Quelques semaines après le vote par référendum d'une réforme constitutionnelle controversée, le ministère de l'Intérieur égyptien multiplie les arrestations d'opposants et fait peser une pression accrue sur les défenseurs des droits de l'homme. La dernière arrestation en date est celle d'un jeune blogger, Abdel Mouneim Mahmoud, militant des Frères musulmans, mais aussi activiste connu et respecté dans les milieux des organisations de défense des droits de l'homme, qui a été interpellé à l'aéroport du Caire le 15 mars dernier alors qu'il se trouvait, déjà, à bord d'un avion. Le blogger, qui est aussi correspondant de la chaîne satellitaire britannique Al Hiwar, était en partance pour une tournée dans plusieurs pays arabes où il escomptait préparer un reportage sur la situation des droits de l'homme dans ces pays pour Al Hiwar. La veille, une vingtaine d'étudiants, supposés être affiliés au mouvement des Frères musulmans, ont été arrêtés pour, selon le parquet de Shubra au Caire, « avoir organisé une démonstration paramilitaire à l'intérieur de l'Institut agricole de l'université de Ain Chams ». Les étudiants sur lesquels pèsent les charges d'appartenance à organisation illégale, constitution de milices et organisation d'une démonstration paramilitaire, ont pourtant bénéficié, chose tout à fait inhabituelle, du soutien du recteur de l'institut qui a officiellement démenti qu'un quelconque « show paramilitaire » ait jamais été organisé par ses étudiants sur le campus. Mais le « cercle des représailles » du gouvernement égyptien est loin de se limiter au mouvement des Frères musulmans, et le fait qu'un deuxième blogger ait été arrêté est vécu par les milieux des opposants, des journalistes, et des militants des droits de l'homme comme la concrétisation de menaces qui pesaient, depuis quelques mois déjà, sur tous ceux qui dénoncent le verrouillage de l'expression libre, la multiplication des abus du régime dont, surtout, l'utilisation devenue systématique, selon un récent rapport d'Amnesty International, de la torture. Le cas du blogger arrêté est, à cet égard, exemplaire : le jeune homme qui avait déjà été arrêté et torturé en 2004 entretenait un blog — comme nombre d'autres en Egypte qu'ils soient politiquement colorés, journalistes à la recherche d'un espace d'expression libre, militants d'associations — où il répercutait les informations, photographies et vidéos d'abus policiers, passages à tabac de citoyens ou scènes de tortures à l'intérieur des commissariats. Abdel Mouneim Mahmoud venait, d'ailleurs, dans les jours qui ont précédé son arrestation, de témoigner publiquement des violences qu'il avait lui-même subies, en 2004, lors de conférences très médiatisées, la première organisée par des organisations égyptiennes, et la deuxième lors de la conférence de presse de présentation du rapport d'Amnesty International. Selon le Centre Nadim, à la fois organisation de défense des droits de l'homme et centre d'aide médicale aux victimes de tortures, « la détention d'Abdel Mouneim Mahmoud ne peut s'expliquer que par le rôle qu'il a joué, en exposant les crimes commis par le ministère de l'Intérieur, dans son blog (…) La participation d'Abdel Mouneim et d'autres dans ces activités (témoignages publics, NDLR) est qui a envoyé un message clair au ministère de l'Intérieur affirmant qu'ils n'ont pas été brisés et que la torture qui a érodé leurs corps n'a pas érodé leur dignité, leur humanité et leur orgueil ». Depuis plusieurs mois, en effet, de plus en plus de voix dénoncent l'usage de la torture qui ne se restreint plus qu'aux seuls opposants politiques, notamment islamistes, mais à des citoyens ordinaires soumis à des abus policiers d'une brutalité inouïe comme le montre une succession de scandales et qui ont notamment conduit à l'arrestation d'officiers de police. A ce titre, le rapport d'Amnesty International s'ouvre sur le cas, devenu mondialement célèbre, d'un chauffeur de taxi, Emad al Kebir, qui avait été arrêté, l'année dernière, pour avoir tenté de secourir son cousin au moment où ce dernier était battu dans la rue par plusieurs policiers. Le chauffeur de taxi, âgé de 21 ans, avait payé au prix fort son intervention, lui-même arrêté, torturé et violé. Son cas avait soulevé une vive émotion du public après que les tortionnaires aient eux-mêmes filmé avec leur téléphone mobile la séance du viol du jeune homme pour la diffuser ensuite auprès des autres chauffeurs de son quartier, à titre de double humiliation et d'intimidation de tout futur récalcitrant. L'affaire avait suscité grand bruit après que des bloggers aient posté la vidéo sur leurs sites internet et que la presse en ait rendu compte, poussant la machine judiciaire à arrêter et passer en justice les policiers mis en cause. « Ce qui est arrivé à Emad al Kebir est tout sauf un cas isolé », écrit Amnesty International, « tortures et mauvais traitements sont systématiques dans les centres de détention à travers toute l'Egypte, y compris dans les commissariats de police, les centres gérés par la sécurité d'Etat et les camps militaires. (…) Ce qui est inhabituel, dans le cas de Emad al Kebir, c'est que les autorités ont pris des mesures contre les présumés tortionnaires ». L'organisation rappelle, également, qu'environ 18 000 détenus en Egypte le sont sous le régime de la détention administrative, c'est à dire « sans charges et sans jugement mais sur ordre du ministère de l'Intérieur - croupissant dans les prisons égyptiennes dans des conditions dégradantes et inhumaines. Parmi ces détenus, certains le sont depuis plus d'une décennie, y compris ceux dont la relaxe a été ordonnée à plusieurs reprises par les cours de justice ». Mais Amnesty International ne manque pas, non plus, d'insister sur le rôle joué par les Etats-Unis dans l'aggravation de la situation des droits de l'homme en Egypte, soulignant les « liens » qui unissent dans ce domaine les « gouvernements égyptien et américain.(…) L'Egypte est devenue une destination clé pour la « guerre contre le terrorisme » conduite par les Etats-Unis. D'innombrables personnes, suspectées de liens avec des groupes terroristes, ont été renvoyées en Egypte dans le but d'en obtenir des informations ».