Considérée comme la région la plus éloignée du chef-lieu de wilaya, Nara, pays des Aïth Saâda dans la commune de Menaâ, est à environ 130 km de la capitale des Aurès. Elle semble être à l'autre bout de la planète. Elle détient la palme de l'enclavement et de l'hostilité de la nature. Une vie, ou plutôt une existence rythmée par un combat au quotidien. Après Menaâ la coquette, la verdure des champs et jardins contraste violement avec la couleur ocre-rouge, parfois violette des pics rocheux, voire des canyons. Des noms de lieux, dechras et petites agglomérations qui rappellent le pays intérieur, le pays profond : Ouarka, Ighouneme,Tigherghar… Le relief évoque des brochures touristiques d'Asie avec ses rizières, mais point d'asiatiques, plutôt des Chaouias qui ont refusé l'appel des lumières de la ville. Ici, l'eau vaut plus que l'or. On ne parle pas d'hectares de terre, mais de mètres carrés, voire d'empans. Les dernières pluies sont venues comme une bénédiction du ciel arroser les champs. Le temps d'une courte trêve, pour se remettre ensuite au travail du lever au coucher du soleil. La main-d'œuvre est à 70% féminine, ce sont surtout les femmes qui s'occupent de cette agriculture de l'extrême, destinée à l'autoconsommation et qui répond aux besoins immédiats de la famille. A Ighouneme, depuis que l'eau a giclé du forage en 1985, avec un débit de 60 l/s, les choses se sont beaucoup améliorées, aussi bien pour l'irrigation que pour l'eau potable. « Ce n'est pas le grand confort, mais les hommes d'ici apprécient tout ce qui vient diminuer la rudesse de leur vie quotidienne », nous dit Alaoua. Il ajoute que dans le pays des Aïth Saâda, « l'agriculture n'est pas un travail, mais un défi ». Chose que beaucoup de personnes et même gens du métier ignorent, la terre « végétale » est ramenée à dos de mulets et d'ânes, quelquefois à des dizaines de kilomètres du lieu où elle va être déversée et travaillée sans relâche. De même pour l'eau qui, elle, est transportée à mains nues. Le guerrier de Zana sous les ordres de Jugurtha, hydraulicien de Tighanime, a su ramener l'eau des cimes des montagnes, et donc voici le descendant agriculteur, ingénieux, patient, mais surtout attaché à une terre ingrate, qui le rend si prodigue. Cette immuable alliance entre l'homme et sa terre donne naissance à une mise en valeur, jamais ou rarement vue. La roche cède la place à une terre productive. L'agriculture de montagne est tout, sauf une partie de plaisir, nous confirme un jeune agriculture de Nara, qui conteste même l'appellation d'agriculteur, pour l'unique raison que lui et les autres ne sont pas considérés comme tels. Pour être agriculteur et bénéficier d'aides ou autres subventions, il faut avoir des terres, -pas des carrés (rires)-, et ce n'est pas le cas dans cette partie des Aurès. Pourtant, toute une population refuse encore de prendre la direction de la ville pour gonfler encore les rangs des chômeurs. Quand on leur demande si la tutelle, ou de hauts responsables leur rendent visite pour connaître leurs besoins, leurs soucis, leurs doléances (écoles, santé, transport, culture, agriculture…) la réponse ne se fait pas attendre. « Les voitures noires viennent pour se rendre aux hauts lieux de la guerre de libération (lieu de la mort de Mostafa Ben Boulaïd), ou la veille des élections, comme c'est le cas ces jours-ci, sinon ils ne nous connaissent pas », disent-ils douloureusement.