Le contrat le plus corrompu de l'histoire n'en finit pas de polluer l'air de ses brûlantes émanations. Il s'agit du marché Al Yamamah, - la colombe - nom de code de la transaction la plus gigantesque pour l'équipement à la fin des années 80 de l'armée de l'air de l'Arabie Saoudite par l'industriel britannique Bae. 298 appareils de guerre entre chasseurs bombardiers, avions d'entraînement et hélicoptères de combat. Le contrat est plus connu sous le nom de Tornado, le chasseur phare du contrat – Riyad en a acheté 120. Le montant de la transaction correspondant à treize années de recettes d'exportation d'hydrocarbures algériens de l'année 1993 où le contrat a été finalisé entre John Major et le roi Fahd : 63 milliards d'euros. A contrat stratosphérique, pots de vins hors normes. Une première enquête a été étouffée par les tories avant leur départ. Tony Blair à son arrivée en 1997 a promis de publier les éléments de l'enquête. Il n'en fera rien. Pire encore, son ministre de la Justice vient de bloquer la poursuite de l'enquête exigée par l'avènement d'éléments publics accablants. Motif, raison d'Etat. La vérité est que la famille régnante à Riyad a, devant les progrès de l'enquête, mis le holà l'automne dernier. Ou bien Londres stoppe la machine judiciaire qui veut comprendre comment et qui s'est sucré sur le contrat Tornado ou bien la prochaine commande saoudienne d'avions bénéficiera à un autre fournisseur. Enjeu 72 eurofighter Typhon concurrent du Rafale de Dassault. Tony Blair ne veut sous aucun prétexte faire perdre une telle commande à l'industrie militaire britannique. L'enquête sur le pot de vin géant du premier contrat doit donc s'arrêter. Il ne s'agit pourtant pas d'un pourboire. On estime à environ 880 millions d'euros le montant qui est retombé dans l'escarcelle de la famille royale saoudienne sous divers formes : versements directs recoupés par des banques suisses, financements de séjours fastueux par la caisse noire de Bae retrouvés par les enquêteurs du Serious Fraud Office organisme britannique en charge de la grande délinquance financière. 880 millions d'euros prélevés d'où ? D'une surfacturation de la transaction. C'est un militant de l'organisation CAAT (Compaign Against Arms Trade) qui l'a découvert en compulsant des documents diplomatiques tombés dans le domaine public. L'Arabie Saoudite a accepté d'acheter sa panoplie d'avions 30% plus cher en contrepartie de cette ristourne prélevée sur la différence. C'est Riyad qui essuye le préjudice mais c'est à Londres que souffle le scandale. Pourquoi ? Parce que le gouvernement britannique a doublement piétiné la convention de l'OCDE sur la corruption d'agents publics étrangers. D'abord en arrosant les maîtres des « gardiens saints de l'Islam » comme jamais personne n'a été arrosé. Ensuite en empêchant d'autorité l'enquête sur ce fait de corruption gargantuesque d'aller plus loin. Les partenaires européens de l'OCDE ne sont pas contents. Les Français rappellent qu'ils ont laissé faire la justice dans l'affaire des frégates vendues à Taiwan contre dessous de table. Et que cela leur a sans doute coûté des parts de marché dans l'armement. La loi ne poursuit les versements pour corruption d'agents publics étrangers qu'à partir de 2002, Londres ayant fait express de retarder la ratification de la convention. Mais l'étau se resserre et des traces de paiements postérieurs à 2002 ont été retrouvées. Il est vrai que l'on ne peut pas réglé une commission de près d'un milliard d'euros d'une traite. L'affaire Tornado dit beaucoup de choses. Que les gouvernements démocratiques de l'Occident sont cyniques avec la vision de leurs intérêts. On le savait. Que les monarchies arabes comme les dictatures carburent à la turbo-corruption. On le savait. Que l'opinion publique et le mouvement associatif se bat en Occident contre cet état de fait. Et pas dans les pays arabes. On le déplore. Dernière observation : les contrats militaires sont ceux qui donnent lieu aux plus grosses surfacturations contre pot de vin. Car ils sont les moins transparents. L'Algérie vient de renouveler son aviation de guerre. Mais qui peut piper un mot sur un contrat de pourtant 7 milliards de dollars ?