Mythe de la montagne rebelle ou réel fief et bastion de nos vaillants guerriers depuis la nuit des temps. Aurès, Aoras, Awres…, hautain, fier, on croit le connaître, mais il reste inconnu, voire méconnu. Il n'a d'égal à sa beauté panoramique, ses paysages lunaires, que son enclavement, sa pauvreté et son silence. Une toponymie bien berbère, aurès, la couleur même de la montagne, qui lui donne et prend son nom. Batna, ville nouvelle, certes, un des principaux accès à l'Aoras, mais capitale, c'est trop peu pour une région qui est considérée comme une encyclopédie à ciel ouvert de notre histoire millénaire. Les jeunes surtout considèrent Batna comme une création de 1845, et justement, pour cadenasser les Aurès…, l'idée fait son chemin. À Aïth Abdi, Arris, Menaâ, Merouana, Seriana…, les habitants sont philanthropes, ils vous indiquent le chemin, le taxi, “le taxieur à l'algérienne”. Celui-ci ne connaît pas le nom administratif de son village (sic !) Ichmoul, il connaît, mais Medina ça se trouve en Arabie Saoudite… et bien d'autres : Bouzou, Ighzr n'Taga, Hit Ouloudh ; les plaques de signalisation datent de l'époque de l'arabisation à outrance et font partie du décor, pas plus. À Tinibaouine, daïra de N'gaous, la joie est sur tous les visages, la cueillette des abricots a atteint des productions records, sauf que les ménagères n'aiment pas trop ça. Les chefs de famille ne songent qu'à se remarier quand les poches sont pleines, nous informe, en rigolant, notre taxieur qui a lui aussi quelques abricotiers. À M'douke, Soufiane, Tifrene…, même regain d'espoir, la terre donne à vivre, on y revient et ça se voit, champs de blé, jeune verger d'abricotiers, troupeau de moutons. Au café du village, le patron jure sur la tête de ses enfants qu'il y a à peine 2 ans, c'était le désert ici. Et l'éternel invitation à partager le dîner (ammenssi), faut pas dire non, vous ne savez pas ce que vous ratez. Aucun dépaysement à plus de 100 km, aussi bien dans la vallée d'Aïth Abdi qu'a Ighzr, à Mlel. Un regard avec curiosité, vite balayé par un sourire de bienvenue. Les jeunes vous disent azul, les anciens salm felawen, chacun son époque. Ici, la pomme de montagne, adhafou en chaoui, est devenue le fruit fétiche. Une pomme qui fait pâlir la golden ou l'api, car bio. D'Imsounine, en passant par Imin Toub, Yabous, le fruit semble aimer les hauteurs, et la montagne le lui rend bien. Un lourd silence quand on parle de T'kout, le temps n'éponge pas le sang et la terre noire porte le deuil des enfants innocents. Inévitable, incontournable, village rebelle. On a vu des robinets à Darmoune ! ça ne fait pas longtemps, c'est aussi le cas des habitants de Lamsara, ça sonne comme : on a marché sur la Lune, sauf que ça se passe sur Terre, dans les Aurès, et ça ne fait pas rire. Il paraît que voir plus pauvre que soi ça rassure. Eh bien, c'est vrai. C'est à un jet de pierre que se trouve le premier QG de la wilaya I. ici Laghrour, un Boulaïd, Grine et bien avant Zelmati ont dit non. Ils ont perdu la vie mais ils n'ont jamais abdiqué ; leurs arrière-petits-fils méritent mieux : écoles, cantines, transport scolaire, soins… Qui a dit BTS ? Le cèdre de Bouhmama subit la coupe sauvage en silence, le bruit des tronçonneuses étouffé par la ghaïta de la fête à Timgad. Un sujet qui fait taire et peur. Qui coupe, aucune réponse. On sait seulement que ceux qui le font sont bien protégés, et ce n'est pas un garde champêtre qui les arrêtera. De retour à Batna, par Khenchela, le nouveau barrage de Chemora a déjà ses adeptes, pêcheurs à la ligne, familles en mal de lieu de détente, oiseaux migrateurs qui ont l'habitude d'aller plus loin rejoindre les grands lacs d'Afrique. Dans les quatre wilayas, on attend le nouvel album de la diva chaouia Dihya, les nouveaux postes promis pour l'enseignement de tamazight et les routes pour désenclaver l'une des régions les plus isolées. R. HAMATOU