Alors que la présidentielle française prend des chemins de traverse sur le thème de l'identité nationale, de ministère de l'Immigration, ou d'immigration subie, un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) rapporte que 30% des Français se déclarent racistes, et que 48% pensent qu'il y a trop d'immigrés en France. Paris : De notre bureau Le débat lancé depuis plusieurs années par Nicolas Sarkozy, candidat de l'UMP, ministre de l'Intérieur jusqu'à aujourd'hui, surfe donc apparemment sur une base idéologique qui semble ancrée dans la société française. Cette sensation de rejet des immigrés cache cependant mal une faille sémantique essentielle, que les médias mettent rarement en avant : que cache le mot « immigrés » ? C'est quoi l'immigration que l'on veut contrôler, « manager » ? D'où viennent les immigrés ? Seulement du Maghreb et des pays du Sahel ? Les statistiques, rarement abordées, ne disent-elles pas que l'Europe orientale et l'Asie (Chine…) sont des gros pourvoyeurs de candidats à l'Europe ? Or, beaucoup, en entendant le mot immigré, ne veulent voir que l'Arabe ou le Noir. Les « autres » feraient-ils moins « tache » ? Enfin, qu'englobe le mot « immigration subie », comprend-il les demandeurs d'asile et la vie des familles étrangères ? La revue Ecart d'identité, publiée à Grenoble, consacre au bon moment sa dernière livraison au thème « Immigration choisie, précarisation subie ». Dans l'éditorial, Abdellatif Chaouite dénonce « un stratagème pour suspecter l'un par l'autre » qui viserait simplement à remettre en cause la notion même d'asile : « Toute demande d'asile cache désormais une fausse immigration et toute migration rendue illégale vient nourrir la suspicion de l'asile. » Le chercheur estime que « les politiques inventent les figures du ‘‘bon'' et du ‘‘mauvais'' immigrés. Grand retour légalisé du vieux stéréotype inusable : l'autre (non choisi) comme menace ». Et qui est donc cet « autre » dans l'imaginaire xénophobe ? Danièle Lochak, professeur à l'université Paris X Nanterre (et membre du groupe d'information et de soutien aux immigrés), estime qu'on « pourrait s'interroger sur la légitimité d'une distinction qui revient à considérer comme subie, l'immigration fondée sur les droits, ou encore la capacité réelle de la France à choisir ses immigrés et à les attirer chez elle ». Claude Liauzu, historien, rappelle que « dès l'origine, on s'est efforcé de sélectionner. L'immigration a été considérée comme un mal nécessaire ». A la question de la filiation de cette idée d'immigration subie, immigration choisie, il estime que la « peur de l'étranger est une des caractéristiques du vieux pays d'immigration mal acceptée qu'est la société française ». Pour Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRAS (CERI), l'idée s'inscrit dans un « nouveau contexte », à savoir « une compétition mondiale pour le recrutement, des élites les plus qualifiées et les plus créatives » et « les réticences de l'opinion publique, à l'égard de nouveaux flux et de l'installation des immigrés ». Ainsi, dit-elle, « l'accent est mis sur la mobilité, la circulation des hommes, des compétences et des idées, s'inspirant d'une démarche fonctionnelle de l'immigration, qualifiée par des nombreuses associations, d'immigration jetable. On en vient à une politique d'indésirable, appelant Immigration subie, les flux résultant de l'application de droits fondamentaux (droit d'asile, droit de vivre en famille) reconnus par la Constitution et par les traités internationaux dont certains à valeur universelle (Convention de Genève de 1951 sur le droit d'asile) ». Ce n'est d'ailleurs pas étonnant que « l'école s'est trouvée plongée au cœur de la défense des familles sans papiers », indique François Estival, qui a participé dès le début du printemps 2006 au mouvement du Réseau école sans frontière, organisé pour empêcher l'expulsion des enfants de sans-papiers scolarisés. Laure Chebbah-Malicet, politologue, et Marion Gachet, juriste, signent un « avis de tempête sur le droit des étrangers » : « Depuis 35 ans, ce ne sont pas moins de 31 réformes majeures des textes régissant l'entrée et le séjour des étrangers en France », dénonçant « une surenchère politique visant à faire de l'immigration le cache-misère des difficultés sociales, économiques et politiques ». L'anthropologue Jacques Barou fustige l'attitude qui conduit, face au « danger social et politique constitué par une installation définitive de populations toujours susceptibles de se référer à leurs origines lointaines pour manifester un malaise » à « empêcher la sédentarisation des nouveaux immigrés, quitte à faire d'eux des précaires tournants », et enfin, Sid-Mohammed Barkat, philosophe et chercheur, géométrise la météo de « la présence des migrants en Europe » qui « ressemble beaucoup à une intempérie (…) un dérèglement dans les manières d'être et de penser l'homme et le monde ». C'est un « abîme », conclut-il, « sous les traits d'un choc meurtrier avec un monde étranger envahissant, mis en scène sous la figure même de ce qui est hideux ». L'intervenant en vient à penser que « le migrant n'est pas celui que l'on renvoie dans son pays ou bien celui que l'on autorise à rester dans le pays. Il est avant tout, qu'il soit à l'extérieur ou à l'intérieur de la frontière (…), celui qui s'absente de tout pays. En ce sens, il est absolument sans nom ». « Sans abri », « sans papiers », « sans nom ». La boucle est bouclée.