Anna Gréki peut être considérée comme le chef de file des poètes européens qui ont milité pour que l'Algérie soit libre et indépendante. Ses poèmes, réunis dans son recueil L'Algérie, capitale Alger, marquent une date. Elle y définissait la position militante qui fut la sienne : « Sans t'interrompre Je t'ai laissé parler mon frère Tu n'as rien omis dans tes comptes d'apothicaire L'enfance pauvre L'adolescence amère Les veillées autour d'un tract ou d'un fusil A l'âge où d'autres s'éveillaient à l'amour Tu n'as rien omis dans la colonne de droite Ni le quart de siècles de luttes Ni la toiture et les années de prison. » Déjà, dans ses poèmes de jeunesse publiés dans son recueil : Temps forts, on remarque que la possession rêvée disparaît, la beauté s'efface. Vaine anxiété de sortir de sa propre solitude, pour se retrouver dans les choses, dans le visage fraternel des formes terrestres : « La braise s'éternise Etouffe les roches Par ce temps de canicule Exacerbées Elle volent en éclats. » Il n' y a rien d'amical autour de la poétesse qui se laisse alors aller à la dérive, feuille au fil du courant. La lutte impuissante de l'homme qui voulait saisir la vie à bras-le-corps s'achève par une contemplation désespérée. Ce refus de toute sujet extérieur au fantôme lyrique, qui sourd des profondeurs de l'âme, arrive à des conséquences extrêmes puis des positions franchement militantes ; elle fait connaître les revendications des Algériens : « Je cognerai encore trois fois A votre porte La première fois pour dire que j'existe Depuis que le pain existe La deuxième fois pour dire que j'existe Puisque par moi vous existez La troisième fois ce sera pour vous dire : Il n'est pas de granit Que n'use le vent et la pluie Et mon vent à moi c'est ma faim Ma pluie à moi c'est ma soif Prenez garde Je ne veux plus être orphelin. » Et le peuple algérien a vu en Anna Gréki une artiste prestigieuse qui lui offrait le courage de combattre. Elle était une noble poétesse dont on pouvait révérer la personne dont l'expression était limpide et qui traduisait d'emblée l'opinion de tout un peuple : « Modelé du corps Se déchaîne l'ouragan offensive irrésistible Hommes de longue peine Peuple de souffrance Déterminé à ne plus souffrir. » Anna Greki était aussi une délicieuse épistolière, bien informée, d'une remarquable ouverture d'esprit. Elle a indiqué, souvent avec éclat, les perspectives qui s'ouvraient au peuple algérien. Le 6 janvier 1966, elle meurt à Alger, après un accouchement fatal. Elle n'avait que 35 ans, mais son courage, son combat et sa poésie restent incrustés dans la mémoire algérienne. (2) -(1) Anna Gréki est née le 14 mars 1931 à Batna. (2) Temps forts et Algérie, capitale Alger » sont les seuls recueils qu'elle a publiés.