards de dinars. « C'est une politique ou une stratégie mise en place pour masquer un détournement. » A une question posée par la défense relative à une solution à l'amiable, au lieu du procès, l'expert déclare, mais « à titre personnel, que tout peut être réglé à l'amiable lorsque l'argent perdu est un bien privé. Mais lorsque cet argent fait partie des deniers publics, il est difficile de se mettre à la place des responsables de la banque. L'affaire a été trop médiatisée, quel est ce directeur qui va avoir le courage d'aller négocier ». Pour ce qui est des chèques sans provision certifiés, il estime que rien n'apparaissait dans le compte du client, de fait qu'il était alimenté régulièrement par les traites. Ce qui, selon M. Kentouri, permettait à Digimex d'avoir une bonne trésorerie. A en croire l'expert, cette affaire montre encore une fois l'absence d'auto-contrôle au niveau des banques et se demande comment se fait-il que les commissaires aux comptes de la Badr n'aient pu déceler ces anomalies. Maître Abdelkrim Kayous, avocat de la partie civile, demande quant à lui la confirmation du premier verdict, mais avec la confiscation des biens des gérants de Digimex, au profit de la banque. Le ministère public requiert pour sa part de lourdes peines.Un ans, pour onze prévenus, dont sept cadres de la Badr, dont le PDG, le directeur de l'agence de Birkhadem, ainsi que les deux associés de Digimex Zidoune Youcef et Djellouli Abderazzak. Il demande 8 ans contre sept autre prévenus et 3 ans contre 3 autres. Les plaidoiries se sont poursuivies très tard dans la soirée avant que l'affaire ne soit mise en délibéré.