Le temps d'un concert, la jeune artiste tunisienne, Abir Nasraoui, fera vivre à son public une soirée envoûtante et inoubliable. C'est avec la chanson de la Syrienne, Marie Gibran, qu'elle entamera cette soirée, entraînant ainsi le public, par effraction, dans le monde mystérieux des Mille et Une Nuits. Elle enchaînera avec des chansons maghrébines. Abir tiendra particulièrement à rendre hommage à un grand musicien tunisien, El Hadi Jouini en chantant Lamouni gharou mini ainsi que d'autres chansons de l'artiste. Lors d'un entretien, cette jeune musicologue reviendra sur sa première rencontre avec le public algérien, mais aussi sur ses futurs projets musicaux... L'Expression: C'est la première fois que vous vous produisez en Algérie. Comment avez-vous trouvé l'accueil du public algérois ce soir (avant-hier Ndlr)? Abir Nasraoui: Cette rencontre était magnifique. Il y a eu un échange intense. J'ai interprété ces chansons à plusieurs reprises, mais le concert de ce soir était exceptionnel, on a pu réaliser des choses qu'on n'a même pas programmées. Même les musiciens étaient un peu étonnés. Le public était enthousiaste. Personnellement, j'étais très contente, c'était l'une des plus belles soirées que j'ai animées et j'en suis ravie, ça s'est très bien passé. Vous avez interprété lors de cette soirée deux chansons de Rabah Deriassa. Que représente pour vous ce chantre de la chanson algérienne? D'abord, il s'agit d'un grand artiste pour qui j'ai beaucoup de respect. Que de souvenirs refont surface quand j'écoute Nedjma kotbia par exemple! Enfant, j'adorais partir chez mes grands-parents, c'est là-bas que j'ai découvert la musique de Deriassa et celle de Abdallah El Manaï. Tous les jours aux environs de 11 heures et terminé le ménage, ma grand-mère préparait son thé et le sirotait tout en écoutant les chansons de Deriassa. En interprétant ce soir (avant-hier Ndlr) ces deux chansons, je voulais surtout rendre hommage au public algérien. Quelle place, selon vous, occupe la musique algérienne dans le Maghreb aujourd'hui? Je pense que la musique algérienne occupe actuellement une place très importante dans le Maghreb et en Orient. Il y a des artistes marocains, tunisiens, libanais et même orientaux qui puisent dans la culture musicale algérienne reprenant certains airs et des chansons. Il y a de très belles mélodies dans cette musique et une grande richesse rythmique. Personnellement, j'aime beaucoup. A part Rabah Deriassa et Abdallah El Menaï, je ne connaissais pas vraiment la musique algérienne quand j'étais en Tunisie. C'est en arrivant à Paris que j'ai découvert le répertoire de Dahmane El Harrachi, Kamal Messaoudi, El Hadj Hachemi Guerrouabi et celui de Cheik Hadj M'hamed El Anka. On remarque une forte influence de la chanson arabe dans votre répertoire. Qu'est-ce qui vous fascine autant dans cette culture musicale? Les chansons de Om Kaltoum ont bercé mon enfance. Mon père adulait la chanson arabe. Il écoutait souvent Nadhem Ghazali, Mohamed Abdelwahab et Ismahane. J'ai grandi avec cette musique. Et je reste, encore aujourd'hui, très influencée par les choix musicaux de mon père. Ma première chanson tunisienne, je l'ai interprétée à l'âge de 17 ans. Je commençais alors à m'intéresser un peu à Saliha, El Hadi Jouini, Ali Riahi. Il est vrai que je regrette un peu ce retard. Mais il n'est jamais trop tard. Dans mon nouvel album, je rends hommage à la musique traditionnelle tunisienne. Les textes ont été écrits dans un dialecte tunisien... Ce nouvel album est un retour aux sources. Qu'est-ce qui vous a donné envie de renouer avec la musique tunisienne? Quand je me suis installée à Paris, j'étais toujours éprise par la musique arabe. Mais j'étais loin de mon pays et j'avais besoin de m'identifier à quelque chose. Je trouvais que Oum Kaltoum ne pouvait satisfaire ce besoin. C'est à ce moment-là que j'ai commencé à m'intéresser à la musique tunisienne et maghrébine... je me retrouvais dans cette musique. Vous êtes également musicologue. Selon vous, quelle est la différence entre la musique maghrébine et la musique orientale? Il y a une différence dans le rythme. La musique maghrébine est très riche dans ce sens: on retrouve le côté Afrique et une grande richesse rythmique. Au cours des concerts en Europe, j'ai pu remarquer que le public occidental savourait et admirait particulièrement les chansons maâlouf que j'interprétais. Il ne réagissait pas de la même manière quand il s'agissait de la musique orientale. Il faut dire que même si elle n'a pas une grande richesse rythmique, la musique orientale possède une grande richesse mélodique, dans les modes orientaux, il y a une infinité de mélodies. Vous lui avez rendu un vibrant hommage ce soir (avant-hier Ndlr). Que représente pour vous le maître de la chanson tunisienne, El Hadi Jouini? Quand j'étais jeune, avant même de commencer à chanter, El Hadi Jouini était très proche de moi à travers ses chansons et sa musique. En Tunisie, tout le monde l'appelle Baba El Hadi. C'était quelqu'un de très modeste et ouvert. Il faut préciser aussi que El Hadi Jouini est l'un des premiers musiciens qui ont introduit des rythmes occidentaux dans notre musique: la valse, le tango. Je lui ai déjà rendu hommage à l'Institut du monde arabe au mois de décembre à l'occasion du centenaire de sa naissance. J'ai invité Habib Faroukh, un jeune artiste marocain et on a interprété ensemble deux chansons. Je voulais absolument faire connaître cet artiste. Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets? Mon nouvel album, Haïma, sortira dans trois semaines. On est en train d'effectuer quelques modifications. Il s'agit d'une rencontre avec Leila Mekki, pour les paroles, et Skander Ktari pour la composition. Ces textes, Leila ne les a pas écrits spécialement pour l'album, ils figurent dans un recueil de poèmes. Ils sont écrits dans un dialecte bédouin car cette poétesse est aussi issue de Kesserine, ma région natale. J'ai interprété au cours de cette soirée trois chansons de ce nouvel opus. Je travaille également sur le tango arabe, maghrébin et oriental. On va participer avec ce projet au Festival international de Hammamet en juillet. Il y aura deux ou trois titres algériens, deux titres tunisiens, les autres ce seront des chansons orientales. Vous êtes aussi une férue de littérature et de poésie. Quels sont vos projets dans ce domaine? J'ai commencé à écrire des nouvelles, c'était beaucoup plus une passion. Par la suite, j'ai fait lire ces textes à d'autres personnes et elles ont vraiment apprécié. Donc, je compte les publier prochainement dans un recueil. Dans Haïma, j'ai mis en musique quelques textes que j'ai écrits moi-même.