Après une carrière bien remplie, Serge Lebeau passe son temps à faire du bénévolat pour inculquer l'amour du bon pain à tous les boulangers de la terre. De passage à Mostaganem où il anime la formation de jeunes apprentis, il nous parle de son parcours et nous livre ses conseils pour améliorer la qualité de nos pains. Comment Serge Lebeau est devenu boulanger ? Pour moi ce fut un choix qui s'imposait. Ayant obtenu mon certificat d'études le 25 juin 1955, j'entrais en apprentissage le 9 juillet. J'avais alors 14 ans. Après 2 ans d'apprentissage je suis monté sur Paris où j'ai fait une formation d'ouvrier pâtissier. C'est à 19 ans que j'ai réellement commencé à travailler contre un salaire. Vous souvenez-vous de la loi Barre sur le croissant ? C'était en 1977, mais j'étais déjà démonstrateur chez une entreprise qui avait mis au point les chambres à fermentation à « pousse » contrôlée, qui permettaient de supprimer le travail de nuit. Ensuite j'ai été recruté à la société Le Safre qui est le premier producteur mondial de levure. J'étais démonstrateur en boulangerie et pâtisserie dans une partie de l'Europe puis je suis revenu en France pour être conseiller technique des boulangers. Comment avez-vous perçu l'arrivée des fours industriels ? Au début des années 60, les premières boulangeries industrielles de Paris ne gênaient pas beaucoup l'activité artisanale. Comme elles livraient essentiellement les collectivités et les cantines, elles ne nous dérangeaient pas, du moment que nous n'avions pas la même clientèle. Ce sont les grandes surfaces qui nous feront le plus grand tort. Ca va toucher surtout les boulangeries artisanales de province, entre le début des années 70 et les années 80. Ensuite, il y eut des réactions de la part des gens de la profession. Les artisans boulangers ont commencé par améliorer la qualité des pains. C'est au niveau des grandes surfaces que sont apparus les pains spéciaux dont la fabrication était totalement inconnue des artisans. C'est grâce aux grandes surfaces que les pains spéciaux vont arriver chez les boulangers. Ils vont apprendre à faire des mélanges de farines que les minotiers produisaient de plus en plus. C'est cette concurrence qui parviendra à vulgariser et à commercialiser les pains spéciaux dont les artisans vont ensuite se saisir pour élargir leur gamme. Les bons boulangers parviendront garce à ces pains spéciaux à reprendre une part du marché aux grandes surfaces. Comment a réagi le consommateur face à ces bouleversements ? Les consommateurs ont très bien réagi, surtout sur le plan diététique. Il y avait énormément d'innovations avec des pains à l'orge et aux autres céréales. Les consommateurs ont pris goût et la vente s'en est ressentie. Quelles appréciations portez vous sur le consommateur algérien ? Vous consommez beaucoup de pain, ceci est indéniable. C'est pourquoi il faut en améliorer la qualité. C'est à dire ? D'abord il faut que le pain soit disponible toute la journée et ne pas se limiter à la matinée. Ensuite il faut absolument réduire l'usage de la levure. Lorsqu'elle est apportée en excès, elle favorise la formation d'une grosse mie et le pain ne tient pas la route. Dès l'après midi il devient aussi élastique que du chewing-gum. On devrait faire plus de croûte, ce qui rend le pain plus croustillant. Ensuite il faut le cuire dans des fours moins chauds, sinon, nous le constatons régulièrement, le pain est seulement cuit en surface, à l'intérieur, la mie reste pâteuse. Evidemment cela demande plus de temps au boulanger. Comment vous est venue cette passion de la transmission du métier ? C'est en soi, dès le début j'ai dû former plusieurs apprentis et je voulais leur communiquer cet amour du métier. Ce métier il faut le faire avec amour et l'aimer, sinon on ne peut pas réussir. Il faut savoir donner de son temps car dès 14 ans je travaillais de 22 heures jusqu'à 13 heures du lendemain. J'ai toujours été convaincu que sans l'amour du métier, aucun boulanger ne fera du bon pain.