Grenoble, 1989, Kateb Yacine s'éteint. Même ville, trois ans plus tard, son fils, Amazigh monte le groupe Gnawa Diffusion. Né à Alger en 1972, il a alors 20 ans. A l'âge de 10 ans, il avait découvert le gnawi à Timimoum. Cette semaine, Gnawa Diffusion sera en Algérie dans le cadre de sa dernière tournée. Après une gloire mondiale illustrée par son ragnawachaabirock, contraction des quatre genres, le groupe se sépare. Quinze ans. Belle longévité dans un monde où seuls les Rolling Stones échappent au temps, au prix de la momification. Des lettres du père aux sons et paroles du fils, se dessine le parcours des générations. Celle de la louha, de l'ardoise, du porte-plume et du livre et celle de la télévision, de la chaîne hi-fi, du multimédia et d'Internet. Celle du papier et celle de l'électronique. Celle de l'écrit et celle du vu-entendu. On peut le regretter. Mais ne serait-ce pas regretter qu'on n'en soit plus aux textes gravés sur pierre, aux manuscrits copiés ou aux pigeons voyageurs ? Chaque génération ne peut être que de son temps et, à bien considérer père et fils, on se rend compte combien le premier a influencé le second. Même esprit de rébellion. Même désir de sources anciennes exprimées dans la modernité du moment. Même attrait pour les cultures populaires. Amazigh déclarait : « On ne veut pas être enfermés dans la dénomination de musique engagée, genre héritiers de Kateb Yacine, car ça voudrait dire qu'on ne parle qu'au cerveau des gens. Moi, j'ai envie de parler aussi à leur corps ». Le disant, il recherchait sans doute ce que tout fils recherche à l'égard de son père : se distinguer de lui et lui ressembler. Car l'écrivain aussi, doutant de l'impact de son écriture, avait cherché dans le rapprochement des corps, permis par le théâtre, un support plus direct à sa parole. De cette expérience, Amazigh enfant a, de plus, acquis la familiarité des scènes, notamment au théâtre de Sidi Bel Abbès. Il a aussi déclaré : « Nous, les Algériens, on est africains, mais on l'a oublié, coincés entre deux modèles supérieurs : l'Orient et l'Occident ». Dans Nedjma déjà, avec le personnage du nègre de la tribu, son père s'était attaché à symboliser cette appartenance continentale. Amazigh Kateb chantera encore. Peut-être écrira-t-il, qui sait ? Il a su déjà, à deux reprises, suspendre son chant pour se charger de la publication d'écrits de son père. Passent les époques et passent les générations. « L'important, c'est d'arriver à rester libre ». Dixit Amazigh.