Pourtant, passé le portail d'entrée d'un des joyaux algériens de la culture qu'est cette infrastructure, l'on est assailli par des souvenirs de pièces théâtrales véritablement impérissables ainsi que des soirées musicales animées par de grands noms de la musique et de la chanson d'ici et d'ailleurs. Ce qui surprendrait le plus dans ce théâtre n'est pas tant l'absence d'affiches et de photos de la grande épopée qu'a connue ce joyau architectural et culturel ou l'inoccupation apparente des agents et comédiens. Sous les banderoles, derrière la scène, dans le grand hall ou devant l'entrée de service, ils dialoguaient dans un incompréhensible volapuk et paraissaient être secoués par leurs borborygmes, leurs bégaiements et surtout leurs silences agités. Dans leurs propos tirés d'une longue lettre « Appel au changement » et une autre « Appel au secours », adressées à leur ministre de tutelle, ces comédiens et agents soulignent ce qu'ils estiment être la mise à mort de l'activité théâtrale à Annaba. Ils imputent cette situation à l'absence de toute base culturelle dans la gestion de la direction du théâtre. « Cette situation a été provoquée à dessein alors que j'étais en mission en Jordanie dans le cadre du Festival du théâtre pour enfant. Depuis ma nomination à la tête de cette structure, j'ai beaucoup donné et j'ai amélioré tant de situations notamment au plan de la gestion administrative du théâtre qui n'a plus aucune dette », argumente Ali Braoui, directeur du TRA. Cet autre mouvement de mécontentement qui semble durer dans le temps remet en cause l'aura de ce centre de rayonnement de la culture par excellence et le point de chute de comédiens fanas de créations théâtrales, jeunes et vieux artistes, scénaristes, réalisateurs, administrateurs. Depuis plusieurs jours, ils pointent avec leur éternel sourire d'adolescent sur un visage pâli par les désillusions. Ils affirment ne pas en revenir de voir, là sous leurs yeux, dépérir contenu et contenant d'un art théâtral tombé en désuétude. Il faut préciser que depuis quelques années, à l'exception de quelques expositions, meetings politiques ou soirées organisées par le Centre culturel français, le théâtre Azzedine Medjoubi est presque devenu un château vide. L'on a l'impression qu'il est hanté par les silhouettes de gestionnaires, comédiens, artistes, techniciens et administrateurs qui, il y a quelque temps, avaient pour objectif de créer, construire, présenter des spectacles, attirer le maximum de public au théâtre. Aujourd'hui, visiter ce théâtre, c'est entendre le froufrou de la robe de la grande comédienne qu'était Noura Khelaïfia avant son départ forcé pour l'autre bord de la Méditerranée. C'est aussi entendre, comme s'il provenait d'un coin légèrement en retrait de la scène, le rire cristallin de l'inoubliable Fatiha Soltani, contrainte à la retraite. Puis, comme dans un souffle de jeunesse en provenance des planches de la scène, voir la gracieuse Sahraoui, partie pour d'autres horizons, orienter son regard de feu dans la direction de Hassen Derdour. Cet autre grand homme qui, de son vivant, avait beaucoup donné à la culture en général, au théâtre, à l'histoire et à la musique en particulier. Les silhouettes de femmes et d'hommes de culture qui ont vécu par et pour la scène du théâtre sont nombreuses à l'image de Djamel Marir, Djamel Hamouda, Kamel Kerbouz, Abdelhak Benmarouf, Abdelhamid Gouri, Mimiche, Laïd Kabouche... Tous sont passés sous le chapiteau de cette noble infrastructure qu'est le théâtre Azzedine, aujourd'hui sourd à leurs supplications. Sa salle de spectacle et sa scène comme son pourtour se sont transformés ces dernières années en des lieux arides et sans mémoire où s'engloutissent rêves et regrets. Depuis une décennie, réalisateurs, scénaristes et comédiens ont créé ou joué 8 pièces théâtrales, dont Essoussa, grand prix du Festival professionnel, El Boughat, El Bessamet, Ahlam el kadhira... Si elles n'ont pas été archivées au lendemain de la première représentation, pas une seule de ces pièces n'a dépassé le cap des 4 sorties, pour être définitivement enfouies dans la poussière des archives. Celles-là mêmes qui encombrent les réserves des créateurs et des victimes d'une politique culturelle repliée sur le passé. Derrière les échanges polis et les conversations calmes des hommes de théâtre entre eux, le feu couve. Leur angoisse de lendemains culturels incertains, notamment dans le domaine théâtral, suinte. La tragédie plane. Telle est l'impression qu'offre le théâtre Azzedine Medjoubi. Dans ce lieu, le cheminement de ces superbes et larges couloirs et hall aurait pu permettre aux visiteurs de traverser familialement toute la mémoire du passé pour bien apprécier le présent théâtral. Malheureusement, de l'avis de nombreux amoureux de la comédie théâtrale, le théâtre Azzedine Medjoubi n'est plus qu'un espace vide et un conservatoire de pièces mortes, quelques mois après leur création. Hier prodigieusement vivant, cet univers dans lequel s'était enracinée la culture à Annaba s'est transformé en un témoin du déclin de la comédie théâtrale. Situation démentie par M. Braoui quand il affirme : « Nous avons travaillé sur des pièces théâtrales. Celle que nous avons présenté ces derniers jours à Amman (Jordanie) a décroché, via la comédienne Hafida Zouaïnia, le 1er prix de la meilleure interprétation féminine. Je considère cette situation comme étant le résultat d'une manipulation de l'ancien directeur artistique qui a été sanctionné d'une mise à pied de 15 jours pour avoir abandonné son poste à quelques minutes d'une représentation. »