Les médias gouvernementaux n'ont pas cessé d'exhorter les Egyptiens à participer à la « fête de la démocratie », car c'est ainsi qu'ils ont décidé d'appeler le référendum sur les amendements constitutionnels controversés qui s'est tenu hier. Le Caire (Egypte). De notre correspondante Mais les Egyptiens étaient très peu nombreux hier à s'intéresser aux amendements en question, y compris parmi ceux qui se sont rendus aux bureaux de vote. Dans le quartier de classes aisées de Mohandissine, le centre de vote n'était peuplé que de toutes sortes de fonctionnaires, officiers de police en uniforme et en civil, employés de l'administration, mais très peu de citoyens venus dire oui ou non à la nouvelle Constitution. A la vue de l'appareil photo, ce sont d'ailleurs les mêmes fonctionnaires, plus d'une demi-douzaine, qui sont venus s'enquérir de mon identité de journaliste, qui ont décidé de se mettre en queue organisée devant le préposé à l'urne pour les besoins de la photo ! Et les rares électeurs qui ont bien voulu répondre aux questions sur la signification qu'ils donnent à leur participation au vote ne semblaient pas connaître les amendements. « C'est une nouvelle loi pour nous protéger du terrorisme », a résumé un sexagénaire « apolitique », a-t-il tenu à préciser. « La nouvelle Constitution va empêcher la création de partis qui ne sont pas d'accord avec le parti au pouvoir et c'est très bien », a répondu un jeune homme pressé de retourner à son travail, accompagné de deux autres collègues visiblement agacés de se voir interrogés sur le contenu des amendements. « Vous connaissez le système », a fini par lâcher l'un d'entre eux dans un grand sourire ironique tout en s'éloignant. Il faut dire que les électeurs égyptiens n'ont pas eu le temps de découvrir le contenu des 34 amendements soumis au vote, le texte officiel de ces amendements tels qu'approuvés par le Parlement mercredi dernier n'ayant pas été, 24 heures avant le scrutin, publié par la presse gouvernementale, ce qui n'a pas manqué de suscité sarcasmes, mais aussi inquiétudes de la part de nombreux juristes, y compris employés d'institutions étatiques se disant « atterrés par la précipitation avec laquelle est organisé ce référendum qui marque pourtant un tournant important dans l'histoire du pays ». Ceux parmi les citoyens qui ont pu les lire, dans leur version définitive, sont ceux qui se sont rendus aux bureaux de vote, le texte des amendements ayant été imprimé sur les bulletins mêmes de vote, une sorte de grand fascicule au dos duquel l'électeur est invité à cocher la case oui ou la case non. Aucune campagne d'information n'a donc précédé ce scrutin dont la date a été rendue publique seulement cinq jours avant sa tenue. Il faut dire que la loi égyptienne ne prévoit pas de taux de participation minimal pour que les résultats d'un référendum soient entérinés. « Il suffit que Hosni Moubarak seul aille voter oui au référendum pour que cette nouvelle Constitution soit officiellement celle des 70 millions d'Egyptiens », m'a répondu, au milieu d'une manifestation de l'opposition dispersée au centre-ville dimanche soir, une militante des droits de l'homme. En dehors des amendements les plus décriés qui pérennisent en quelque sorte l'état d'urgence auquel le pays est soumis depuis 1981, d'autres amendements renforcent le pouvoir présidentiel sur le Parlement, fragilisent le statut de député de l'Assemblée du peuple et interdisent formellement la création de partis politiques sur une base religieuse. Ce qui n'a pas empêché le grand cheikh d'Al Azhar d'appeler les Egyptiens à aller voter par devoir non pas civique, mais « religieux ».