Dans neuf ans, le plus jeune pensionnaire du foyer d'accueil des orphelins victimes du terrorisme atteindra la majorité, mais le directeur de cet établissement pense que la mission qui lui a été confiée depuis 1999 prendra fin beaucoup plus tôt. Non seulement, selon lui, le foyer n'accueille plus d'orphelins depuis trois ans, mais il y a de fortes chances pour que la réintégration des quelques enfants qui restent se fasse dans trois ou quatre ans et alors, faute de pensionnaires, le foyer renouera avec sa vocation initiale pour laquelle il avait été créé par décret n° 98-48 du 13 février 1999, à savoir un centre psychopédagogique. Pour l'heure, ce foyer d'accueil tourne avec 25 pensionnaires (18 garçons et 7 filles) âgés de 9 à 18 ans pour les garçons et de 9 à 16 ans pour les filles. Au départ, l'établissement encadré par 12 éducateurs dont 5 spécialistes, 3 psychologues (1 orthophoniste, 1 pédagogue et 1 clinicien), un médecin et un chef de service pédagogue abritait une soixantaine de pensionnaires. Grâce au dévouement de ce personnel, 34 ont pu réussir leur réintégration : 8 ont terminé une formation professionnelle, 7 ont réussi à surmonter leur traumatisme psychologique qui était à l'origine de leur échec scolaire, 8 autres à leur demande et une a pu fonder un foyer. Pour ce qui est des examens, les efforts déployés par l'encadrement n'ont pas été des moindres. Sur les 9 candidats (6 à la 6e, 2 au BEF et 1 au bac), un seul échec au BEF a été enregistré pour l'année 2003-2004. Les secrets d'une réussite Les psychopédagogues sont parvenus à créer des conditions propices au travail, y ancrant de bonnes habitudes grâce à une discipline librement consentie. Les éducateurs, quant à eux, sont sollicités à tout moment pour des heures de soutien pédagogique. Ils dispensent 30 heures de cours par semaine et exploitent toutes les heures creuses pour intervenir. Une salle d'études est ouverte en permanence. En outre, les psychologues par d'inlassables efforts d'observation et d'écoute attentive se tiennent constamment à la disposition de ceux qui sont en butte à la moindre difficulté. Au début, raconte le responsable du foyer, les enfants étaient méfiants et ne se confiaient pas aussi facilement. Le contact avec le psychologue se faisait alors au moyen du stylo et du papier. La confession finie est alors glissée sous la porte du psychologue qui la lisait et répondait à son auteur avec tout le tact exigé en pareille circonstance pour ne pas effaroucher l'enfant. Aujourd'hui, les relations entre les psychologues et leurs sujets sont au mieux, selon le directeur du foyer. La confiance règne si bien entre les uns et les autres que tout semble se passer entre membres d'une même famille. Comme des poissons dans l'eau La prise en charge psychologique de ces enfants, qui ont tout perdu ou presque, se double d'une prise en charge matérielle totale. Malade, l'enfant est examiné par le médecin du foyer qui en cas de nécessité l'oriente vers un spécialiste, lequel toujours en cas de besoin prescrit les médicaments qui sont délivrés par le pharmacien qu'une convention lie au foyer. Mais c'est au niveau de la nourriture et des effets vestimentaires que les efforts consentis par l'Etat sont les plus importants. Le repas par jour et pour une seule personne revient à 120 DA, et 23 000 DA sont dépensés par an pour habiller un pensionnaire du foyer. Une fois par mois, les pensionnaires ont droit à une excursion vers la mer et une fois par semaine à une excursion pédagogique. En outre, pour leurs loisirs, ils peuvent aller à la bibliothèque, faire du sport, regarder la télévision, aller au lit. Selon les liens d'amitié créés entre les enfants, les chambres sont partagées à deux, trois ou quatre pensionnaires. Preuve qu'ils sont libres de leurs mouvements. Ils disposent également d'une salle de jeu. Une phase décisive La phase à laquelle sont parvenus les pensionnaires (à l'exception d'un retardé mental placé dans une classe intégrée) est qualifiée par l'une des psychologues de post-traumatique. C'est-à-dire que le choc subi par les enfants qui ont assisté au massacre de leurs parents a été surmonté. Le chef de service pédagogique repousse le mot réinsertion. Selon lui, il s'agit de faire accepter à l'enfant ce qui lui reste de sa famille. Le long processus d'intégration est, suivant la stratégie élaborée à cet effet, un travail de longue haleine qui comporte trois étapes ou phases successives : accueil et prise en charge, socialisation et réintégration. Au cours de la première étape, se mettent en place trois types d'activité : la prise en charge psychologique qui se fait de manière individuelle ou collective, la prise en charge médicale consistant en une exploitation médicale pour déterminer les lésions organiques s'il y en a, le suivi quotidien, en dernière analyse, l'ouverture sur le monde extérieur. La seconde étape comporte également trois activités : guidance parentale et sensibilisation (montrer aux parents quel comportement adopter envers leurs enfants) ; renouement des liens parentaux (rétablir le contact rompu) et enfin l'adoption. La 3e étape étant celle où l'enfant qui se sent accepté au sein de sa future famille manifeste le désir de se détacher du foyer. Entré au foyer sur décision du wali, nous explique le responsable, le pensionnaire est soumis à la même formalité pour en sortir. Le même responsable a cru noter les divers troubles dont souffrait la soixantaine de pensionnaires avant son admission : stress, anorexie, trouble du sommeil, échec scolaire, phobie nocturne. Mission accomplie ? Cela ne fait aucun doute au regard des résultats spectaculaires obtenus.